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Mahâbhârata
Le sanskrit



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Le sanskrit est une très ancienne langue indienne qui nous a laissé de très nombreux textes du XII° siècle avant jusqu'au XVI° siècle après Jésus-Christ environ. A cette époque il y avait longtemps qu'il avait cessé d'être parlé pour laisser la place à des langues vernaculaires. Mais il restait la langue des savants et des prêtres, et, aujourd'hui encore, c'est la langue sacerdotale des hindouistes et le substrat référentiel de toute la culture indienne. Il se trouve parmi les toutes premières langues indo-européennes, et donc il est tout proche de l'origine de la plupart des langues européennes actuelles, et en particulier de la nôtre. On retrouve bien des racines communes, et il est amusant de voir l'habillage différent que les siècles et les lieux leur ont donné : ainsi bhratƒ se retrouve dans germ. ; Bruder ou ang. ; brother, dans lat. ; frater et fr. ; frère.

Il se lit "normalement", de gauche à droite et de haut en bas. L'alphabet est littéral, en ce sens qu'il comporte un signe pour chaque phonème (49 signes) et syllabique en ce sens où la syllabe y est notée par un seul groupement graphique, souvent au prix de ligatures acrobatiques quand plusieurs consonnes se suivent. Toutes les lettres sont surlignées, ce qui lui donne l'aspect de "linge séchant sur une corde à linge". Les mots sont souvent graphiquement liés, sans séparation entre eux, et il faut savoir les isoler en lisant, ce qui est rendu plus difficile par le fait que le phonème terminal d'un mot est souvent modifié par le phonème initial du mot suivant, que ce dernier parfois est modifié à son tour, selon des règles d'euphonie, heureusement très strictes.

La grammaire a toute l'exubérance des langues jeunes, avec des déclinaisons à huit cas, trois genres et trois nombres, ce qui fait 72 désinences à mémoriser par déclinaison, avec des formes verbales foisonnantes où sur les trois modes se répartissent des aoristes, des intensifs, des causatifs, des optatifs C'est ainsi que l'on peut tomber, au détour d'une traduction, sur la deuxième personne duelle d'un désidératif du causatif à l'imparfait moyen !

Mais le traducteur de sanskrit, une fois surmontées ces difficultés, somme toute mineures, est encore bien loin de ses peines : il se heurte à plusieurs difficultés que nous voudrions évoquer ici :


a) La simplification grammaticale. Les possibilités grammaticales du sanskrit sont d'une telle richesse qu'ont été mis au point au cours des siècles différents moyens de réduire l'usage à certaines formes, sans pour autant oublier les plus anciennes, et d'en alléger la complexité. Curieusement, ce sont ces simplifications qui font difficulté.

Tout d'abord le verbe s'efface pour laisser place à des formes verbales adjectivées ou adverbialisées - participes, gérondifs, absolutifs. Mais on y perd en souplesse. La copule de plus est systématiquement omise, ou remplacée par un équivalent ("faire", "aller", "se conduire").

Ensuite le recours à des mots composés formés par la juxtaposition de racines non fléchies, où seul le dernier mot prendra sa désinence casuelle, permet d'éviter en grande partie les flexions nominales - aux dépens cette fois de la précision.

Ainsi un composé du type "chevalchariotéléphantbruit" signifiera "qui fait le bruit des éléphants, des chariots et des chevaux", ou bien "qui fait le bruit d'un éléphant ou d'un chariot tiré par des chevaux". W. Morgenroth, dans son Lehrbuch des Sanskrit (VEB Verlag, 1979), cite la phrase suivante : "éléphant mouchebourdonnementauditionjoieferméyeux" ! que l'on pourrait traduire par : "L'éléphant fermait les yeux par suite de la joie qu'il éprouvait à entendre le bourdonnement des mouches". La copule a disparu, l'attribut est un long mot composé - parfois jusqu'à vingt composants. Le cas, qui précise la relation de subordination entre les mots, a disparu, laissant souvent place à l'ambiguïté. "Jardinfleur" peut être aussi bien "la fleur du jardin" que "la fleur dans le jardin", ou bien encore "fleur et jardin". "Tuéfils" peut signifier "qui a tué son fils" ou "dont le fils a été tué".

Dans les nombreux attributs du type "hommetigre", "roilion", brâhmanetaureau", nous avons choisi de retenir la qualité exprimée par le nom de l'animal : homme courageux, roi noble, puissant brâhmane.


  1. b)L'abondance des qualificatifs. Il n'est pas rare de trouver disséminés dans une même phrase quatre ou cinq épithètes ou attributs (l'absence de copule ne permet pas de préciser), qui se rapportent au même nom. Bien évidemment le français répugne à cette multiplicité ! Il nous faudra alors trouver des périphrases, introduire des copules, scinder la phrase ou même en omettre certains quand ils font double emploi, et qu'ils ne se justifient que dans le cadre d'une littérature surtout faite pour être entendue, et non, comme la nôtre, lue, quoique nous ayons eu le souci de garder au texte son phrasé.


c) Le sens des mots. Les mots sanskrits présentent souvent de nombreux sens, très différents les uns des autres, parfois même antonymes.

Par exemple : "para" (adjectif) signifie : éloigné, écarté; étranger, hostile; passé, précédent, vieux, ancien; qui suit; postérieur, futur, dernier, extrême; qui dépasse; pire; meilleur, excellent.

Passé et futur, pire et meilleur ! Il y a là une belle source de contresens ! Heureusement le sens des mots est souvent univoque dans un texte donné, leur acception est connue, le contexte aide (parfois !), mais il reste tout de même des lieux d'hésitation, nécessitant du traducteur un choix toujours délicat. Nous nous sommes toujours refusé de "voiler" ces endroits d'une formulation élégante et imprécise et avons préféré une clarté qui, hélas, pourra révéler l'erreur d'autant !


d) La construction des phrases. Le sanskrit a une syntaxe totalement différente de la nôtre. Emploi systématique du passif, préférence pour les mots abstraits, impératifs à la troisième personne, relatives qui précèdent l'antécédent auquel elles se rapportent, peu de conjonctions de subordination, pas d'articles, articulation floue du discours, place des mots aléatoire, suppression des copules et du style indirect. Ajoutons l'absence de toute ponctuation et de majuscules. La traduction mot à mot est tout simplement incompréhensible, et la phrase doit être totalement remodelée.

Voici ce que donne une strophe simple (V-120, 6) :

obtenant • [je] suis • cette-que (accusatif neutre) • dans-le-monde (locatif)  • guerrierdevoirconsistant-en (accusatif neutre) • gloire (accusatif neutre) • et • hérostitrefruit (accusatif neutre) • aussi • avec-elle (instrumental neutre) • que soit pourvu (impératif passif 3° personne) • le seigneur (nominatif).

c'est à dire :

"Cette gloire que j'acquiers (que je suis obtenant) dans le monde et qui résulte de mon devoir de guerrier (consistant en mon devoir [accompli] de guerrier), avec aussi les avantages (les fruits) du titre de héros, sois-en pourvu, seigneur."


e) Le cadre de référence. Enfin, et ce n'est pas la moindre difficulté, le cadre de référence est tellement évident pour les auteurs qu'ils ne songent pas à l'expliciter. De nombreuses allusions ne nous sont pas immédiates ; des références, mythologiques notamment, inconnues, des comportements, rituels ou sociaux, appellent l'explication. Par exemple, du jeu de dés, qui tient un si grand rôle dans l'épopée, personne ne connaît plus les règles, seulement le nom des coups principaux, sans savoir à quoi ils correspondent au juste.

Voici un exemple des difficultés que nous avons rencontrées :

Au chapitre V-107, Garu∂a, en bon guide touristique, décrit les attraits du Sud. Au verset 16, il nous dit littéralement y avoir rencontré l'éléphant et le "maraisbuveur" (kacchapa) qui se battaient. Le "maraisbuveur" est donné dans tous les dictionnaires comme étant la tortue, et la tortue seulement. Comme nous ne connaissions pas d'épisodes qui mettent en scène Garu∂a, un éléphant et une tortue, mais seulement celui où Garu∂a a sauvé l'éléphant Airævata, la monture d'Indra, de la gueule d'un crocodile (le crocodile ne boit-il pas aussi l'eau des marais ?), nous avions pensé traduire "maraisbuveur" par crocodile. En fait il existe bien un épisode où deux frères, Suprat∞ka et Vibhævasu, se maudissent mutuellement pour une question d'héritage, et devenus éléphant et tortue continuent leur querelle. Garu∂a les enlève dans ses serres et les dévore.


Vyâsa


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