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Editions CARÂCARA



Naciketas aux Enfers
Mahâbhârata XIII, ch. 70
traduit du sanscrit et introduit par G.Vincent


Introduction :

Malgré le long enseignement qu'il vient de recevoir au livre XII, Yudhishthira ne trouve pas la paix de l'esprit : la victoire acquise sur ses cousins dont le Mahâbhârata fait le récit est amère (trop de disparitions cruelles). Bhîsma, son grand-oncle, tente alors par différents récits qui forment le Livre XIII ou "Livre de l'Enseignement" (anushâsanaparvan) de lui enseigner les fins réelles de l'existence. Le Livre XIII comporte donc de nombreuses histoires à caractère eschatologique, dont celle de Naciketas. Dès le chapitre 58 la question porte sur le don (danam) : à qui donner (à ceux qui en ont besoin)? que faut-il donner (des dons de terre, de la nourriture) ? à quels moments (en fonction de certaines constellations) ? quels effets retire-t-on du don (on gagne des "au-delà"). Arrive alors la question du "don de vaches". On rappelle que le terme de "go" (vache) signifie aussi "terre, connaissance, parole". C'est le don le plus important, celui qui nécessite le plus de précautions. Le chapitre 69 ou Histoire de Nriga narre comment une erreur dans l'attribution d'une vache offerte a conduit un roi à passer mille ans sous la forme d'un lézard. Le chapitre 70 ou Histoire de Naciketas vient pour confirmer que le don de vaches a une valeur essentielle (pour acquérir des mérites ou des mondes célestes). Jusqu'au chapitre 82, Bhîsma maintiendra par d'autres histoires l'importance du don de vaches (il existe même un paradis des vaches ou "goloka").

Tel est le contexte où apparaît dans le Mahâbhârata l'histoire de la visite de Naciketas au roi des morts, Yama. Mais comme il faut s'y attendre, ce récit est une réécriture car il existe deux autres versions dans des textes antérieurs. Cette version du Mahâbhârata est bien moins connue et s'écarte beaucoup des deux autres quant au message apporté.

Dans le Taittirîya Brâhmana (3-11-8), dont on lira une traduction dans le recueil Mythes et Légendes, extraits des Brâhmanas, trad. J. Varenne, Paris, 1967, ed. Gallimard, p. 138-139, Naciketas est pénétré doi à la vue de son père Ushant offrant tous ses biens lors d'un sacrifice. Il demande instamment à son père : "à qui me donneras-tu ?"Agacé, son père l'envoie chez Yama, le dieu des morts mais l'avertit de l'absence du dieu. Lorsque le dieu reviendra, il devra le menacer de prendre ce qu'il possède (descendance, bétail, mérites). Naciketas obéit. Yama est absent trois nuits durant. Le dieu, de retour, se sait coupable de n'avoir pas accueilli cet hôte de marque et se voit menacé de privation de ses biens. Il offre trois faveurs à Naciketas : ce dernier choisit de pouvoir revenir à la vie, puis d'apprendre comment rendre un sacrifice éternel, enfin de savoir comment éviter la "seconde mort" (la réincarnation). Ce sera grâce aux "Feux de Naciketas", un rituel qui donne ces avantages.

Les Brâhmana sont des commentaires explicatifs très anciens (mille ans avant J-C ?) de la liturgie védique, Si les Veda sont des hymnes associés à des rituels, les Brâhmana les complètent en tant "réflexion des docteurs brahmaniques sur les rites qu'ils pratiquaient et les formules qu'ils prononçaient dans le sacrifice" (J.Varenne, op. cit.). Une pensée s'y exprime quant au rôle du sacrifice (ritu, kriya), de l'ordre du cosmos (Dharma), sur les relations entre l'un et l'autre, ce qui prépare les futures spéculations sur l'identité du brâhman et de l'âtman propres aux Upanishad.

Or la seconde version de Naciketas se trouve dans la Katha Upanishas (trad. L. Renou, Paris, 1943, éd. Maisonneuve, trad. A-M Esnoul, in L'Hindouisme, textes et traditions sacrés, Paris, 1972; éd. Fayard-Denoël, p. 56-75). Constitué de six parties, seule la première utilise l'histoire de Naciketas. Les autres s'ouvrent à un enseignement sur la voie du salut qu'est l'âtman. Naciketas, lors du sacrifice que tient son père, pense que donner toutes ses vaches comme le fait son père n'a aucun effet. Il se propose comme don. Son père excédé l'envoie chez Yama. Une voix céleste prévient Yama absent des Enfers qu'un brâhmane l'attend et qu'il faut éviter toute colère de sa part (il emporterait tous ses biens). Yama propose trois faveurs à Naciketas. Ce dernier choisit d'abord de revenir sur terre et de voir son père apaisé ; ensuite, il vaut savoir le "feu qui mène au ciel" ; enfin il demande de savoir si l'homme existe encore après la mort. Autant les deux demandes sont immédiatement accordées, autant la troisième (qui correspond aux cinq parties suivantes) nécessitera que Naciketas passe par une épreuve (Yama essaiera de le tenter par d'autres voeux). Le "feu qui mène au ciel" portera le nom de "feux de Naciketas" : un rituel particulier aux mérites importants ("celui qui fait ces feux traverse naissance et mort") est mis en place. Cette upanishad est rattaché à la tradition du Yajurveda (ou Veda noir), d'écoles védiques du Kashmir ; certains savants y ont vu une réponse à des thèses bouddhistes, ce qui aurait l'avantage de la dater du VI-Vème s. av. J-C.

Le Mahâbhârata dont la rédaction est mise entre Vème s. av.J-C et Vème s. ap. J-C, reprend donc cette légende mais les modifications apportées sont grandes :
a) On y gomme dès le début le fait que Naciketas est offert par son père (sacrifice humain) qui n'a plus rien d'autre à offrir ; mais on y découvre un père affligé de la perte de son fils (et non en colère seulement).
b) Les conseils du père pour obliger Yama disparaissent. Yama attend Naciketas, le reçoit avec les rites d'hospitalité adéquats. Yama éprouve de la sympathie pour ce jeune brâhmane et lui offre ce qu'il veut.
c) L'enseignement de Yama porte sur le don de vaches, capital et suffisant. Donner des vaches est valable (ce dont doutait le Taittirîya Brahmana et qui était absent de la Katha Upanishad). Ce don accorde des mondes célestes.
d) Le don de vache est régulé (donataire, lieu et temps convenant), conforme à la loi universelle (dharma) et s'accompagne de substitutions pour ceux qui n'ont pas de vaches : vaches de sézame, de beurre, etc.
e) Naciketas découvre sa vocation : il sera donneur de vaches.

 

La différence majeure entre la version épique et les deux précédentes réside dans l'apologie du don de vaches et donc du sacrifice : Yama fait l'éloge de la vache et de son don, des bénéfices spirituels à acquérir par le son de vaches. Des nouvelles voies que l'upanishad adopte comme celle de la recherche de l'âtman ou de la pratique du yoga, il n'y a pas trace dans ce chapitre du Mahâbhârata. Le dieu Yama n'est plus contraint selon le vieux rituel védique (principe du "do ut des") comme cela se voit dans le premier texte. Le propos semble, cependant, suffisamment capital pour que le style de cet épisode du Mahâbhârata devienne identique à celui d'une upanishad : formes elliptiques, mots aux sens multiples, strophes de 11 pieds, tournures impersonnelles, indéterminations temporelles des verbes. La traduction s'en avère d'autant plus délicate et nécessite l'audace d'une interprétation dans certains cas. L'Histoire de Naciketas se hisse donc au niveau d'une upanishad ou tout au moins son auteur a voulu qu'elle puisse prétendre à cette hauteur. Cela confirmerait bien que son message ne devait pas passer inaperçu et comportait des thèses discutables, peu ou prou admises, à visée correctrice ou concurrentielle.

Alors on est réduit à quelques conjectures :
a) quand on affirme en Inde une proposition, immédiatement son contraire est aussi affirmé comme tout aussi valable : un brâhmane peut contraindre un dieu - le dieu aime donner gratuitement à un brâhmane ; le don des vaches est inutile - rien n'est plus utile que le don de vaches ; le sacrifice a moins de valeur que la recherche de l'âtman-brahman - sacrifier est irremplaçable.
b) des conflits religieux et des évolutions s'observent entre ces textes écrits à des périodes différentes : le védisme croit à la présence des dieux, le brahmanisme les évacue au profit du sacrifice, l'hindouisme nourrit une spéculation et une pratique d'union avec le divin. A cette évolution très simplifiée, correspondent des adhésions et des résistances à ce mouvement historique général. L'épisode de Naciketas dans l'épopée renverrait à une résistance contre les spéculations des upanishad.
c) le texte est écrit en fonction d'un public : les deux premiers s'adressent à des brâhmanes, le troisième a lieu dans une épopée où la morale des guerriers (kshatriya) domine. Or un guerrier doit donner aux brâhmanes. C'est son devoir. Lui proposer d'autres voies risquerait de priver les brâhmanes d'une partie de leurs revenus (imaginons que l'auteur en soit d'aillleurs un brâhmane) ou déstabiliserait ce en quoi croit un guerrier. Il a droit lui aussi à un espoir de vie après la mort, en rapport avec ses actes (souffrances à la guerre, responsabilités royales).

Nous ne saurions choisir. Mais un autre intérêt se dessine à nos yeux : Naciketas descend aux Enfers, en fait une description très agréable, s'étonne de l'abondance qui y règne. Son récit fait alors partie de ce nombreux récits narrant une visite de l'au-delà (katabases) et mérite d'avoir une place dans une analyse de littérature comparée où l'on intègrerait les visites aux sidh irlandais, la descente d'Enée au chant VI de l'Enéide, ou le livre XI de l'Odyssée.

De même, cette réflexion sur l'importance du don évoque les études de M. Mauss : le rituel fixe lieu, époque, donateur, façon de donner, don et substituts. Tous ces règlements fondent des sociétés humaines et tissent des liens si particuliers qu'ils expliquent bien des comportements et des créations d'une culture humaine. Naciketas se propose de consacrezr sa vie à donner : il permet une circulation nouvelle des biens et des espoirs. Comprenons : un homme pauvre, sans vache, a le droit de donner une vache substitutive avec les mêmes avantages (tant sociaux : il a le même statut que l'homme riche, que spirituels : il a droit au ciel) ; il faut penser que Naciketas l'aide à constituer ce don symbolique, soit parce qu'il accepte en tant que brâhmane d'être rémunéré de la sorte, soit parce qu'il sacralise le don et le rend aussi valable aux yeux des sacrificiants. On sait que tout sacrifice emploie des prêtres qui sont payés de dons. Une nouvelle "économie" plus virtuelle se met en place associant un plus grand nombre de fidèles, libératoire de certains empêchements, montrant aussi l'éventuel désintéressement des brâhmanes. Tout est sauf : le sacrifice est accompli, le rituel complexe est prescrit, les bénéficiaires satisfaits.

On s'étonnera, peut-être, que l'enseignement soit donné par Yama le dieu des morts. Ce dernier est fils du Soleil, il est le premier homme, le roi du milieu (entre tous ceux qui sont morts et tous ceux qui vont mourir). On se rappellera qu'en mythologie les extrêmes vont de pair (la vie et la mort, la nuit et la lumière, le don et le rapt). Il s'agit des fins dernières de l'homme. Yama est, à se sujet, on ne peut mieux informé.

La traduction se veut "clarifiante" ; elle ne rend pas compte du style délibéremment obscur ; elle tente d'énoncer une "cohérence "mais il se peut que le fil d'Ariane soit cassé (d'autres solutions de traduction sont possibles) ; elle s'appuie soigneusement sur la version critique du texte (Poona).

Les astérisques indiquent les passages où la métrique change : on quitte le shloka (distique de vers de 16 pieds) pour la tristubh ( quatrains de vers de 11 pieds) souvent employée dans l'épopée dans les parties jugées plus sacrées.

Traduction (d'après le texte de l'Edition critique de Poona) :

 

1 Yudhisthira dit : "Enseigne-moi, ô grand guerrier sans faiblesse, ce que l'on obtient par des dons de vaches ; raconte moi en détail ; ma curiosité n'est pas satisfaite."

2 Bhîsma répondit : "Autrefois l'on racontait cette vieille histoire, l'altercation du rishi (1) Uddâlakis et du rishi Naciketas.

3 Le rishi Uddâlakis venu pour accomplir un rite solennel (2) dit alors à son fils : "Veux-tu être mon assistant?". Ce dernier acquiesça. Le grand rishi ajouta :

4 "J'ai été si absorbé dans les ablutions et je me suis tant attardé à la lecture des Ecritures que j'ai oublié le combustible, l'herbe sacrificielle, les fleurs, la cruche près de l'eau; va les prendre à la rivière et reviens ici!"

5 L'ascète y alla, ne trouva pas tous ces objets que les vagues de la rivière avaient inondés, et dit alors à son père : "Je ne les vois pas."

6 Tourmenté par la faim, la soif, l'effort, l'ascète Uddâlakis aux grands pouvoirs, maudit alors son fils : "Va voir Yama (3) !"

7 La parole foudroyante de son père le tuait. Il joignit les mains et dit : "S'il te plait ainsi!", puis perdant la vie, il tomba à terre.

8 Son père, le voyant tombé, fut saisi d'angoisse: "Qu'ai-je fait?" ; à ces mots, il tomba sur le sol.

9 Puis empli de chagrin, il passa le reste du jour à serrer son fils contre son coeur, et la nuit suivante fut cruelle.

10 Naciketas, en raison des larmes paternelles versées, frémit sur sa couche d'herbes, comme un champ de blé mouillé par la pluie, ô fils de Kuru (Yudhishthira).

11 Uddalakis interrogea son fils remarquable qui revenait à la vie, tout frotté d'onguents et de célestes parfums, comme s'il s'éveillait d'un rêve interrompu :

12 "Fils, tu as vaincu les mondes bienheureux (4) par tes mérites, n'est-ce pas ? Grâce au Ciel, tu es à nouveau ici! Tu n'as plus un corps d'homme. "

13 Il avait tout vu de ses propres yeux. Interrogé par son noble père et en présence des grands rishis, il les informa fidèlement :

14 *" Obéissant à votre ordre, je suis parti rapidement. Alors je suis arrivé à Vaivasvatî (5) et j'ai vu son vaste et puissant palais brillant dont le sol est en or sur des milliers de lieues.

15 *Vaivasvata (Yama) me vit surgir devant lui, il m'attribua une maison, puis m'indiqua un siège, m'offrit l'eau et tout ce qui rend hommage à l'hôte, il m'honorait ainsi par respect de vous.

16 *Il était entouré de ses conseillers respectueux. Je lui dis doucement : "O maître du Devoir universel, je suis arrivé dans ton domaine. Les mondes que j'ai mérités, donne les moi."

17 *Yama me répondit : " - Tu n'es pas mort, ô cher enfant. Ton père, cet homme pieux dont l'éclat est pareil au feu resplendissant, t'a dit : "Va voir Yama!" et il est impossible, ô brâhmane, de rendre cette parole mensongère.

18 *Tu m'as vu, retourne-t-en, mon enfant ; l'auteur de tes jours souffre là-bas ; je te donne même ce que tu désires en ton coeur ; cher hôte, choisis ce que tu veux."

19 *A ces mots, je lui répondis : "- J'ai atteint ton domaine d'où il est difficile de revenir. Je désire voir les mondes prospères des hommes saints, si je suis digne de tes dons. "

20 *Alors il me fit monter sur son char magnifique et brillant, attelé de bêtes de trait, et le dieu me montra tous les mondes des hommes saints, ô brâhmane.

21 Là, j'ai vu les maisons lumineuses de ceux qui se sont réalisés, faites de toutes sortes de formes et couleurs, faites de pierres précieuses,

22 claires comme le disque de la lune, munies d'une résille de clochettes, avec plusieurs centaines d'étages et des pièces d'eau, des jardins boisés intérieurs,

23 brillantes d'oeil-de-chat et de cristaux, faites en or et en argent et d'objets couleur du soleil à son lever.

24 J'y ai vu des montagnes de nourriture, des vêtements, des lits, des fruits pour tous les plaisirs, des arbres ombrageant les palais.

25 Il y avait des rivières, des rues, des salles d'assemblée, des bassins ovales, de tout côté, et des milliers de voitures attelées et bruyantes,

26 *et des fontaines de lait, des montagnes de beurre fondu, de l'eau limpide. J'ai vu de nombreux endroits inconnus jusque là, avec la permission de Vaivasvata (Yama).

27 *Après avoir vu tout cela, je dis au roi de Justice (Yama), le seigneur des temps passés : " - Qui doit profiter de ces rivières aux flots incessants de lait et de beurre fondu ? "

28 *Yama me répondit : " Sache que ces rivières sont pour le bonheur des hommes de bien, donneurs de lait de vache. Il y a d'autres mondes éternels où le chagrin n'existe pas, peuplés de ceux qui ont aimé offrir des vaches.

29 *Il est enseigné non pas uniquement de donner des vaches mais aussi à qui, quand, quels types de vaches, et de quelle façon. Quand on sait cela, on peut donner, ô brâhmane. Car aucun malheur venant des vaches n'est possible, les sages l'ont dit.

30 *Celui qui a lu les Ecritures sacrées et s'est adonné à de terribles austérités, qui a instauré les trois feux du sacrifice, c'est ce brâhmane qui est digne de recevoir [ les dons de vaches ] ; quant aux vaches à choisir, on les reconnaît au fait qu'elles sont grasses et que l'on a du mal à les livrer.

31 *C'est après voir jeûné trois jours et trois nuits en ne buvant que de l'eau et en dormant à même le sol qu'il faut donner des vaches rassasiées à ceux qu'il faut rassasier, vaches réjouies par leurs veaux, fécondes, dociles ; après les avoir données, pendant trois jours, il ne faut se nourrir que de lait de vaches.

32 *Qui a donné une vache laitière docile, munie de son seau de cuivre, et un veau magnifique qui ne s'enfuit pas, jouira dans le ciel d'autant d'années qu'elle a de poils.

33 *De même, qui a donné au prêtre un boeuf soumis, capable de porter le joug, fort, puissant, jeune, domestiqué, grand, jouit de mondes comparables à qui donne une vache laitière.

34 *Patient envers les vaches, refuge pour les vaches, reconnaissant leurs bienfaits, pauvre en moyens de subsistance, tel celui qui est digne de recevoir les dons de vaches, est-il dit (6). Lors d'un appauvrissement, lors d'un grand souci, en vue du labour, ou à cause d'une oblation au Feu, pour une naissance,

35 *pour un maître spirituel, à cause d'un malheur survenu à un jeune adolescent, voilà des occasions valables pour donner des vaches, nées à la maison, acquises en connaissance de leur valeur, en dédommagement d'une vie, razziées, issues de la dot. "

36 Naciketas disait qu'après avoir écouté les paroles de Vaivasvata (Yama), il demanda : " Comment celui qui est sans vache peut-il entrer dans les mondes des donneurs de vaches?"

37 Alors le sage Yama expliqua que le salut suprême est dans le don de vaches, mais qu'en vertu de prescriptions substitutives au don de vaches, il y a des donneurs de vaches sans vaches :

38 " Que celui sans vache donne, fidèle à son voeu, des vaches en beurre ; pour lui couleront ces rivières de beurre fondu que tu vois, aussi douces.

39 Que celui sans beurre, donne, fidèle à son voeu, une vache en sézame ; ainsi sorti de cette impasse grâce à sa vache, il se réjouira d'une rivière de lait.

40 Que celui sans vache de sézame, donne, fidèle à son voeu, une vache en eau ; celui-là atteindra cette rivière fraîche qui emporte les désirs."

41 Ainsi, le Roi de Justice (Yama) me faisait voir tout cela et de le voir m'amena à une immense joie, ô [père] sans faiblesse.

42 *Et de plus je vous annonce une bonne nouvelle : une grande compréhension allant avec une existence pauvre est née en moi, c'est ce que j'ai obtenu, ô père; elle s'épanouira si je la fais fructifier par la pratique des Ecritures (les Véda).

43 *J'ai connu votre malédiction qui m'a aidé à voir Yama. Aussi, puisque j'ai vu la récompense du don, sa grande utilité, je pratiquerai le devoir du don, c'est décidé.

44 *De plus en plus joyeux, le roi de Justice me dit encore ceci, ô brâhmane : " - Pour donner, ô cher, tu as toujours eu des dispositions ; il faut que tu fasses précisément le don de vaches.

45 *En effet, l'Intérêt n'est pas impur, il n'a pas à être tenu pour plus bas que son propre devoir (6); il faut donner à celui qui est digne de recevoir en temps et lieu adéquats. C'est de cette façon tu dois toujours donner des vaches. Qu'il n'y ait pas de doute pour toi là-dessus !

46 *Jadis l'on donnait toujours ; l'esprit pacifié, l'on s'engageait dans la voie du don. L'on ne reculait pas devant des ascèses terribles, de toutes ses forces l'on donnait le don.

47 *Après avoir écarté l'égoïsme de toutes leurs forces, les âmes pures, les croyants, les vertueux donnant et faisant l'ascèse, rejoignaient l'au-delà. Ces hommes saints brillent très fort dans le ciel.

48 *Il est appris des brâhmanes à donner selon les règles : il est donné à qui le mérite, après vérification de ce qui en est attendu ; le don a lieu au huitième jour d'une quinzaine claire, il faut pratiquer un jeûne de dix jours, avec du lait de vache, de la bouse, et de l'urine.

49 *Pour être adepte des Ecritures, que l'on soit donneur de taureau : le don d'un couple de vaches permet d'acquérir les Ecritures ; le don d'un attelage permet d'acquérir un lieu saint ; le don d'une vache brune permet d'être délivré du mal.

50 *Qui a remis une vache brune, livrée selon les règles, est délivré du péché ; rien n'est supérieur au lait de vache ; le don des vaches est un très grand don, est-il dit.

51 *Les vaches soutiennent les mondes en répandant leur lait et créent la nourriture dans le monde. Celui qui, tout en le sachant, n'aime pas les vaches, va en enfer, c'est un homme aux mauvaises pensées.

52 *Si quelqu'un s'efforce de donner mille têtes de bétail, cent ou cinquante ou dix vaches reproductrices, ou même une, à un saint brâhmane, il possède dans l'au-delà une rivière avec des lieux de pèlerinage.

53 *Pour leur gain, pour la prospérité, pour la protection des gens, les vaches sont comme l'empreinte des pieds du soleil sur la terre ; il y a un seul mot pour dire [vache et soleil], immensité et jouissance (8). Aussi, celui qui donne des vaches est pareil à Surya (Soleil).

54 *Que le don des vaches soit choisi par l'élève pour maître ; celui qui donne et a la parole (9) est certainement un donneur de ciel. C'est la très grande loi de ceux qui connaissent les règles. Les règles secondaires se fondent sur cette règle initiale.

55 *Il est appris des brâhmanes à donner selon les règles : après avoir donné à qui le mérite, après avoir tout examiné, tu peux nous faire obtenir [le salut]. En toi, espèrent les Immortels, l'humanité et nous aussi à la suite des hommes saints. "

56 *Ainsi enseigné par le roi de Justice, ô grand rishi, je le saluai comme la Loi universelle en personne. Congédié par Vaivasvata, je revins à vos pieds.

 

___________

NOTES :

(1) "rishi ": il s'agit de sages au nombre de sept ayant présidé à la création et au peuplement du monde. Rishi provient d'une racine indo-européenne désignant le fait de se dresser ou de dresser. Plus tard, "rishi" signifiera plus simplement "brâhmane-ascète".

(2) "dîksâ" : cérémonies préliminaires à un acte religieux (jeûne, ablutions, lecture des Véda, coupe de chevaux, période de solitude). Ce rite solennel avec trois feux est instauré par un laïque aidé de quatre prêtres.

(3) Yama : dieu des morts. On le nomme aussi le "roi de Justice" et Vaivasvant (le fils de Vivasvant, le fils du Soleil).

(4) "vaincre les mondes " est une manière de dire qu'il a pu aller dans l'au-delà et en revenir indemne.

(5) "Vaivasvatî " : la cité de Vaivasvant, la cité de Yama.

(6) "est-il dit" ( littéralement : "ahuh"- ils disent) : la parole a la valeur sacrée que nous attribuons à l'écrit ; "est-il dit" vaut pour un "c'est écrit".

(7) Passage difficile : on y oppose "artham" (utile, biens, propriétés etc.) qui est qualifié de "shuddham" (pur, irréprochable, correct, régulier) à "dharma" (règle, loi, ordre, etc.). En général, le "svadharma" à savoir le devoir personnel capable de s'accorder avec la loi universelle qui régit le cosmos, passe avant l'"artham". Nous comprenons ainsi : il est des choses utiles aux hommes et qui ne sont pas impures (shuddha " pur, immaculé) comme de se préoccuper de leur pauvreté, de leur labour (cf. les strophes 34-35) si bien que "l'Intérêt n'est pas impur, il n'a pas à être tenu pour plus bas que son propre devoir", d'autant que l'on ne donne pas n'importe comment et à n'importe qui.

Seul un brâhmane comme l'est Naciketas peut fabriquer des vaches substitutives pour ceux qui offrent un sacrifice dont les prêtres sont rémunérés avec des dons de vaches. Seul il sait les accepter ou faire des sacrifices avec de telles vaches pour dons (il n'est pas riche mais qui d'autre que lui en voudra ? Il est le seul à en voir la valeur). Naciketas met de la régulation au sein des dons, il donnera ou acceptera à bon escient des vaches substitutives utiles pour tous ceux qui n'ont pas les moyens : les avantages (artham) que ses donataires ou lui-même en retireront, corrigeront des inégalités ou des impossibilités graves car empêchant la pratique de sacrifices. En ce sens, il y aura dharma (respect de la loi universelle qui veut la correction, l'équilibre, l'harmonie régulée et les obtient par le sacrifice).

(8) "go" : signifie "vache", "parole"," terre", "rayon de soleil".

(9) " vaktâ" (vaktri) a ce double sens : "celui qui dit" et "celui donne la vache" parce que "vac" (la parole) prend les mêmes valeurs que "go", à savoir "vache, parole". L'agent "vak-tri" signifie alors "celui qui fait la parole/la vache".


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