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Editions CARÂCARA

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Un des quatre fleuves au paradis

 

Stéphane Liguren

PRESENTATION

La demande de publication que nous avons reçue de la part de M. S. Liguren nous a paru si juste dans ses termes que nous en admirons la sagacité. En voici les passages à nos yeux essentiels car proches d'une nouvelle conception éditoriale que nous voulons : " Monsieur, le texte que je soumets à vos soins (et à ceux de votre comité de lecture) se trouve être en véritable porte-à-faux par rapport à la production poétique et théâtrale contemporaine. Il est d'essence ancienne et n'annonce aucun futur besoin.
Pourtant voici un des enjeux posés : depuis Baudelaire, la poésie s'est écartée de toute narrativité et a ainsi fondé sa modernité. Une telle forclusion se fait au profit d'une parole revenue à regarder son Etre. Il en est de même pour le théâtre que les expériences becketto-brechtien ont dégagé de tout action à nouer et à dénouer.
Sans nier ces apports, il m'a fallu retrouver dans des formes antérieures prises à des littératures autres que la française et à l'oralité ancienne de quoi fabriquer une néo-narrativité. Le sentiment planétaire qui se développe oriente, à mes yeux, vers quelques nouveaux fils d'Ariane à dévider, selon une sacralité régulée mais universelle..
Quoiqu'ayant contacté en 1989 un éditeur, j'ai refusé que le texte échappât à mes hésitations et modifications et bien que ce professeur du Collège de france dont le nom est lié à la poétique m'ait écrit " je lis votre travail avec beaucoup de respect pour la somme d'exigences et d'intentions que vous avez effectuée ; je ne suis pas sans mêtre intéressé moi-même à ce vieux récit celtique et vous suis reconnaissant de le rendre à notre souci d'aujourd'hui", j'ai su à ses mots que le temps n'était pas mûr. Internet n'existait pas comme instance d'une forme de communication qui ne juge pas d'après le temps (aucun site n'est vraiment daté ; une unité s'est constituée et agrégée, et cela seul importe) car ce texte fait appel aux conflits d'information (que croire qui soit moins improbable que potentiel et d'un désir légitime?), aux adjonctions du hazard (les trois compagnons), aux errances d'hommes incertains quant l'existence d'une quête alors qu'ils en réclament désespéremment une ("un peu de finalité" est leur cri), à des certitudes acquises pour qui navigue (patience et régularité sont comme le travail des coraux pour des îles fragiles).
Aussi la consultation des pages consacrées sur le site utqueant à saint Brendan m'amène-t-il à vous soumettre cette continuation. Je la vois théâtralement parlant faite de fresques mobiles avec des zoom momentanés, d'une mise en scène des paradis licites des images virtuelles, du bruitage des ailes d'un oiseau sur un coracle, de dialogues de voix off, d'une chorégraphie d'ombres chinoises et d'une intrusion dans la Nature (les paysages naturels absents de nos mondes urbanisés et téléchargeables s'y redéfinissent cosmiquement)
J'ai trop lu pour considérer par aveuglement d'auteur que ce texte soit mineur. Il est à part mais je crois en votre jugement distingué. S. Liguren."

La qualité de certaines phrases, la beauté de ces images pieuses mais cosmiques, l'immense mouvement de certains plans fuyant de tous côtés ont été pour nous décisifs. M. Stéphane Liguren s'est refusé à tout autre confession quant à d'autres oeuvres ou recherches. Nous respecterons sa volonté de discrétion et proposerons donc à nos lecteurs "Un des quatre fleuves au paradis" tel qu'il nous est parvenu.Nous osons le dire du genre Théâtre. Catégorie approximative. L'histoire de la navigation de saint Brendan nous paraît fidèlement suivie mais ce sont les "débordements" qui font l'intérêt et le charme de cette oeuvre. Nous aimerions suggérer cette idée que sa lecture nous a procurée : dans nos rêves, il arrive que l'on se souvienne, le rêve y est un souvenir et au réveil nous nous souvenons d'un rêve de souvenir. Ce texte étrange est comme fait uniquement de rêves de souvenir. Or le souvenir agit comme un filtre éporant le rêve si bien que l'on comprend pourquoi le récit paraît si pur, ni-réel, ni fantasmatique, en immersion vers la lumière.


Un des quatre fleuves au paradis

Sommaire

I ère Partie
II ème Partie

III ème Partie
IV ème Partie
V ème Partie

I ère partie

Voix 1:

Moi qui devrais et oublie, moi qui pourrais et me tais, mais est-on sûr d'avoir un devoir qui soit sien, mais peut-on croire à un pouvoir qui vous tient, car doute de cela j'ai et de plaisirs m'étourdis. Si je savais, je dirais, si j'avais le mot, idem, toutefois qu'aurais-je à révéler qui soit vrai, toutefois qu'ai-je à dévoiler de très sacré, quand je tente le portrait d'une vie pleine d'amen. Un Seul peut seul m'apaiser. Son nom survient à mes lèvres. Un Seul peut seul m'apaiser. De ton nom ouvre mes lèvres.

Barint (cet homme revient du paradis):

Je commence mon embarquement par le récit de l'eau régnante vierge sans d'autre volume que l'appontement mouillé d'un cil, de Dieu jailli, d'où mon vaisseau s'élançait à l'aurore qui s'allume.

L'air alors inspiré soufflait aux tresses des voiles leur puissance dressée puis leur force élevante; axe limpide tendu vers la première étoile, tout autour, le vent de l'éveil ses merveilles évente. Hélas, je m'en souviens, c'était vraiment autrefois. Le vent de l'éveil donnait à mon vaisseau sa foi et d'amples corridors s'habitaient à son passage, amical murmure allant à son hommage!

Puis la mer, miroitement du ciel et de la lande, fut étendue pour que mon errance fût très dure, pleine de renvois, de résistances à ma demande, lourde de peines sur l'abîme, je vous assure. Ciel et vallées terriennes furent voilés de deuil. uniquement la mer aux collines crénelées et j'ai voulu posséder au milieu des écueils que la clarté soulève, le reflet affolé de nos visages rompus qui se veulent éternes. Au dos de la lumière, de grands naufrages ternes s'ensuivaient que la mer recouvrait, manteau de rides, tragique carène de poutres d'où l'on s'évide!

Mon sillage un soir naquit comme une ombre gonflée sur l'inclinaison flavescente de la lumière, et là, devant, ô laide carapace enflée, c'étaient maints tracés et routes, flottantes frontières, où nos âmes s'enlaçaient de regards et de bruits et s'entrenouaient en grappes humaines brutales. Nous n'avançions point; ce n'étaient que vastes réduits pour nos amarres, goulets étroits, gouffres fatals, ouverts aux cimes de nos doigts sans prière aucune, idoines à la transparence de l'infortune. Nos âmes insulaires cherchaient à s'assurer, par les midis déchirés, de l'Etre encore muré!

 

Brendan:

O maître, quelle étrange aventure ici contée d'un lieu infime lointain et soudain éployé, perdu lorsque tu voulus l'atteindre et déjà là, quand tu sus le reconnaître au-delà et l'aimer!

Que de peines pour nous l'annoncer et revenir en ces trajets inverses, en ces pentes sans fin, mais l'espoir que tu soulèves est brusque fracas

Qui voudra tout perdre et ne rien pouvoir saisir ?Nos doigts glisseront sur l'eau, nos rames pèseront au gré des ans, au gré des vents, en pensant à toi.

Qui laissera ses rêves et se contentera d'un autre plus difficile et d'une pauvreté sure? Aucune issue ni direction ne nous appartiennen.

C'est ce que dit ce récit insensé et puissant.

O Barint, oncle de mon coeur, pourquoi l'avoir dit ? Maintenant tu t'éloignes et retournes chez toi. Et nous alertés et un vide hors de nos biens stables nous menace de sa force. Nous devrons partir.

Voix 2 (récitatif)

Sur le chemin menant loin de Clonfert, suivi de ses compagnons bien aimés, vers un cap comme une étrave versé, troué d'un bassin en sa pointe vert, Brendan va pensif et plein de joie, disant : (Voix 1)

"Inattendu le messager s'est approché. Il a pleuré longtemps. Il a vu la Terre Promise, et son récit enchante et conduit à partir."

Puis la marche lève d'autres pensées. Ainsi:

"Si j'avais à parler de ce que je ressens à chaque départ de mes jours, dont les moments charpentent l'assise grandie de mon berceau, je dirai qu'affleure l'inconnu doux et beau, caresse constante qu'il faudrait remercier, mais je ne sais s'il faut ou comment se fier.

Adieu, Plaire, dieu des carrefours entamés, et bientôt déserts. les passants détachent leurs regards. Un interstice au loin pour moi, plus qu'une fente, s'est ouvert, entre des vols de plaintes, ô mes pauvres tracas! Il me faudrait dire ce que je vois ; boiteux je suis. Les blocs sont encore brumeux, peut-être hauts, et me fuient. Qu'il est étrange de retrouver ce que nous avions pensé : de tout ce qui fut lu, voici les premières avancées et de ce que nous croyions être nôtres, c'était du déjà estimé! Aucune jalousie, non aucune, mais le plaisir dicible d'être en voie avec d'autres meilleurs que soi en vue, et l'admiration, de la savoir encore possible, pour d'autres merveilles qui ne seront plus de cette étape où nous sommes arrivés."

Voix 2 (récitatif)

L'arche est entrevue et servira de modèle. Le choeur chante comment il tire de la forêt arceaux d'if et d'osier pour fabriquer le coracle :

La futée d'aiguilles dans le ciel losangé, carapace plombée désastre en dommagé

lasse et lisse en son port échoué sommeillait nuages entoilés bleu pomme blanc émaillé;

La haute futée pointue au damier serré, barque d'arhe reombée tel un astre enterré luisante, en son silence de sa mort s'endormait, ombre des âges voilés des cieux alarmés.

La futée des rames dressées aux hautes voûtes, boucliers bombés et noueux, craquantes soutes, se brisant, plaisante au vent lent, forte sombrait, partage de fresque étoilée, le jour montrait.

Voix 1

Après l'affort, il est silence. Une fois la carcasse assurée, l'on se mit à coudre le cuir rougi du chêne et à enduire de beurre, ces peaux pour la coque. Tout est gréé pour accueillir, et l'un d'eux dit alors aux autres : "La réalité ne nous inspirera plus abstraite, distraite mais l'incessante émergence des royautés qu'elle assiste au jour, couleurs, syllabes et formes des carrières de l'Esprit extraites, et nos deux mains maladroites pour les fixer offertes, tendues, et pouvoir dire à chacun qu'un regard d'amour sut bien les garder!"

Voix 2

Trois compagnons s'avancent au rivage, se joignent aux quatorze premiers, prient qu'on les prenne, même à venir en trop. Ils s'expliquent : ils espèrent partir. Saint Brendan les écoute avec bonté :

Le Premier compagnon :

Tandis qu'un vrai sculpteur placé sous sa statue sans cesse lève les yeux vers l'inconnu, espérant non pas faire mais témoigner pour nous de chaque parcelle et merveille, moi, j'avoue, je me veux sans interdit, démiurge du faire, et donner à voir aux hommes de mon aire.

Et si j'étais seul devant Dieu, que lui dirai-je? - Laisse ma puissance se heurter à la tienne. Aurai-je su aimer sa création, la lui rendrai-je?- Oui, certes, complétée de celles qui me viennent. Que lui dirai-je, s'Il m'interroge sur l'heure de moi placé sous la lumière du Visible, de mon esprit jeté à son vrai crible?- O Seigneur brise-moi, j'ai mérité ces pleurs, ouvre mon âme à tes splendeurs ; je les aime mortelles, semblables à mes passions et haines, moi qui m'embarque sans une croix pour que ma peine soit, sans être prêt sauf à l'évidence même?

Le Deuxième compagnon :

Le vent a crissé sur les murailles là où je dormais, là où défaille ma tête, puisque les mailles de l'insomnie et du rêve me disaient leur lutteuse envie. Joie, souviens-toi, lâche oiseau de proie, dégage ce froid regard sur moi, là où mon foie remire ses moirures que mon âme au jour a mises à l'épure, repos! Il n'est déjà plus temps, ô non, sz s'élancer loin de sa lassitude aimée, coup d'oeil sur les veines d'un doigté qui n'aura jamais à porter de nom ! Le vent de l'Eveil souffle. pour moi qu'importe ! Là où il frappe, les rumeurs tressent de sages saveurs. la poussière seule à ma porte étouffe en degré de silence ce léger hommage. et les pluies sont si douces d'oubli. Si j'ai pensé aux bruisances de la gloire, sur les hauts mâts (modèle de raideur) glisse la Moire. Que les mauves pluies entourent mon abri !

Le Troisième compagnon :

Un objet lisse calme l'irritation, calme de glace ! L'être humain est rugueux comme les pentes d'une crevasse, irrigation de sales désarrois chevauchant sur leurs queues. Et quand je pensais, je me cloquais d'azur faux (blancs tourments pustuleux, que nous arrive-t-il?) et j'explore le firmament, tel un crapaud d'une bave oculaire, heureux d'être habile ! Putréfaction, déesse de l'homme navrant, je me meurs sur ton surplis, consultant l'ouvrage d mes mains cérébrales voleuses du vent d'autrui, car moi, je suis l'impuissant bavardage. Face aux aurores , que dire de leur blanc miroir, sinon je vous ai sues, et le courbe soir avait votre fard, ô ùonde, pardonne-moi de n'avoir pu que monter ou coucher en toi ! Etoiles distillant la tristesse, me yeux suintent l'infertile semence du Vide, gangue rugueuse des différences moqueuses, vous souvient-il d'un lieu cristallin non perfide ? Le soir tombant, l'être se couvrit d'ombres incendiées. malheur à moi ! De la vie j'ai tant démérité !

Voix 1

Saint Brendan les avait écoutés, il reprit :

Saint Brendan :

Il est temps d'aller. La mer aux paillettes légères soutient cette belle étrave, et le vent effleure et vient soulager nos coeurs se devant de partir au loin. A Dieu il est temps, puisque notre port prochain ne sera que si nous grandissons !

Voix 1:

Le vent est tombé, et les rames pèsent. Enfin la dérive doit être acceptée. Quatre compagnons parlent à tour de rôle :

" Gifflures sèches et brèves je reconnais celles que je donnais.

- Qu'elles me reviennent est juste. Et qu'elles me résistent.

- D'un rien j'avance en rien malgré les côtes rendues invisibles, à mon départ converties au nuisible

- Et pourtant ce n'est repère encore d'aucun bien !"

Voix 2

Nulle aide du vent célébrable car le célébrant l'ignore et l'Esprit du lieu lui est inconnu : langues molles et sales je vous essuie de mes bouches enfuies en rouleaux méchants et vains, haleines fades, écoeurantes atteintes, voici que vous me revenez, poissant à ma voile livide, et c'est justice qui ne s'évite, tant dans vos rêts vous me retenez !

Nulle saveur de l'écume aimable car l'amant débute et le Sel du monde lui est inconnu.

Et sur ces bancs où le sommeil des pavots de l'esprit faussé m'a tenu, où chaque effleurement des idées de la cité, m'a détourné, nouvelles babels, j'ai mis à l'épreuve de la perdition mes forces que mon orgueil voulait gouverner, quarante jours durant, quarante jours sans errer ni avancer, vois cette mouche sur la transparence se heurter, et dans un abandon désespéré, tomber au pied de l'ouverture offerte depuis toujours à sa délivrance ! O pardon, prends-moi ! L'Aurore est trop grande pour mes poumons.

Voix 1 :

Nulle ampleur encore à l'apprenti !

Le soleil s'évase en minuscules grains et son amour rayonnant durant le jour fait naître pour lui répondre la lune bleutée douce première qui épanche sous elle une corne mauve et jaune, tenues gouttelettes vertes et rouges aussi. Comme la croisée de deux appels, chaque intention soutient sa répartie et l'oraison élève une parcelle patiente jusque là attentive.

Voix 2 :

La première île apparaît comme un mur. Nulle entrée mais sur les roches lisses, s'étire le rideau serré des eaux pour des lèvres assoffées. Ah ! emplir nos outres ! Saint Brendan nous le refuse. Attendre. L'eau douce sous nos regards !

"Eau blonde et douce, miel d'azur frappé, nous recueillons tes sons, sans complaisance, justes selon notre prière devant être plus glorifiante, à chaque préférence avancée.

Faut-il que nos actes de respect serpentent en odeur pourrissante de reliques, en ombres humides, en chuchotantes saintetés, en suavités démentes ? O transparence bleue, couvre-moi de ta splendeur liquide !

Que cette eau, salive fruitée de la terre, décourbent nos pensées vers des partages aimants ! Et si je touche vos reflets, ce n'est point pour les briser car j'ai beaucoup peiné, et chaque ride des flots comme chaque ligne de nos livres enroulées étaient un appui momentané pour moi harassé.

Se recueillant avant de s'épandre en des vases secrets jetés à l'intérieur comme l'attente de la Vierge ! Et moi, suis-je assez creusé de l'humble détresse et faim pour asiter les promesses, semences de mon
coeur ? Le suis-je ?

Reflets joints à mes doigts, tournures nouvelles, j'enfile un par un vos cercles célestiels, vos cordes torsadées jusqu'aux extrémités duelles qui me prennent et vont, me renouvellent, lèvres et face frappée aux premières contemplations et processions, celles de l'infime aux multiples, celles du monde soufflant de toute son âme ! Aidez-moi à maintenir ce long filet aimant et prière de mise en pardon de mes égoïsmes.

Voix 1 :

Une source était chaude, l'autre froide. Trois jours pleins nous allons pour notre peine autour de l'île dont la berge est mince. Notre esquif se coince dans une brêche. L'on descend sans rien prendre du navire, livrés et dénudés. Un chien survient. ce que pense saint Brendan est ceci :

Saint Brendan :

Cette première île est sans couleur aucune, à peine mise pour nos pensées engourdies qui se défont aussitôt de nos souvenirs et sans trace, ô non, et ma main est lointaine. Lorsque je descendis, c'était hier au moins bien que les codages tenus encore au poing le soient en ce moment et tombent sur l'arène, rives accédantes à mes chemins de peine.

Et je ne connais point de joie ni de remords mais les linéaments et mon insuffisance. Cendre sur mes lèvres, pâle appel en accord : ce chein me répond, sereine résonnance !

De très minces gradins affleurent en chemin à l'image de nso disgracieux soupirs, selon notre orgueil. Hélas ! L'orbe des terres se retire sans val ni colline, platitude sans fin.

O que ne suis-je en contrebas, creusé profond pour de douces adorations, voûtes rejointes de ma candeur et des limpides créations dun temps royal, mature et livré vers mes soins.

Voix 1 :

Se dresse deavant nous une cité parfaite comme en rêvent les humains. Partout l'or et l'argent ornent la place, les tables sont servies, les lits drapés. le repas est complet dans ce château désert où trois jours et trois nuits un sort mystérieux nous rend tout facile et simple. Cité des forces reprises, cité de lassitude aussi, trop bien parée. L'un de nous goûte l'ivresse de l'or. Il est venu en plus quand nous partions. Saint Brendan pria pour lui durant la nuit :

Saint Brendan :

Sa nuit crayonne de valeur et relief les choses et son âme à ses regards se garde et se prend, prisonnière de sa possession sans cause, car l'oeuvre est bien créée sans biais ni fard pourtant !

L'Ethiopien nocturne a caché les ressemblances, détourneur subtil, entrave dépareillante qui donne à ces présents trop pleine résistance ! Plaintive matière sous sa coupe souffrante !

Je la vois refuser de servir à ce rôle, pleurer 'être palpée, et vouloir s'écrier "pardonne-moi, je suis toi-même ! Ne sois pas fol, c'est toi que tu voles, faut-il t'en prier ?".

Voix 2 :

Au troisième matin il déroba un frien d'or malgré trois nuits de prières que le saint passa pour l'en préserver. Tous nos membres furent paralysés ; une torpeur sans nom s'abattit sur nous. L'homme de Dieu désigna son larcin et de son âme torse, en sa nuit, sortit un diable noir que l'on chassa. Et son âme et son son corps se repentirent. Comme voici l'une parla, puis l'autre :

- " Dehors l'incendie aux cerceaux blancs a fait des nattes cendrées aux frondaisons, et dans l'étuve, de nos doigts bruns et longs, nous terminons une humaine oraison, triste poids sur nos coeurs, peine désolée, si c'est faiblesse, que Dieu l'ignore, si même de pressentir notre vacuité ne nous fait pas changer , ô grâce, viens-nous en renfort! Et pourtant j'ai courage !"

- " Multiples sont les creux et les ampleurs nocentes où perdre nos regards altérés de retour et les étoffes voûtées de la fin du jour tombent aux fentes de nos âmes qu'elles fragmentent ; leurs pliures désignent ces corps à nos désirs tandis que les remords funèbres font souvenir des cercles d'amour illicites et compossibles où nous serions allé, hélas !, mariés au visible. Et pourtant j'ai faiblesse !"

Voix 1 :

Il fut emporté son âme, et son corps placé en terre. puis nous repartons. le vent poussa sa fièvre à nos pommettes et nous parlions tout haut, chacun pour soi, vu que nous suspections une venue. Ombre solidifiée de jour en jouir par les divers leux de nos abstinences. Mais si le temps passait pour nous détruire Saint Brendan s'interpose et nous rassure :

Saint Brendan :

Un homme que je ne peux identifier est sur nos côtés, ombre envore bien fkuide, qui nous rendra sans crainte du temps dévié, aide éternelle, épouses si candides captives de ma prière s'avançant lentement plutôt les approches plaçant de sons, de pensées, d'appels, et de mercies ! A ses marques nos yeux n'auront pas vieilli. Las ) Des vols ineptes nous avaient brisés et les cris vides des corbeaux de mer lâchés dans la cour des nuages se répondant ! Las ! Sous les calmes ardeurs du midi blanc par les voiles déchirées de la nef très lente, j'ai tourné en des détresses affolantes où les années pinçaient la joue d'une ride et d'une autre, en un jeu certes placide ! Par ses dons vos doigts ne seront point usés ni notre amour malgrè les rues désertées de notre enfance d'où nous sommes partis comme il se doit, et qu'il survient pour ici !

Voix 1 :

Succède alors une île d'herbes hautes, moutonneuse comme plaine océane. le ciel était couleur du viel argent. L'habitant de ces lieux vint à l'autel des prairies ascendantes pour l'agneau de la Cène. C'était vendredi saint. du troupeau de l'hôte nous avions pris comme il le voulait, une de ses bêtes. Jamais troupeau ne fut plus beau, plus gros : rien ne pouvait altérer sa splendeur. l'agneau laineux était plus grand qu'un boeuf. De nuit, nous allons sur l'îlot voisin. Il le fallait selon lui. Nous le crûmes.


IIème Partie

II ème partie

 

Voix 1 :

Après quoi, d'arriver sur le dos d'une île pour célébrer Pâques. Et sans brouillards ni sommets, sans murailles ni chemins étroits. Aucune ligne dressée ou couchée ! Lieu sans décor ! Sable sale ! Recueillement d'aucune parole, surgissement d'aucune attente : d'où point d'évocation, point de charme. Rien ne pouvait servir de base, de support à nos pensées, à nos émotions. Lieu sans sans symbole, sans indice ! Simplicité énorme, des lumières grises ou bleues, et l'on se heurte avant, là où nul arrêtoir n'existe. Durant la nuit, nous veillons. Puis, au matin, sur la corne bombée, le feu brûlera sous le chaudron des chairs crus.

Saint Brendan :

Dans les Ténèbres de sa descente, ô pleurs inclinés, malgré son flanc déchiré, nous touchons le bord abîmé d'une île fléchissante à la nuit, à d'antiques rumeurs, veillant par tous nos sens au profond revenir du Passeur. Dans la nuit, pas à pas, cédant à sa marche devançante, absous, je vous vois surpris aux flots de l'Aurore géante, là, sous le damier soudain du Ciel aux multiples maisons. Vestige ! socle vacillant. L'île se meut sans raison!

Faibles témoins de la splendeur, voici ce lever céleste composant son visage, par les rues divines et vastes, et nous assistons tremblants d'autant de substance réelle pour nous, au resurgir immortel de l'homme-aux deux-noëls.

Voix 2 :

Saint Brendan apprend à ses compagnons la nature de l'île sous leurs pieds :

"C'est un poisson et nous logeons dessus pour qu'à l'ébranlement vienne le socle . "

Les compagnons :

Vertige ! Rien ne commence au vrai et tout s'éteint sans cesse. angoisse folle de la bouche retenant le souffle car l'Avent l'Après se mêlent, mémoire errante et gonfle comme les vapeurs de plomb mélées, pesantes, retenues. Intolérable lieu d'étouffe ! A l'intérieur prison ! Le vol des Erreurs sur nos épaules, sous nos pieds remue, horreur visible, la tête perdue dans la queue-poison.

Voix 1 :

Saint Brendan rassure ses compagnons et les entraîne en un jeu scholastique.

Saint Brendan :

Lieu ! Où suis-je par vous ? Et si vous ont agrandi mes peurs d'accès sombres, de golfes noirs, sur votre dos maintenant, la Lumière apaise mon malaise, détachant les heures en brindilles sans nombre, et ses rêves vont nous imprégnant. Vois le réceptacle aimé de dieu, maternelle patience où l'homme et la Nature s'en viennent pat tant d'existences, obéissante à l'oeuvre de l'esprit, se courbant en soi, image donnée pour nous secourir, mon âme pour toi !

Les compagnons :

Quels lieux ai-je traversés, aveugle d'âme, où il faudra sans doute revenir pour m'en être détourné sans amour et n'avoir point vu leur beauté ? De combien de mépris et de méprises me dois-je repentir ? Quelles chutes nécessaires ai-je repoussées jadis et bientôt, par ambition ? Et ces lieux se dressant, m'appelant pour être sauvés par mon attention.

Saint Brendan :

Ici, soudain, imbibe mon esprit de belles abondances.

- Présences pensées en des liens subtils, proportions étranges où l'endroit de notre misère est quelque juste mélange d'une épreuve pour faire naître l'attente, d'une inconséquence pour trop peu de prières et bien trop d'ambitions légères, du grand sourire du destin cherchant le nôtre aussi, d'une secrète mission de témoin prévenant l'oubli, -

Et cela pour dire de goûter l'endroit le plus amer.

Les compagnons :

Lieux splendides, espaces de mes rêveries, en vos miroirs charmeurs, j'ai perdu mon visage dans la vacance et le saisissement. Sont-ce mes traits, est-ce mon front bien trop radieux et fardés ? Complaisance coupable où j'ai laissé mon coeur, jardins non muris au drame de l'Etre, comment vous extraire ?

Saint Brendan :

Quand le corps se dilue, sensitif, au grè des impressions, attouchements des soirs parmi les flots dorés sur la grève, faut-il que je m'en aille et sans m'attendre à nulle trève fuir les places envoûtantes, vacantes dépressions que les vents chauds effleurent et la couleur les endimanche ? Confiance ! Elles apparaîtront dans la Lieu quand il le faut. Et je ne peux les recevoir encore si je sais l'étau et le Drame du Monde en pleurs ! O pardonne mes absences !

Les compagnons :

Afinités présentes, où ce que j'étais et ce que je serai, tentent de s'aimer par l'équilibre d'un paysage, dites si mon âme vous cherche pour quelque accord ou apport d'élévation prête à venir et si je vais à votre rencontre, vous qui me précédez et m'entraînez, est-ce afin de correspondre mieux au désir de mon être à parfaire ?

Saint Brendan :

Moi qui parcours les quatre principes, selon toute vie, j'ai connu boue, poussière, cendre, et pourtant jamais terre, le feu non plus, mais l'alcool, la sueur, la brûlante pierre, et que dire de l'eau et de l'air sans plus de menterie ? Vers quelles humeurs de paysages m'en suis-je donc allé ? Sans savoir ! En eux j'ai supposé confidence, accueil, bien que ces horizons m'aient devancé, précédant l'éveil de mon destin, image de l'intérieur même appelée.

Les compagnons :

Et nos pensées impures,sur les faces cachées des errantes planètes, s'en vont, traînes malsaines, mélées de Bien que le Lieu, miroir de l'infine bonté, en son coeur reçoit, réceptacle des prismes de l'Esprit. Ah! si je pouvais sans cesse mériter les flots doux et vibratoires que le Souffle berce sur ma barque !

Saint Brendan :

Quels astres ai-je doncques mis en place, déviant leurs membres au-dessus de moi, pour mes actes , et quels désastres même ? O lieu criblé de marques douloureuses, support amoène, te voici tamisant nos cieux infernaux de tout le Sombre et en ton sein-miroir faire naître la couleur, ce coeur du monde suffisant à nos soins, noyau réel ouvert ! O lieu, l'espprit dévié par nos fautes se jette pour l'heure en toi. Ne puis-je à ta semblance être cet accueil convers ?

Voix 2 :

L'île-animale s'enfonçait ensuite et nous reprîmes place sur la barque. Des archipels menaient leurs promontoires. L'homme revint dissipant ces contours. Sur l'Océan nos rames s'étiraient vers telle poussière dorée à l'Est. une vaste prairie,lagune fleurie, le joignait à une île plus au sud. Le vent nous laissa, à l'orée d'un fleuve. Saint Brendan nous y conduisait plus avant.

Les compagnons :

Sans cesse nous halons, courbés sur ce sillon et toutes nos pensées, comme des rayons, dénouées et lâches, hors du splendide moyeu reviennent et rejoignent peu à peu des filéaments, des attaches soudaines, paysages nervurés, architecture subtile, les emboitements légers de l'eau et du ciel. sans cesse nous halons, et telle est notre peine.

Voix 1 :

Le fleuve se réduit, simple filet d'eau et d'air. Cette attache sinueuse, est-ce le monde ? Et les fibres de la matière supportent notre envol de leurs ailes et rêveuses spirales !

Les compagnons :

Ces falaises sur nos côtés s'assemblent bien au rythme de chaque élan sec sur les filins. Le flot étroit porte à peine le viel homme sur la barque pleine. Remis à ses mystères, et nous réduits à cette remontée. Où allons-nous en cette veine qui se resserre ? Le Ciel est triangulé.

Saint Brendan :

Les crêtes poussiéreuses font des sommets frangés, aux vents là-haut, plongent des regards au gré des maigres eaux, le point d'accostage extrême affleure.

Les compagnons :

Et nul d'entre nous ne sait s'il l'atteint en même temps que son prochain, nul ne deviant si le viel homme malgré maintenant, est avant ou bien après mais seulement qu'il nous attend si tellement patient ! Effort mené, aimé, vous dois-je de peser ! Appel me voici à vos pieds déposé !

Voix 2 :

Arrivés, nous voyons un arbre immense, une floraison de plumes le cachant. Quel silence aussi ! Où vont nos pensées ? Là, assmblés telles ces volatiles ? Habits de fête, chevelure unie. Il pleurait de ne pas comprendre plus, courbé à la jonction du fleuve-attache et de l'arbre s'appuyant contre ciel. des mots troublants surgirent de ses lèvres :

Saint Brendan :

Mon esprit autrefois versants de hache ne conçoit plus de contours sages et les formes déchargées de mes rêves ne tiennent plus entre elles. Le Visible s'éteint. Un reste de vue aux cils vibrants du monde. Se dresse ce pur visible épars, délivré. Le Pur Visible m'absebte loin de toi, ô Créateur, bien plus que les mondes clos à mes yeux. Est-ce de ton Oeuvre le vrai sens ?

Toi qui m'as mis en chemin, aide- moi.

Naissent ces Oiseaux sur l'arbre lourd de présages le couvrant de leurs ailes, toile de nuages - aucun envol incliné au-devant du couchant - mais les voici pour moiu en cette heure si blancs ! Et de quels messages dites-vous le signe, pour quels prêtres soupesant vos silences ?

Hors du chaos éblouissant, prends-moi.

Le Pur Visible s'unit à l'infine Distance (Désirs, raison meurent à mes côtes ) ; il élance mon esprit aux sombres prémices de la détresse car je ne puis l'aimer et penser avec justesse. Faut-il que vos Mystères , ô Créateur, soient moins secrets que l'Evidence à nos sens ?

En ces extrémités des terres, donne espoir.

Je n'ai point de mérite (pourquoi cet accueil constants malgré mes folies ? ) et mes ans si nombreux sont autant de fautes entassées (mon orgueil à mes progrès s'éprend) mais prière peut-être en votre pitié ! O Pur-Visible, ton apraître étrange pour moi s'engage-t-il aux bouches où ressuscite le Corps ?

Enluminures, l'illumination de l'irreprésentablel

Voix 2 :

Alors sur la proue verte du navire soudain se pose un souffle ébloui d'ailes

- délicate cascade de sons clairs - et par leur frottement, il lui fut dit :

L'Oiseau :

" Nous sommes la trace des vents sur la feuille, l'inégal bruissement des jours s'effaçant et le sable écrit de vos pensées subtiles dressant dessus vous les doux arceaux de vos rêveries tissées d'amour et les voûtes multiples de vos appels.

Nous suivons le fil de ces courbes éternes et de leurs ombres , mauves et souples, pleines, au gré de vos joies, admis à vos services lorsque montent les chants de vos âmes qui composent et polissent la surface du Visible, Visage du Plus-Souffrant.

Marches et seuils anciens, colonnes en ruine quand vos esprits déjà proches et pieux peuplèrent, les salles d'inquiètes fresques, aux yeux si larges, sont encor nos séjours et passages aux soirs de vos erreurs sanglantes, temps de péchés et lancinants anathèmes !

Vos meilleures pensées portées sur nos ailes (Où doncques s'engouffreraient-elles sinon ?) et leur suc assemblé parle à l'entour, telleune sève nourricière et sel enrobant les rameaux écorchés de l'Arbre aux racines fleurissant au Ciel.

Ce Pur-Visible est ton domaine ardent. Mais pour nous, à brûlure de notre erreur, éloignés par une faute, brûlant d'être loin de son Visage Premier et pardonnant faut-il vous dire laquelle ruine nous emmena si loin ou si bas à la suite d'un Maître inventant le Mal ?

Lui, par obéissance nous l'avons suivi, le Maître de l'Abandon et des Béances, par de vastes vertiges et malheurs qui gonflent le dire à l'infini, tombant à sa suite sans fin sans ardeur.

Lumières à l'aube, pourquoi cet éclat, vos fronts splendides, ces perles couronnantes sur le moindre rebord apposées, et tant, puisque j'ai meurtri ce que j'étais ? Ces lendemains n'ont point d'amertume malgré mes doutes et mes fuites, malgré ?

Flot insensé du Pardon (nous étions atteints) aussitôt effaçant cette appartenance à l'Antique Ruine des soirs ridés ; car ces corps nous sont offerts pour toutes les fêtes et prières ; là, nos ailes grelottent d'attente folle.

L'incarnation, chair des pensées, soutien ! Mais les fatigues vôtres s'en vont anciennes et celles qui seront ; faibles et pesantes journées, d'où s'évadent les récits des lèvres, désir furieux du grand abandon, vous cesserez comme pour nous-mêmes, et les mers vides des lunes ensablées.

Puis les heures passées encor à peiner où chaque embuche résume l'imprévu bien que nul contour de vos pensées ne naisse et nulle grève acquise à vos rêves, bien nombreuses encore, vous dirai-je, ouvriront devant vous les routes promises. Les lointains assemblés le seront par vous

Durant six ans de parcours sans d'autre trêve que la poussée de vos admirations et le dos de ces îles en fête, îles à Pâques et Pentecôte et l'île blanche des moines à Noël.

Assurante parole appuyée devant là où se tissent les instants, associant de vos amours la transparence future et convenant à vos actes, Si, par Toi, nous donnons prédiction, ce n'est que pour consolider leurs appels!

Divination, courbure vers aimer!

Voix 1 :

En ces vols, Pentecôte s'acheva. Puis, hantés par leurs chants et leurs paroles, nous repartons sous un ciel craquelé sans plus sentir les durées, temps d'absences, parce que nous tournions et agencions avec peine leurs durables échos même aux matins de ces journées semblables retombées sur nos épaules vieillies même aux soirs de ces nuits trés identiques où la misère engendrait vive envie. Choeur, parle-moi comme au creux de ma tête, dis ouvertement mes hésitations !

Les compagnons :

Les vents dans la nuit nous parlent près comme un appel bien lointain aussi en souffles soudains et dégradés, en basse sourde trés inégale, comme une rumeur comme le ressac, à l'époque où je sombre et renais !

O bruits assemblés, gonflés sous la lune, à mes oreilles vos flèches vous lancez afin d'ouvrir mes sens à d'autres grèves, sous des vents lagunaires qui m'exilent, laissant à mes lèvres pleine amertume et le curieux sentiment d'existence. Pourtant mon coeur pincé, nu, malgré vous, a désir de cette terre intouchée et ne connait point d'autre agrément.

O ces voix recueillies en de vastes cours, pour nos mémoires tempêtes, insomnies, pourquoi tant d'efforts à nous laisser en pleurs ? Certes, si nous ne sommes point sur les crêtes glorieuses des courants parcourus d'humeurs, pourquoi tous vos à-coups à nos bords tremblants puisqu'il s'ensuit cette dérive marine ?

O souffles alourdies de fine pluie, si tièdes, trés nocturnes, fièvres et langueurs indolores, faut-il dire de votre nostalgique impact le poids sur nos actes et nos pensées profondes comme une brume douce mais génant la vue, comme un bercement. O douceur fade, pallide semblable à l'or versé des soirs endimanchés, faut-il redire notre dégoût et notre fuite? Les vents de la nuit nous parlent près comme un appel bien lointain aussi .

Voix 2 :

Huit mois passèrent ou trois. Nous jeûnions. une île parut de port très étroit. Le long des pentes abruptes, deux sources glissaient, l'une trouble, l'autre limpide. Notre soif aiguisée, rendue réelle, voulait cueillir sur nos lèvres de sel de quoi les amincir, à leur filet. Le saint homme l'interdit. Pourquoi même ? " Ce qui sera donné, vous le prenez ?" Nous dit-il, rejetant nos paumes creuses sur le bord de la barque, sans un mot.

Les compagnons :

De nos doigts à nos lèvres l'épaisseur d'une montagne, la distance des sillages, l'étendue d'un monde plein. Cela entre nous !

De nos paumes à nos yeux, de nos attentes à ces offrandes, de notre soif à ces sources, l'arrêt de Qui Provient yrop bien venu pour venir ainsi.

Honneur à qui déconcerte. Et Cela parmi nous !

Pardonne nos gestes. A regarder les sources, ce bruit, ce volume, cette allure, engendrent nos désirs et nos attirances. Nous voudrions bruire, enfler et rejoindre la puissante danse des mystères mais cela détruit l'espoir à viendre

D'aucune attente l'équivalent !

Saint Brendan :

Ne joins pas encore nos lèvres ce pourtour de nos brèches. A l'inattention de l'être, réponds par l'éveil-maître. A chaque instant perdu en ouvrir un de plus et cette chance abandonnée fais la revivre, que je la voie tant de fois et tant de fois jusqu'à pouvoir Vous aimer.

Que mes désirs me libèrent sans les fuir, sans mépris, s'ils sont sursaut, surprise, comme une fissure sur mon aire et le passage maintenu ouvert vers toi, vers moi, encore amer, sera sans doute notre Terre !

Voix 2 :

Nous avons laissé le navire pour nous mettre à suivre Brendan. Rivage, sentines, rochers, fatigue, froid, lourdeur et joie ! Nos soupirs, haleine d'oubli même si les corps ont souffrance. Puis cet unique souvenir d'un vieux moine silentieux venu devant nous sur la grève. Puis cette procession chantante des autres moines de l'endroit !

" Saints sortez de vos sanctuaires
Bénissez les lieux d'advenue
Accordez l'ivresse d'accueil
où l'hôte avec ses deux visages
Accoste et reçoit à la fois".

Devant un monastère alors d'arriver et entr'eux nul bruit de voix ; et point d'autre parole que le plein silence attentif ! Les murs de pierres maladroits ont fermé les cours et le cloître. Les voûtes en ruches des salles nous comblent d'un repas commun et saint Brendan nous met en garde: " Les mots fracturent l'harmonie ".

Albe trés vieux et père du monastère s'adresse à nous et nous allège du silence :

" Frères, voici l'eau, celle de vous désirée il y a peu ; pourtant je ne vous l'offre point.Mieux partageons ! Celle claire à boire, celle noire aux pieds versée ! L'une intérieure et l'autre dehors. Chaque goutte nous inonde ainsi attentifs et sa moitié suffit à délier l'intensel"

Les compagnons :

Qu'ai-je commis à chaque instant pour omettre la descente de l'Esprit si prompt à l'appel ! Que de méfaits à maltraiter toute matière l'imaginant inerte neutre et similaire ! Que de douleurs, au ciel versées lorsque j'amasse O noir filet, la moite sueur de mon coeur !

Temps dénoué par la pensée qui bien pétrit et habite ces eaux, ces pierres en émoi !Alvéoles, l'une à l'autre s'auréolant, leur ondoiement, épaisseur des formes aimées. O doux Seigneur, que de pouvoirs m'as-tu laissés ! Poids et tracés de mon affection et pensée.

Albe trés bon posa sur nous cette parole:

Albe :

Nous avons su votre arrivée bien avant que vous ne veniez par le gonflement dédoublé de notre pain quotidien placé parmi nous. Ces douze pains divisés par deux suffisent nous qui sommes douze et douze en ce monastère venus aussi d'Hierlande votre pays et maintenus depuis autrefois sans vieillesse pour recevoir sans fin les dons de l'Esprit saint par le biais d'un être soumis à nous servir jour après jour porteur de nos pleines sportules.

Les compagnons :

A ces échos d'endroits en ailleurs leur imposer silence. A ces boutons d'actes en gloire les cueillir une fois offerts. A ces rêves lourds et contigus les écarter au plus loin. A ces routes prises avec hâte d'arriver se donner à leur poussière, car nous gémissons au regard de leurs perfections ici-bas, amoindris de nos immenses retards, puisque notre progression tient entre deux doigts d'enfant. Ici, absence et retrait où les jours passent ! O tournoiement d'aucune nouvelle si nul ne me consulte, ne servant de rien alors surviennent en moi d'étranges monstres, mortifiés, sans force, et désemparés comme je le puis. Ce qui nous enlace, est-ce un fleuve impuissant à couler, retardant l'échéance, méandres infinis, stabilité proche si bien qu'un grain à peine plus haut suffirait à le rendre à sa source unissant bouches et sources ?Est-ce notre vie ?Ecoute ! La cloche appelle au même repas les heures, l'ombre et le clair dilués, immenses. Saint homme, parle nous encore !

Voix 2 :

Mais il se tait et nous conduit a l'église par les gradins d'un escalier très inégal versant en arrière et hauteur. L'air par floppées douces s'avance entre des tours et un portique. Sous le porche l'on voit la crête des mers, le disque violacé, l'amas jaune de grandes pierres, des frondaisons incandescentes. Au sortir, nous nous assemblons, frappés par le prodige vu àl'intérieur de cette église. Saint Brendan s'étonne lui-même :

Saint Brendan :

Frères venus avec moi, et vous prieur du monastère, Albe trés vieux, dites-moi si ce que j'ai vu est dicible. Comme pour m'appuyer sur vos épaules, mes mots vont aux vôtres et dissipent l'épaisse suite d'impressions imprécises

Laissées en nos coeurs encor brûlés d'éblouir et d'emprise. Là donc les heures accouplées deux à deux bercent, enfantent, l'une soutient, l'autre donne forme: toutes deux sont premières (Parfois bercé , avant de naître) et leurs traits sont égaux.

Les compagnons :

Cela représente l'église, les autels de chaque côté et leur nombre identique, douze et douze, et leur forme carré.

Saint Brendan :

Miroir cristallin peuplé de cils aux courbes assemblées comme une tente, au faîte maintenues , frémissant d'amour, j'ai pénétré sous les voûtes pures et l'éclat d'opale de vos bras calmes, pleins qu'animent vos deux mains qui sont jointes

Voix 2 :

Voici les parois enchassées de vitraux et la voûte de pierre cousue au ciel. Ce lieu d'alignement, point minime et creux ou fondateur d'espaces englobant, est vers nous tourné. Louange soit !

Saint Brendan :

Toujours bercé, toujours venant au monde, accompagné

- Mes pas sur les dalles s'en vont soulevant d'étranges sphères- au gré de mes étonnements, au fil du feu qui m'habite... Ce qui se dit se tait et ce qui se pleure vient à s'écrire et s'efface aussitôt en un chpnt de joie ardent, profond que rien d'excentrique ne livre , que rien ne manifeste, puisqu'il ébranle et rejoint l'immense tourmente du ciel et des terres que la tendresse douce entraîne et attise.

- Mes mains sur les tables gravent les veines de mon essence -.

Les compagnons :

Nous vîmes ces moines aller à tour de rôle auprès d'Albe, et sans un mot écrire l'angoisse des coeurs humains et des leurs sur des tablettes. Mieux que le silence qui retient les paroles, mieux que se taire pour avoir trop à dire, voici ces lettres sur la cire, signes de sable, et la réponse les évanouit et les envoie en missives de promesse et semences de Verbe, pluie subtile sur le labour de nos pensées car bien-dire est béni !

Saint Brendan :

Dehors embrasé, les fruits rouges d'un buisson sont groupés loin des branches s'enroulant en volutes, descendant en pleurs mes yeux désolés, rivés à des récits d'oubli, le sont. Ils ne gardèrent qu'une brèche par où voir la Lumière laquelle fut invisible, n'ayant plus d'angle où se poser. Qui aimerait ses miroitements si rien ne la retient ? Trappes de ma raison, orifices du rêve sont obstrués. L'intérieur est sombre; le reste a sombré; tout est en cendres au milieu des spires du néant, au sein des nuits venues, mes larmes et louanges établirent des concrétions comme un rameau défleuri, alourdi de peines anciennes, comme d'anciens candélabres sculptés de cire multiple. Enfin, par la brèche, une flèche ardente courut en cercles sur elles : des jaillissements de vie s'incorporèrent.

Albe :

Avant que s'achève votre séjour, sachez que le support de la Lumière est notre tâche, celle d'assembler. Le Triste et l'Indifférent, le Vide et sur des oeuvres même maladroites s'appose soudain le Feu de l'Esprit. Et la brûlure des couleurs enflamme avec tendresse ces levers de monde et n'altère en rien le miroir de Dieu.Ici, vous fêterez encore Noël .

III ème partie

IIIème partie

Voix 1 :

Hâte de partir ! La voile est tendue. Lors donc il nous revient de faire naître l'éblouissement et son vrai support. Qu'il soit obstacle, consistance ferme pour que la Lumière flamboie sur lui s'il est solide stance à nos louanges. Les flots nous reprennent loin du rivage. Le ciel partage avec l'eau ses déserts.

Les compagnons :

Après cette longue crise pointée, lancéolée, telle désascension étale, renouvelée nous a repris. Et l'éloignement nous ramène au récit précédent, assoupi, infini , que chaque vague développe et nous mûrit. Faim et soif viendront de son épuisement même ? Et lorsqu'elles apparurent, nos joues gonflées de chants puissants maintenaient l'ample tension de toile et de vent puisque de grands zéphirs concouraient devers nous sous des cieux transparents, cataracte limpide drapant les flots qu'elle soulève en leur coupe viride de bleus éblouis ni hauts ni bas ni profonds surtout.

Voix 2 :

Une île revint (la première ?) Autre, je le crois, car nous espérons grandir, et même cependant, avec une source.

A chaque gorgée, nous dormions d'autant et les jours et les nuits passaient ainsi, et dans l'eau blanche glissaient des saumons. Des racines alentour saint Brandan composait son unique nourriture. Il nous protégea durant nos sommeils. Réveillés, nous reprîmes route au Nord jusqu'à Pâques, emportant avec nous vivres d'eau, de racines et de poissons. Mais nous jeûnions et le troisième jour nous goûtions leur substance si secrète. D'en user ainsi laissait sans nuisance. Puis les rames devinrent inutiles. La mer épaisse se coagulait. La fatigue pour nous grandissait le froid.

L'un d'entre nous exprima son émoi :

" J'ai amassé de quoi m'essouffler dix ans venant, au sein d'agitations que rien n'interrompt ni n'arrête, puis j'ai pris froid en des attentes insensées, immobile, la main sur la rame plantée dans l'écume devenue glace ; je retiendrai, comme il se doit, cette mer coagulée où nous étions encore et un jour dans les soirs sans fin et les vastes matins veinés aux reflets de marbre de la plaine marine si doucement bien courbée. Je devins effondrement égaré, souffle court, lenteur, au vu des contemplations possibles et joyeuses, trés seules, quand, sur nos rangs serrés, tous se heurtaient également. Cette rame pèse du poids des devoirs quotidiens.

J'ai renié mes efforts, soupiré, abandonné, qu'il m'en soit allégé car j'entrevis d'amples grandeurs, et mon coeur, à ce , novice , oubliait sa dure enquête. J'ai tant eu de sursaut, mais ce n'était, je crois, que pour aimer.

Les compagnons :

O plis fols de sa robe où poser nos têtes douloureuses, pourquoi cet éclat minéral et froid, hors de coutume, O Vierge douce mère des hommes pitoyables, si je dois m'en remettre à vous , puisque je suis sans force, venez en nous comme d'ordinaire, en consolatrice infinie et tendre prendre et saisir nos paumes et les tourner vers les siennes trouées et meurtries, et cependant radieuses.

Saint Brendan :

Craintes et désirs m'accompagnent et des reculs sans terme lors d'un sixième de tiers d'orteil avancé. Compagnons de mon âme, amis fidèles, encore plus

A ma droite, reconnaissez le ressac familier de l'île connue où il nous attend, et son coeur généreux. entendez la voix amie, et les gestes d'accueil, voyez, de l'homme à nos côtés, de l'intendant.

Les compagnons :

Pourtant nos rames vont creusant la mer en vain. Nos corps se courbent, l'eau ruisselle sur nos mains, la proue se dresse, souriant à cet effort, l'ultime et le dernier,-ne serait-ce point le port-? Puis retombe net, et l'île est toujours au loin excédant l'espoir, impassible pour le moins. O saint, pitié donc ; laisse nous pleurer de joie d'être au rivage; jamais rien ne va de soi ? Nos rames pourtant vont creusant la mer en vain, nos coeurs s'inclinent, l'oubli glisse sur nos mains, la poupe pèse , retenant le moindre effort ancien ou nouveau - où glt encor le port ?, lasse s'enfonce, et s'efface l'île au loin évinçant l'espoir, impossible pour le moins. O saint, pitié donc ; laisse nous pleurer de joie d'être au rivage ; jamais rien n'irait de soi ?

Saint Brendan:

Si vite reparaît l'usure de nos croyances, le doute. Allons l Agissez en vous abandonnant à Sa conduite, laissez le soin à Dieu de vous mener où Il veut, - Sicut vult Deus , et Deus noster nautor est - .

Voix 2 :

Alors parut l'île de l'Intendant, de l'an écoulé, revenue. Il nous accueillit : à chacun son nom, un vêtement nouveau.

Puis à haute voix il nous dit :

Poursuivi, devancé, - où suis-je heurté - et pour vos périples où vos yeux sont fixés, - faut-il vous subvenir - et de mes épaules soulever tous vos maux, - qui me le permettrait - et de mon appui lorqque le vent vous a lâchés et que coquille tournoie sur elle, votre navire, - Qu'ai-je à venir - ressuscité par les ornements de vos sillages, croisée soudain ! Ici sur ces plages pleines j'ai rêvé que le Seigneur avançait à mes côtés et dans cette compagnie, mes pas dessinaient des empreintes le long des siennes, trés inégales. Sur le ciel arrondi, ma vie par épisodes s'affichait et bien souvent noircissaient la fresque les jours noirs et gris , douloureux et lancinants. Alors, en ces moments, sur le sable, la marque d'une seule empreinte de pas apparaissait, si bien que mon coeur affolé L'interrogea L'accusant : " Quand j'étais dans le malheur, Tu me laissais, j'étais seul, o Seigneur, pourquoi ?"

Mais Il répondit : " Aux heures difficiles, Je te portais sur mes épaules, vois-tu."

Drames, luttes et fêtes, où je me dois d'être, dévident mes heures à. leur élan constant et j'ai crainte amère à leur retour inutile, comme en des fleuves de sable sombrant au gouffre, d'avoir passé absent trés faible mais gros d'orgueil. car s'ils n'étaient qu'humains, centenaires présents, identiques toujours, j'aurais à désespérer, mais un enjeu entre mes doigts se tient, m'investissant du Drame du Bien et du Mal lequel a son assise en la moindre misère. Pour vous aussi, je vois des souffrances nouvelles mais six années de retour circonvolutif où vous irez, agrandissant, alourdissant votre drame sur le dos des îles en fête lesquelles si consistantes, vous attendent par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ. Reconnaissez donc ces trois îles tout d'abord, la mienne, le poisson de la Pâque, et l'arbre prophétique de Pentecôte, couvert d'oiseaux - Image déroulée de quelque éternité -,

Puis l'île du monastère d'Albe pour Noël. Aides et vivres, je vous donnerai pour l'heure.

Voix 1 :

Sur le sol, nous avions nos tentes. L'Intendant nous avait donné vêtements, bacquets pour le bain. Sur Jasconius, le lendemain de retrouver de l'an passé le chaudron de notre tourmente. Notre acte est tel qu'il nécessite un lieu nouveau venu servir : ce poisson se mordant la queue. de sa carapace, oublieux. Nous de veiller pour affermir la coupe des flots, notre gîte.

Etrange veillée de la Pâque celle sur un monstre rendu doux et les vagues suivent son souffle apaisé, beau, qu'elles enflent pour porter loin par dessus tout, message, écho, qui vont et vaquent.

L'île-poisson s'est engloutie, le Christ a vaincu les Enfers.

Célébration de son retour ! Il a traversé, c'est le jour ! Et nous de traverser la mer pour l'île des becs adoucis. Langues déliées, même les moindres, paroles en fleurs, verbe total, au pentecostième jour; sur la proue, leur vol d'amour limpide écarlate et dial, vint pour faire courage poindre. Et la mer nous reprit sur son sein inégal. Sur la proue verte du navire s'était posé un souffle ébloui d'ailes... Là de repartir, hantés par leurs chants... Sur les divers lieux de nos jeûnes et retraites. Le Ciel maintenant partage avec l'onde sa solitude. L'eau douce emplit nos outres et les vivres comblent la soute. Quarante jours durant nous mène 1e vent plein Sud. Puis soudain une sourde émotion occupe nos coeurs. Nous avons devant nous levé des masses lourdes, et des bouillons énormes en-à-pic sur nous, des banquises noires, et du granit sanguin poussés hors de siège, refluant des orients, si bien que dans le sillon creusé, éventré, nous plongeons soudain en un cercle qui nous mord.

Saint Brendan :

Voyez ce qui vient devant nous , ce serpent d'écumes éructant. Et la crainte nous malmène et la peur nous vient étreindre. Ceci tient de nos efforts, de nos coups de rame, de nos tensions passées qui nous firent avancer. Tant et tant fut donc jeté derrière soi, ces flots battus, ces barrières, ces entraves, ces grains reçus et traversés ; si cette chaîne d'entraides et nôtre s'est imposée sur la surface pacifiée des choses repoussées, en voici le retour, le revers assemblé, la somme des circonstances utilisées, à terrible ballant, comme un rouleau d'écume pituite et de signes moisis surgissant devant nous, monstrueux, visage d'adieux, et nos gorges se serrent de pleurs amers.

Les compagnons :

Si nos bouches entonnent cet éléison en pleine détresse, ces chants de surcroît gonflent la mer céruléenne - Eléison Kyrié, éléisatô o Kyrios - , d'un monstre houleux ; de la proue au mât, du mât à la poupe, sur la poutre glissante, nous sommes assis à la suite et tremblons de périr. Pitié, Seigneur, la houle obscurcit le ciel, noirceur insouciante serpentueuse enroule notre navire de son anneau souverain, tenaille pour avoir aimé et devoir le payer !

Loi de juste revanche !

Saint Brendan :

O, non, cela ne peut être, à Seigneur, cet esprit de balance,
Ces anciennes pratiques de paiement, ces rites de détournement.
Le Malheur est plus grand et ton espoir enivre.

Protège nous comme David devant Goliath (tous le virent perdu ),
Comme les enfants dans la fournaise (à Daniel homme trahi, absous)
Comme Jonas l'irréductible~prisonnier de la baleine (qui t'aurait cru vivant).
Protège nos corps du péril d"engloutissement
Par l'eau, la rage des vents, le feu, ou l'épaisseur des blocs,

Devant, devers, haut et bas, sur nos flancs,
Compte nos membres, nos articulations, couvre les
Contre les flèches du froid ou des fièvres et des lacets qui serrent,
Des larges plaies ouvertes, des luxures et brisures.

Vois nos âmes, nos esprits, nos rêves, nos rêveries,
Détourne leur cours des noirs alluvions du Mal,
Des laves jalouses, des mouvances flatteuses qui hantent,
Du charroi des envies nourries de peines à commettre.
Comme en notre innocence d'enfance, où mille fois Tu prévins
L'accident, délias l'enchaînement des effets assurés,
Retins même le geste de maladresse irréversible, sois nous proche

Donne nous à ton attention de tous les instants
Au nom du Père, que tu sers, et de l'Esprit qui vit.

Voix 2 :

Et là où nous reconnaissions le retour grimaçant de nos actes, de nos objets aimés et de nos oeuvres lesquels s'avançaient métamorphosés et nous raillant, couverts de replis et de rides, enlacés de pieuvres, se découplant aux reflets d'un soleil carbonisé, puis, qui s'entassaient pour mieux souffrir en un coffre ardent soudain pris de tremblements et flatulences brisés, quand vint de l'horizon opposé, du bel occident, le vif Dragon, soumis à Dieu, l'haleine en feu, si bon, et là nous connûmes la fièvre parmi son courage, mais lui s'élançait briseur d'azur tourmenté, en bonds, et le monstre s'abattait tripercé par trois partages, ce serpent d'écumes éructant qui nous ressemblait fort. Puis l'homme de Dieu, après le fracas, levait sa voix oubli des peines : " Vous dévorerez ce monstre mort sur l'île échoué puisque nous y resterons trois mois." Les frères accostèrent et de faire provision, comme ils dressèrent leur tente. Dehors vent pluie et grêle couraient sur des flots de vacarme. Nous nous abritions. Nous craignions d'être sans eau pour nos corps rendus frêles. Nous le disions au saint qui nous découvrait une source et ces racines poussant autour dont il se nourrit Uniquement. Nulle chair de ses dents il ne pétrit comme si l'âme affleurait de tous les êtres sans force. Et le lendemain nous eûmes crainte encor d'avoir faim, persuadés qu'il ne pourrait à nouveau nous aider Sur cette île sans ressource, par des vents bien frottée, mais notre saint compagnon savait où viendrait enfin le corps d'un énorme poisson échouant au rivage sur une grève étroite, le flanc déchiré ventru, où nous taillerions le jour durant pour notre partage, des pièces lourdes,et le reste, la nuit, disparut comme il l'avait annoncé, ainsi qu'il nous l'avait dit, alors que nous doutions, et plullvoulions éprouver. Tout advint selon sa parole. Ai-je obéi ? Ces dons venaient sans mon mérite. Pouvais-je approuver ? Sur quels promontoires profonds ai-je posé ma tête Et l'ai-je renversée pour y connaître des extrêmes ? O déchaînements soudain qui donc délivrent l'âme bien plus qu'ils ne secouent, et nous enjoignent à notre quête !

Saint Brendan :

Demain, nous partirons . Du poisson, faites provision. Sa carcasse restera. La nuit le dévorera.

Voix 2 :

Dessus le sein inégal des flots, nous reprîmes route. Le vent portait nos regards de trop de poids et savoir et la moindre fascination nous gréait de lointains au gré d'un horizon ouvrant le cercle de ses bras et d'un ciel décourbé, peuplé de fresques, sans coupole, où l'or marié de bleu s'agite comme un cil sans cesse. Nous arrivons sur une île au creux de l'horizon où trois choeurs alternent leurs chants, d'étendue identique à la mer plane, désert de pourpre et de blanc radieux, belle étoffe de bruyères et de trèfles rouges, où des enfants vêtus de blanc, des jeunes,de jacinthe, et des vieux,de pourpre,enchaînent sans fin leurs prières.

Choeur des enfants :

De la répétition absolue naît l'impossible.
Du sans cesse, vient cette ivresse compagne
Et du sol martelé du bâton du pélerin,
J'ai vu des sources jaillir comme l'aube.

O Vierge pleine de grâce,
Ce qui m'enfante est votre secours,
Ce qui donne jour est votre exemple.
Dis-toi combien de fois en ce jour
Dieu tu remercias, seul acte retenu !

 

-Choeur des adolescents :

L'oubli de la règle me prit, comment ?
Marcher est tout puissant, et vous sauve.
Là où le but s'éloigne, à chaque pas,
Il faut s'adonner, et dissoudre le rêve.

O Christ sur nos carrières
Descendu, ma route croise-t-elle
Vos chemins humains, et la
Course des astres que je sers et observe,
Psalmodiant, vous rejoint-elle ?

- Choeur des vieillards:

Le vertige d'aller sur nos pas
Se pose, et nos fronts allégés
En arrière sont tirés.
Poids sur l'occiput paralysé !

Qui souffle à mes sens émoussés
Ces bribes et bruits d'à Dieu
Et couronne mes ans d'un fruit
Inattendu en ces temps vespéraux
Où s'incline ma langueur !

Saint Brendan :

L'un d'entre vous avec eux demeurera. Parmi ce groupe en vert il ira et psalmodiant in excelsis sera pélerin de midi. Son âge le veut. Qu'il soit saint ! Je vous vois attristés. N'ayez souci de lui ! Il vint de son propre chef nous rejoindre. Qui lui fit signe ? Devais-je repousser son envie ? Aussi, la mesure d'aujourd'hui doit réjouir.

Les compagnons :

Et nous d'obéir ! Ami, prie pour nous ! Jour béni de ta naissance ; jour de grâce ! Notre jeunesse s'enfuit, la voilà derrière nous

Mais toi toujours tu soutiendras d'elle fugace

Nos plus beaux espoirs, nos longues discussions,

Tout ce qui se perd de notre élan - garde le pour nous !

Saint Brendan :

Sois avec toi ; c'est ne plus être à cent lieues de ce qui te plait, et nourris notre nostalgie, car nous devons repartir , errer. Toi, tu seras à notre place là où nous aimerions être, nous remplaçant et consolidant.

Voix 2 :

Il rejoignit les jeunes gens et leurs chants nous suivaient sur la grève. Surface verte devant nous ! Sur l'esquif étroit, l'un sur l'autre, dans le bruit, alors qu'il s'en allait dans les chants et l'espace. Nous ramions, suant et frissonnant, peine dure et pensées perdues dans le commun des tâches. A la neuvième heure, un fruit de l'île laissée fut divisé parmi nous, de taille énorme et ainsi douze jours jusqu'à jeûner trois jours. Un vent doux se leva, un oiseau passa. Ses ailes remuaient des vapeurs de sable.

Le ciel semblait une coupe grise où de longs échos par lentes montées résonnaient. L'oiseau traînait une grappe.

Elle tomba sur la poitrine du saint homme. Douze grains comme des pommes à partager devant suffire à nous seize par regroupement de tiers. Et puis douze jours jusqu'à jeûner trois autres. Au seizième l'île des grappes nous apparut. Des parfums de pommes puniques soulevés en essaims virevoltent vers nous en vertige, et l'azur se brouille douloureux et si doux ! Seul admis à descendre Saint Brendan s'engage sous les ruches en grappe des pommes puniques. Le temps repose parmi l'arc de la crique entre des vapeurs pastel où l'Etre chemine.

Puis notre abbé revient et chante sa louange.

Saint Brendan :

Le plein bruit m'assaille encore. Qui m'a heurté ?
L'île repose à la jonction d'ondes contraires,
Comme un papillon cerné de crêts édentés
S'écroulant par tourmentes violentes en mer.

Les arbres chargés de pommes sont protégés;
Des vents tournent et de leur parfum se gonflent
Dans le soir nappé d'azur rose ébréché,
Et nos sens évanouis à l'inconnu s'enflent.

O, souviens-toi des claires embrasures losangées
Où le matin levait tant d'oiseaux et tant de sourires,
Ces cryptes pures où chaque être à sa place s'étire
En parfaites volutes, en sons limpides tranchés !

Sur Taprophane, campait le soleil au bel Orient
Comme sur un jet d'eau, fontaine aux marches de l'Aurore;
Sur le Jourdain, sa langue d'or rouge ruinait mes torts;
Sur les rives grecques je revins avec lui brillant.

Et Rome me plaisait aussi, qui m'a parlé de vous ?
Ce paysage frais d'odeur enivrante, recueille-toi,
Ces branches ploient, voûte douce, lourde nef du toit,
Et Tours aux sanctuaires fleuris où prier partout.

Ester, rester ! Revivre l'aller lointain; s'assurer
Du chemin, temps pour comprendre les dons émis en route.
Trop de hâte tel le serviteur épuisé sans doute
De labeur, dor~quand le maître soudain vient à rentrer.

Outre ces souvenirs, sur cette île, j'ai vu six sources.
Des racines en terre en continuaient les nervures
Et dans ces îlots bleus et verts , comme dans les nuages
L'on voyait des lieux s'ouvrir et venir à s'implanter.

Les compagnons :

Pouvoir contempler - ou retrouver force et filiation -
Ce puits trop sombre ée malheurs s'effondre et se comble,
Cet autre vous attend, fraternelle illumination,
Où l'accueil est aurore: voici mon île il me semble !

Pouvoir s'incliner, reconnaître la vie des Mystères.
Trop ardent j'ai voulu tout savoir et la crête me guette
Où soudain Sa main lisse pour moi l'onde de la mer,
La rebrousse et la courbe, puis dans sa paume me jette !

Devoir partager, sans craindre d'être affaibli, brisé,
Malgré ces routes bifurquant où l'ami va, vous quitte,
Et ces défilés brûlants, haineux, aux bords crevassés
Sous des cieux en pointes coupant des vies toujours en fuite

Se heurter, voir son élan limité lequel se dresse
Et là-bas recule, devant l'Autre comblé d'audace
Si bien qu'un sourire se dessine, des lèvres naissent,
Dôme fermé, coupe soudaine où la médiane passe.

Une lame de fond doit me pousser hors de ce bac sans vague
Et confiante, s'effiler, à bout de bras m'élancer,
Jusqu'à ne plus savoir où me courber comme une dague
Non trempée quand d'un coup la pointe extrème vient casser.

Et j'ai rêvé d'une pyramide au tracé si pur
A la pointe si fine et de sa base si lointaine
Qu'une goutte d'aurore posée mouillerait ses murs
Ne pouvant s'y maintenir , se devant à trois fontaines.

Souvent dans une glaise compacte et fière de l'être
L'on voit quelque bourgeon percer d'une graine étouffée
Comme un cil jailli d'un monde que l'on croyait sans vie
Pour des regards futurs, joyeux, à moi seul adressés !

Voix 2 :

Après ce long arrêt sur l'île nervurée de fontaines et de canaux, de troncs et de fruits sous le couvert des nuages pommelés, loin du ressac glauque, de ses à-coups et bruits

Vertumne petit dieu à notre poupe assis lance le coracle sur la mer bien cousue en dépit de nos gestes engourdis, transis, d'où l'habitude a fui, parmi les jours en plus. Puis l'un cria, à notre droite, qu'il voyait d'énormes griffes noires sur le ciel grisâtre s'enfoncer, labourer le flot, et il disait que devers nous la mer s'ouvrait comme.un désastre et de chaque côté plus proches et crochetant les ondes azuréennes, noires onciales, s'enfonçaient les serres d'un monstre lacérant venu, à oui, pour nous détruire sans grand mal .

Les compagnons :

O douleur et tournoiement, envahis d'oeuvres et de tourments, o jours sans gloire de désirs interdits et vieille mémoire, offre ma joie à qui de droit sans retard ! Je me dédie, vois-tu ! L'espoir se consolide, j'ai démérité, ses lèvres tamponnaient mes paupières de brume si bonne, pour des regards meilleurs. 0 douleur, vois ce champ de bataille !

Saint Brendan :

Tout cela n'est que fonctionnement et grand trouble. L'oiseau porteur des vapeurs de sable, lui qui soulevait une grappe, ruinera tout cela, pour une nouvelle attache conçue.

Voix :

L'oiseau porteur des vapeurs de sable approche. Ses plumes brillantes se mêlent au noir goudron des cieux griffonnés, libérant l'azur si proche qu'il blesse et coupe, qu'il ouvre et entaille au fond !Encore un assaut si l'Inconnu se dérobe : là-haut plus haut donc, voilà que son aile tombe. Et le vent tout couvert de sang semblable à l'aube l'étire en aurore, et double le jour fécond.

Les compagnons :

Double journée, deux fois à l'Eveil à quelles étendues ma joie s'enfle comme une joue d'enfant et leur course rapide.

Temps ébranlé de départ, mouvante allure de nos gestes comme une frise penchée en un plan d'eau.

Allons ! Venez à ma cadence, il fait si bon à nos mains.

Voix 1 :

Là, nous reconnûmes son cadavre en mer abattu et ses ergots et ses serres se courbaient vers le ciel le long du sillage comme des épines rompues. Sur le toit de ses plumes enchassées notre coracle allait vers des terrasses où le jour vient à lever. Et l'oiseau des sables et des grappes, notre sauveur, revint en son lieu ; peu de temps après, sans aucun doute, l'île d'Albe naquit sur l'horizon sans aucun trouble. L'histoire meurt à mes lèvres de nos parcours annuels sur l'Océan, des fêtes menées en ces mêmes îles. Si le pélerin éconduit sa pensée pas à pas,

Les voit s'épurer autour de lui, le temps lui échappe ! Nous allions et les époques des saisons inutiles. Nous reposions nos membres lors des fêtes du Seigneur.

Les compagnons :

Le chant rompu du parcours s'arrête à temps, O conscience effeuillée et tournoyante ! Pâques, Noël et Pentecôte instrumentent le réel. L'entendez-vous du seuil où nous sommes ?

Voix 2 :

Plus tard, l'homme de Dieu , après le solstice de juin en vint à célébrer la fête de saint Pierre Apôtre. La mer était limpide ; on voyait à travers elle. Ses chants l'amincirent comme un fin cristal. D'énormes poissons dormaient aux racines des montagnes, assis en cercle , têtes et pieds confondus, lovés sur soi , comme les hommes au conseil de leurs cités. O saint, éteins ta voix, laisse-la en toi, écoute nous.

Le compagnons :

Allons comme des ombres sans bruit ! Sur la surface pâle , soyons passants. Le noir noie chaque couleur et 1e matin les lave toutes.

Soyons loin d'ici, sans bruit ! Dégageons nous de ces bêtes en cercle.Allons plus loin, je t'en prie, homme de Dieu !

Voix 2 :

Mais il n'écoutait point et chantait de plus en plus fort. Elles se levèrent de leur siège marin et puis coururent sur 1a surface, en grouillements d'écailles et de queues. Là, du plus loin de 1'horizon 1a mer était couverte de leurs dos instables, et phosphorescents où nos yeux se perdaient, verdissaient en ce noeud d'algues serpentines. Maintenues en ces bornes où courait notre navire, longtemps elles écoutèrent son chant, puis par les chemins dispersés de 1'Océan, elles fuirent aux 1ointains.

Saint Brendan :

Le vent est favorable; depuis huit jours nous allons sans avancer et sans sortir de 1a mer transparente. Depuis huit jours nos mouvements se ferment et se creusent O tourment nouveau ! Semblable à des textes enroulés que 1a main tente d'ouvrir pour un oeil si las si triste ! O courage, mon âme, déployé, et rendu vain,

Quel vent trompeur et pourtant réel vient et me conduit sur les lèvres des vagues, sur leurs lignes emmêlées, j'ai poursuivi, j'ai gagné. Toi, Torpeur, tu disparais. Les sentiers sont ouverts, traces bienveillantes des bêtes. Je n'aurai tracas de vous prendre pour guides possibles. Vous irez pour moi aussi loin (u'il faut, cela me comble. Nos routes désassemblées ont d'étranges ressemblances.

Voix 1 :

Plus tard , après messes et prières, au gré du roulis, une tour limpide sur 1'horizon de lait se dresse. Nous hésitons à la voir, nous doutons de nous. La voilà si haute et blanche, pure comme une colonne, et tout autour une résille de marbre ou d'argent descend en larges mailles entre lesquelles la barque se glisse, le mât couché et les rames bien alignées, tandis que nos mains servirent à soulever le cable. Sous ce filet, poisson pêché, il faisait bon et doux. La mer était sans reflet, pure)clairée jusqu'au fond pour que nos yeux s'aventurent, perdent de vue l'assise de la colonne cristalline, socle à l'infini, distillant de près en plus loin les mailles du filet. Le soleil parfois prend appui sur le bord d'un nuage et de là , dresse une tente diaprée pour couronner la mer d'un cercle changeant plein d'azur et de tendresse. Ici, cristal, argent, et transparence inconnue gonflaient le coeur et le fêtaient de grandeurs englouties. Dans la sérénité matutine nous regardions.

Demi-groupe :

Alors, si cela est, ces îles, ces monstres, ces écailles où nous reposions, le grand vent et les sources, l'or des jours et les vagues trop pâles, étaient des noeuds d'un trés juste réseau, les grains subits d'un chapelet marin, Et nous passions en eux, changés, pour tous nouveaux lieux, de case en case, comme un vitrail, losanges de la Grâce, accomplissant un effleurement si léger, malgré nos lourdeurs, suffisant aux levers d'un monde enchassé.

Demi-groupe :

Si donc ces liens et ces noeuds, nos événements ne se mêlent point ni ne fourmillent, je vois une tour trés blanche, pyrgo lefko, sur une place dallée de marbre, marmaro litho, que baigne la mer apaisée, tyathi aequora. Jusqu'à midi, j'ai parcouru son arêne, heurtant, heurté, croyant tomber sans voir l'ombre d'elle ni le regard de qui l'habite posé sur mes jeux, au-devant des soirs.

Voix 2 :

Puis nous découvrîmes une chapelle miniature. au niveau des eaux, un vase et un plat d'argent saillaient. Et nous sûmes qu'ils nous étaient donnés depuis toujours.

 

Saint Brendan :

O colonne des cieux tour aquiline
A tes pieds nous passions
Etrange génuflexion la nuque vers le ciel
Puis le corps voûté
Vers les rames
Dans le silence et l'éclat.
Que regarder ! Il fait si doux !

O colonne ordonnée tour aimante
Maintien des jours et des heures, des lieux
Pour vagabonds et des vides aériens ;
L'homme-pécheur sur un pourtour chavire
Par devant à droite par derrière à gauche
Et tu l'attires d'une rive à l'autre
Vers toi d'où l'horizon est plus vaste
Point de mire plus haut, coeur plus souffrant.


Colonne-calice posée sur la patène des mers limpides
Je prends ces objets ce vase et ce plat
Posés en telle niche ardente
Et les montrerai de retour chez moi !

IV ème partie

 

IV ème partie

 

Voix 1 :

Là-bas, des blocs brûlants succèdent aux clartés d'avant. Le vif et le noir ourlent les cieux et cognent aux tempes. De grands bruits sourds grincent soudain et des voix ont crié. Un enfant pleure à mon portail maltraité c'est un songe pour des parents tourmentés qui l'ont autrefois laissé et qui hurlent une peine inconsolée; comme il pleurait donc ! Dans la ruelle à midi cet homme a le crâne en sang, il vacille sans fin devant ses meurtriers défaits, gémissantes gorges étouffées de caillots amers et vos sanglots , femmes oubliées valent-ils l'effroi de celles qui nous oublièrent et se jouèrent de nous ? Je vis l'Enfer à telles mémoires mauvaises malheureuses Je le vis en me souvenant tout en moi, dédoublé. Et nous convoyions à côté de son aire enflammée de grands tourments : visages là-bas dépérissent d'amour, Chagrins d'ombres croisées pourrissent pour nous éperdus. Nous tournions encor vers les souffles rares et éteints de ceux qui ne crurent point en leurs rêves lesquels eurent et leurs visages reflétaient nos temps de démission. Je pense à moi alors lorsque j'aimais et ne pouvais le dire lorsque mon devoir m'éconduisait et la folle crainte. Là-bas, j'irais pour une autre fois où l'on me crut digne. Responsable est cette voix qui gémit pour avoir commis à son tour souffrance et donné ces coups involontiers. Douloureuse est cette âme spongieuse aux désirs songeuse. Sa bouche est large, vide ouverte avide et basse écume et ce village des rois brûle sous des vents de glace. Dans de grands soirs si beaux si vains cuivre et trompettes d'or. L'île se pâme, à chavirante désespérance. Par les trous de ses murailles l'ombre flamboie et meurt.

Et soudain un fol chagrin flatulent se dresse hirsute couvert de mépris, d'abandons et de pleurs refoulés. Il se prend d'amour pour nos embarquements reportés vers les îles personnelles, ricane et s'en retourne pour un adieu empoisonné, djtravers éjecté - Main rouge et gauche paume de malheur large et sans fin - lequel roule vers nous en boule enflammée des plus lourdes. Cette inconsistance ardente répète son forfait. La rame parlysée pèse de tant d'amertumes qu'aucun rêve ne soulève, et la voile levée pour d'autres rives est une gifle constante et sèche. O Seigneur, pourquoi ces lieux pour se souvenir de la Honte? Dites-moi donc où me procurer oubli et douceur ! Le vent sanglote; un homme se pend; memimisse ! Il maudit ma route; je l'aimais ou l'aurais aimé. Il venait d'avec chez nous ; son beau visage aux ciels trés proches s'incendie ; il descend et s'en va.

O compagnon pourquoi ? Ce que tu arraches me tient à coeur, c'est un dernier miroir de moindre solitude où je ressemblerais à toi, et si tu pars à qui, dis moi, devrais-je m'aligner pour être comme autrui ? Il n'écoute ni ne voit , je n'ai plus de modèle humain commun, il hurle sa peine au milieu de sa famille populeuse, et moi je m'échappe pour aller seul !

Les compagnons :

O narrateur, redis ce que nul ne comprend . Quel récit colmate ton esprit égaré ? Ecoute plutôt notre saint homme, écoute .

Saint Brendan :

Notre compagnon descend, l'eau tiède à sa taille vers la rive.Or, s'avive la flamme des coeurs muets et des âmes tristes.Sur la crête sanglante tournoie l'azur noir et froid. Malheur à toi, au jour de ta naissance pour ta mère si, en vue de tels desseins, les ans te fortifièrent sans grâce

Le Compagnon :

Le sable piège mes pieds, brûle et m'entraîne au loin de votre navire! Malheur à moi! je suis perdu ! Un peuple nombreux m'accueillG folles acclamations ! Des couronnes se tressent, les miroirs me reflètent, puis soudain des rois et des rois défilent sans nul nombre. La foule royale est à son comble et leurs visages sombrent, couleur de cendre que le vent poudreux étale ! Nul bruit de son ouvrage. Une fleur éclot avec fracas.

Les compagnons :

Pleurs à contre-jour, larmes en creux, à trop de soirs grevés de faux désirs de ceux qui revenaient comme l'écume salie pour refluer abaissée, pituite, Nous dédions ce chant à la contrainte, à ces heurts suscités pour sursauter malgré tant de fatigues, que de forces perdues dispersées aux huit vents inférieurs parmi les tâcherons et les brassiers hostiles à nos élans, indifférents.

Oh! non; pardonnez-nous, aux tâches que nous savions même vaines nous étions sans mépris ! L'Homme qui disparaît n'a que refus à ses lèvres immatures, vieil onaniste narcissique satanisé ! Sournois glissements où nous penchions bien des fois !

Saint Brendan :

Ramons! Que diminue cette plaie ouverte et dressée sur l'horizon, que ses noires pentes s'estompent et flottent à la brume bleue caressante peuplée de prières.

Voix 2 :

La pluie est tombée, la nuit est montée,
Honteuse, hantée, frangée de pleurs,
Et des vents peinés sur les champs peignés
Des flots bruissant audibles invisibles,
Vagues fuyantes larguées déjetées.

Ouidable insomphoniaque clapotis
Flagornant la coque sapine bovine,
Si je t'entends, frottifiant fortifié,
où m'allures-tu ? , dissous en arrière, pupine.

Disjointes membrures, Eora du Ciel
Paraît avec doigté, avec rosé,
Aurorisant, avec froidure qui pointe,
La vague purpurine et l'azur sanguin.

Saint Brendan :

Cesse, enfant, ce jeu, regarde ce qui paraît là-bas, Un îlot comme une voile sans manoeuvre ni dérive.

Voix 2 :

Un homme était porté par une pierre posée dessus les flots, sous le vent dru fouettant un haillon sur sa maigre figure, et le voici sans repos exposé, deux pieds sur une pierre trés mesurée, nous appelant parmi l'éclat des vagues allumées à chaque choc et heurt de son pitoyable royaume, et brûlé, consumé, transi et vaçillant de honte,

Il criait " Je suis Judas suspendu au plus grand vide !"

Les compagnons :

En cataractes somptueuses l'inanité gravide ouvre un gouffre sombre en son sein l'île de nos malheurs. Nous versons sans fin désolés et vains, en vos golfes instables allaitant la mort. Mon âme envahie d'une folle tristesse en pleurs se voit faible, insultée , trés abandonnée soudain.

Lueur pâlie mangée de noir, je la sens incertaine. Ce désespoir, s'il m'arrivait, à Seigneur, défendez-le !

Judas :

Ce monde en vils éclats, miroir aux facettes jaunies, ces noirceurs amassées peupleront ma vie perdue. Grimaces et rires, l'octroi de mon coeur si lâche, affluent à mes côtés et nul pour apaiser ma détresse !

Saint Brendan :

J'intercéderai ce soir pour toi; ces maux s'enfuiront qui tournoient autour de toi, s'écroulent donc et t'oppressent.

Judas :

Bien sûr ! Tout tombe et verse et m'enserre et s'effondre en moi, joies cruelles, songes brûlés, haineux et délirium, vous fracassez seuils et assisses de mes noirs espoirs. Puissance où j'étais planté, trahissant impunément quand le sang affleurait à mes pommettes encore pures, quand j'aimais et souriais à l'horizon des vertus, je posais cette pierre où vous me voyez appuyé pour de pauvres passants d'un gué froid et tempêtueux, et le haillon qui me gifle est'douceur aujourd'hui, manteau du Christ offert à un mendiant si dépourvu ! Le reste est incendie, mémoire d'un trés haut méfait qu'amer, sans repentir, je n'ose avouer, et puis même, tourmenté je reste justifié à mes yeux toujours plus, ami du Mal, odieux au Père je m'enfonce en moi.

Voix 2 :

Les démons vinrent en foule, en grappes de menace, en des vents apeurés de cendres sales, en grimaces, pour l'aveugler, le faire hurler et souffrir sans répit, sans le moindre sens ou goût de salut, plaies inutiles, infinies au coeur, et leur flot courait en lourds ressacs, quand le vieil homme tint en suspens une nuit, ce maudit, priant malgré l'injure des démons lésés de proie.

Et il leur répondait " Je ne bénis pas qui a maudit , lui ou vous, je célèbre Dieu et soulage les âmes ".

La mer se peuplait d'esprits qui errent autour du globe chassant des peines inconsolables, rêvant encor aux jours heureux de leurs jeunes corps amoureux et beaux. Alertés par le bruit au matin des démons hurlants, ils assistaient à l'ensevelissement de Judas, à la disparition de l'île, au retour des vagues. Puis nous avons repris le cours, ne vivant que d'efforts, et l'esprit posé sur la douleur des muscles et des veines, avancions au milieu des mondes instables battus, se dressant, s'écroulant, maintenus au ciel par nos mains, sous les parasols tournoyant du Soleil journalier. Alors vint le retour d'une île, promue au solide de l'âme bâtisseuse, comme l'écaille d'une huitre, d'un rivage nacré ou lisse, perlée d'une source, comme la conque affectueuse d'un abri préparé ; avec si peu, il y avait tant et ce dès l'aspect ! Mais nul ne descendit sur l'ordre du saint qui s'en alla pour reconnaître l'ermite entrevu qui s'en devenait. Il était si vieux et si blanc, vêtu de ses cheveux et de sa barbe, cet ascète nu ardent agile que nous vîmes accourir sur la grève comme une ombre.

Il dit alors son histoire et comment il vint d'Irlande.

L'ermite :

Je suis Paul le fossoyeur du prieuré de Patrick. Je creusais la tombe de l'un d'eux au pied de l'if noir et la croix ronde décorée je plantais à la tête déjà, lorsque tout rêveur après l'effort je le vis notre apôtre, Patrick d'autrefois, surgir devant moi, protester du choix de mon trou bien avancé pourtant.

"C'est,me dit-il, le lieu futur de ma résurrection que ta pelle a entamé, celui d'où je reviendrai au jour de Dieu ; il m'est prédestiné comme celui de ma naissance et celui de ma mort, nul n'y échappe. Là-bas, au creux de hautes façades, sur le sol gris où le vent a des bouffées de pluie trés douce, tous ceux, écoute enfant, demain, tu partiras, tous ceux que nous avons laissés en ces façades creusées où vacille la flamme, et leur destin d'attente trés triste et pâle, nous rejoindront ; toi de les quitter et demain vogue. J'ai des pleurs à mes yeux qui n'ont point encore coulé, d'amours possibles et d'aides retenues, engagées ; j'ai des silences à tort, des paroles à porter, mais tout cela m'est rendu et mes actes m'ont rejoint. Demain une nacelle t'emportera sur une île.

Prie pour nous jour et nuit que Dieu nous recouse les coeurs. Loutre te nourrira comme source t'abreuvera.

Gouttes de rosée et la pêche d'un simple animal que tu partageras, seront tes biens et ton viatique. "

Alors, à la nacelle je montais le lendemain. Elle courut les flots à vive allure durant le jour. L'île apparut au soir, je l'abordais et vis la barque s'enfuir. Quatre vingts ans j'ai vraiment vécu ici.J'ai vécu seul, servi par une loutre, de sa pêche partagée, de brindilles recueillis pour un feu bref, conçu du silex, et de longues veilles nocturnes.

Quel curieux compagnon des mers qu'une loutre trés grise ! Nous attendons ensemble et mes rêves ont nourri les siens. Secrètes liaisons en l'intime des êtres pour Dieu.

Bientôt vous aussi, vous conviendrez d'un but où vous tenir. Bientôt le messager sera devant vous sur sa barque.

Il célèbrera Son retour et l'Abîme vaincu, et vous le suivrez par delà vos rêves, au-delà!"

L'ermite se tut, sa voix dessinait des jours heureux. Alors saint Brendan se prosterna aux pieds de l'ascète. Longtemps, les yeux fermés, et muets immobilisés, nous regardions le bleu pur de l'air s'étendre au monde.

Les compagnons :

Multiple allure des brises derrière les pavillons gris et rouges du Couchant résorbé, car à la détresse répond une aide trés secrète : l'une est venue à sa trace et l'apaise.

J'ai été, une fois de plus , de l'arrière à l'avant avec lenteur, et le poids aurait dû m'emporter si des brises subtiles n'avaient grandi d'en-bas. Mes mains bleu-cendre se mélèrent au ciel ardent ainsi que des ailes d'oiseaux apotropaîques pour l'éventer et adoucir son vaste chagrin.

La mer s'étendait en des reflets légers et d'avancer sur des brumes effilées, l'espoir succédant à l'abattement !

Voix 2 :

Quarante jours ici et là nous étions emportés refaisant nos forces de la promesse de l'ermite, et l'eau de sa source baignait nos yeux cerclés et lourds. Comme alors nous étions tendus douloureux et joyeux.

Un terme approche ; suis-je prêt, qui vient à mes côtés?

La fin sur ces bords silhouette notre terre promise !

L'île du messager surgit. Maigre et hâve il courut vers nous, déplia nos membres, nous tira du navire.

Les compagnons:

Homme ! D'un monde à l'écart, que représentes-tu ? Il me faut dresser des murailles contre des vents mauvais et oublier. Apaiser, est-ce s'enfermer ? Mais toi, cherche-effort tel tu es, et le bonheur te rejoint et tel autre ameuté pour être heureux sombre.

Il me faut corriger et discipliner mon coeur pour l'occuper à la bonté, et toi, maître d'une île rase, même assourdi de manques et de pertes, vers toi viennent les disciples.

O messager, que ne suis-je comme toi frappé de ces visions qui créent les hommes et les renouvellent. Daigne m'occuper à cela !

L'Intendant :

Soir de Dimanches, soir d'un soir plus livide de fièvre et d'abandon, tête en bruit et nuit, là où nul ne comprend, n'épaule votre labeur et tous l'évitent et le jugent vain, comme vous, et ce soir de rage qui s'abat et de contre-ivresse ruissellante, de rancoeur, quand vous deviez user vos rames aux flots noirs, tous ces soirs sont inutilisables, creux, et la bouche amère venant à susurrer :

"O qui nous aidera, - lui pour attendre la chute,
Lui par rapine ou lui pour raillerie,
Qui surviendra d'un franc encourager ?"

Si, de ne plus l'attendre, il surgit, pouvant peu mais son geste suffit à clore les lèvres et le débit de la bile, qu'aviez-vous à vouloir être compris ? A quoi bon douter? Le vent souffle à son gré et ce soir est la cendre, et ces soirs de cendre couvrent des tisons ardents pour l'allégresse.

Les compagnons :

Vrai sur vrai, et cela est, vous dis-je, mes chers convives! Où se cache cet homme qui parle directement à nos coeurs, quel est donc son visage et son aspect, pouvons nous rester à le deviner sans l'entrevoir ? Il vient. Je guette son pas. C'est lui et un autre aussi, un peu de l'un, un sourire d'ici, un appui de là, Rien ensemble, et je me dois de réunir cela. Sur cette île, je l'ai vu mais ne sais si c'était lui. L'île est-elle la même d'une fois l'autre, crois-tu ? Et son occupant, l'ai-je vraiment connu autrefois ?

Demi-groupe :

La Providence a cette démarche, diffuse éparse, d'un rien insoupçonné, livré en dix mille morceaux, d'une commune attention répandue parmi les routes, de souvenirs et de surprises venues sur les ailes et les pattes d'une colombe blanchie par le rêve. Qu'attendons-nous pour nous réjouir ? Cela est en cours. Notre joie achève notre travail mieux qu'un succès lequel survient et nous déprendra de nos attentes. Cet homme est la somme des aides que nous avons eues. Existe-t-il? Oui, dans des coeurs mûrs aux remerciements.

Saint Brendan :

Une cloche, ce soir, résonne sur le banc des vapeurs et nous rabattrons l'ouverture des tentes ! Beau couchant tressé de vols d'oiseaux que les fils de la nuit encapuchonnent, j 'ai, grâce à toi, l'image de marronniers immenses ornant le glen de leurs vertes ondées. Un fleuve accompagne ce long promenoir sous des voûtes inégales et profondes. L'air chaud de la journée se mêle à de légers frémissements, ceux du soir.

Le monde immobile assure ici sa substance. N'avons d'autres ébranlements que notre force et nulle envie de partir pour l'heure. Rares endroits que l'angoisse du couchant n 'étreint pas, et lieux d'enfance !

Voix 2 :

Puisqu'il était là, notre intendant sur nous attentif, nous avons repris le chemin des flots, croyant la rive proche, accessible au dernier effort. Deux voix s'élèvent même, l'une veut partager un bonheur qu'elle pense avoir, et l'autre a peur de faillir, tâche achevée.

Demi-groupe :

O pourtant le beau succès, homme de Dieu, malgré tout

m'écrase: j'ai idée que je trahis, je le déplore.

Demi-groupe :

Le ciel est étroit pour un partage voulu pour tous. Nombreux sont les malheureux si mon malheur disparaît.

Saint Brendan :

Mais vous sur le dos d'un ab,cès des mers, en ce moment vous flottez sur l'outre rugueuse d'antiques écailles et satisfaits d'impatiences vous allez, aveuglés. Comme votre effroi est oublié ! Et ces molles pensées !

Il est le noeud, le lien sans fin et si nul ne le guide, nous nous immobiliserons dans le passage jamais effectué. Ne reconnaissez-vous pas Iasc et son dos sur l'abîme ? Il nous maintient mais priez pour qu'un rivage apparaisse.

J'ai ressenti des plis et pincements comme des voûtes posées l'une sur l'autre jusqu'au tréfond, ébranlées s'entraînent et s'écroulent en de longs vertiges brûlants.

J'ai vu l'aurore s'émietter en nuit et serpenter et de toutes mes forces je voulais la reconstruire. Il le fallait ! C'était le beau cercle de notre terre mais son oeil devint livide et des cernes l'enrobaient.Là-bas, là-bas, plus loin, débats-toi, défends toi, courage ! Les voûtes profondes souffraient, n'étant plus soutenues par l'étrange tension de nos rêves et de nos gloires, et des vents mauvais crissaient, parvenus des proches fins, mais je ne sais encore s'ils soufflent toujours leurs sanglots ou si Iasc les apaisera, étreignant leur envol, tant que dureront nos agitations qui les nourrissent. Le ciel a tonné. J'attends la pluie, celle d'un feu trés doux inondant de paillettes d'or l'horizon affaissé.

Cela viendra. Mes pieds mesurent le vide tendu dessous et l'arc du poisson pascal se doit de rejoindre l'orient. La nuit est entamée. Dieu nous aidera. soyons fermes !

Voix 1 :

En fait nous étions soutenus d'un gonflement aux parois lisses et grises, aux bords glissants, et le travail de nos mains était à la rame et nous faisait oublier le péril brûlant. Nuits blanchis au versant par'l'éclair incessant, les rafales couchant la pluie la grêlant, la moite senteur des brises lourdes au soir quand le ciel se dévêt de ses couleurs terribles : suit l'absence de noms, celle qui vient de fatigue, de contraignantes itérations usagères, se forme aussi l'image de nos proches assis à nos côtés pour des gestes heureux.

Tout se compose dans le mérite de tous : la grandeur franchie et devoir y séjourner ! Une île heureuse poudroie l'écume d'un peu de jaune, de rouge. Le ciel bas avive les teintes grenat. L'ombre d'une aile est passée sur le pont. Une ombre pâle. J'attends. Enfant, trop peu de prières, et tant de luttes pour un seul but, mais ces gestes auront la même valeur. Cinquante quatre oiseaux le vingt et un du mois de juin ont retenti dès la nuit. Comme un bourdon, tout autour, l'obscurité lente et leurs sons comme des étincelles en gerbes courbées, ont posé l'avenir, gouttelé.

L'Intendant nous précède sur sa barque vraiment longue.

Sa main est au-delà de chacun des méandres verts d'un jardin étrange de plantes marines et douces, et de plan en plan, au signe de sa main, nous passons en plus profond, devenus plus petits même, plus simples, sous des bris de voûtes et sous l'alvéole effilé d'un ciel reculé, pour un sillage à droite, à gauche. A peine maintenant nous tournons, corrections minimes, et ce en des temps immenses, à peine maintenant nous battons la rame sur le flanc d'une eau limpide et ce en des gestes difficiles, tous annoncés. Il est trop tard pour s'inquiéter. A quel inévitable point extrème se rétrécit notre dernière étape ! Sa main a des doigts diaphanes si longs. Il est si loin. Moiteur et reflets blanchis imprègnent nos paupières.

Et d'entrevoir des îles plates où la lune va.

 

Vème Partie


V ème Partie

Terra Repromissionis.

 

Voix 1 :

Or maintenant célérité accrue des pensées brusques. Gestes secs à l'accostage, sentiments anguleux.

Nos yeux visent et nos mains tournoient: tout devient hâtif et l'instant d'avant court sur la table du sacrifice. Les longues draperies , nos voiles usées de couchants, où nos émois eurent temps pour théâtralement donc se parer, et l'odeur de l'algue au vent qui mollit, ou le grand bourdon des souffles à l'entour de nos crânes, sont submergés de clarté brumeuse opaque et lisse. Une joie sans égale distend l'espace inhabité : losanges de formes, arêtes légères, courbures et des pointes de couleurs, amandes vert gris trés rares, nul violet, volutes carmin, nulle ombre, jade noir d'une vasque, et des torsades de cristaux veinés ; sur les pentes cernées d'azur, ou de pierres célestes quand au val l'essaim est telle rosace subtile que le voyageur d'en haut perçoit pour ne songer qu'à elle, quand la main des sources soudain ouvre l'oeil et la perle d'un flot qui ne connaîtra jamais de cours et de détours mais le clair envol de l'oie sauvage et le bâton fendu du prophète et la parole des douze augures, quand nos deux pas eurent incliné cette vaste pierre à nos remerciements, à nos libations, à l'oubli de tous nos maux anciens, et au poids de nos repentirs, alors s'élevèrent de fines tiges et des roseaux, des cannelures vernissées et des ombelliformes, l'écorce du santal, l'orgueil du beau palétuvier, les arcades du saule, les demi-lunes et les astres, les tours ruinées des cités éperdues aimées de Dieu, les stèles aux bords de puits où l'eau affleure et attend, la voûte du monde comme un ombrage de bonheur. La joie constante secrète s'étend et n'a de cesse. Un battement de cil ramenait parfois la tristesse et les tempes étroites à nouveau endolorissaient les contours, les déploiements, et tous les déplacements. La source s'engorgeait, un oeil terreux ; de vraies mollesses nuisant aux sens et aux vives parois soudainement absentes de nos regards pensifs ne prisant plus rien, humant du ciel l'infortune et l'excès de l'océan. Après quoi, - savez-vous durant ce temps où nous étions si rien n'apparaissait d'autre que le vrac et l'amas - , comme l'étincelle d'une fleurette toute enfouie, des onces de couleurs et de vernis recentraient les choses, les attiraient, et lentement de l'une à l'autre allaient exaltant des harmonies souveraines à nos yeux. Que d'heures passées à retracer l'évidence claire, que de miroirs rompus, et nos danses sur leurs éclats dans le soleil et dans la flamme, menaient à l'extase.

Que de lourds travaux ingrats dans les soirs boueux et pâles revenaient en mémoire et pour chacun s'élevait un vent de parfums pour en conter les dures épreuves. Un sens puissant et doux perlait du monde nouveau. L'ombre est un reflet ayant son propre éclat trés diaphane où nous allions comme sous des frondaisons inversées, tant les ronds pommiers révérencieux s'entremêlaient, et soudain se cambraient aux envols d'oiseaux fugaces. Il me faut parler d'une hiérographie sensitive inégalée. Si tout se voyait et se comprenait, par aisance selon l'envie d'une curiosité éveillant soudain l'esprit pour aussitôt l'emplir,

Si cette ivresse pure se parachevait en soi, ne se portait point satisfaite contre autrui, sur lui, et ne se dégradait point dans e souci d'un partage forcée, où nous résistons de notre pleine épaisseur et refusons l'élan généreux qui nous ferait voler, l'apparition du lieu de son côté gravait ses empreintes au hasard d'un sens toujours possible , et façonnait une figure en l'imprévu premier ou libérait le déjà libre de l'amas par des liens légers. Chaque signe-étincelle surgi, chaque ligne émise,chaque ondée de formes et chaque trouée de valeurs se rejoignaient, s'il le fallait, en un vif composé, en un bouquet d'idées et de sensations grandioses, en une architecture fine de vies trés secrètes, repoussant l'absurde, sans astreindre à un seul rivage : édifices d'un moment s'épousant pour une Gloire à profusion donnée, toujours renouvelée, aimée.

Il s'ensuivait de grands moments où, le coeur affaibli par ses merveilles, nous avancions sous un ciel de nuit coupé de trainées d'or et de volutes cotonneuses comme des ailes et des calices, comme des fleuves, à moins que des falaises sous la lune apparues réflectant l'éclat, en carrés inégaux et changeants, n'arrêtent nos regards : des hommes habitaient l'intérieur et dans leur maison de verre, la lune y venait prendre ses fards , ses aplats, le secret de ses évocations, au travers de leurs hautes ouvertures régulières. Elles étaient intérieur et dehors, pour embarquement double, là-bas dominant le large, à l'intérieur pour des splendeurs inconnues, des vies solides et bonnes, et cela nous ramenait à cette sensation étrange, de pouvoir rester avec soi et d'être doté d'autrui : tout ce que l'un découvrait, pouvait me servir selon l'humeur; ils étaient là, à mes côtés, pour que nous devisions et quoique nous parlions, chacun poursuivait en lui-même une longue discussion joyeuse et toute nouvelle. o mais cela n'était pas les péripéties d'un rêve, qui toujours s'aventure sur lui à son gré fantasque ni d'heureuses images pour un héros tout personnel. Je retracerais une complète complicité en moi, subtile dans les nervures de mon squelette, se faisant comme le léger frémissement de l'air éveille la peau, soutirant la foule des murmures élogieux, et ranimant de l'enfance l'infini. Construction reprise dehors, disposé au-devant de ces élans généreux et graves, de ces idées perçues selon l'absolue grandeur qui fut Autrefois, telle deux mains amies, ou deux regards jetés l'un en l'autre il nous manqua le bruit de la mer mais il nous revint au travers des brises et de nos voix qui s'interpellaient, identique aux plus beaux moments, penché par dessus nous. Claquements, gerbes, falaises pourpres, draps de cristal, l'encol du cygne, le tamis de la pluie et son pas ! Oubli! Sur un vieux dallage discontinu, un banc de sable argenté suspendu, une rive échancrée, sur l'arche d'un pont menée et laissée, le gué d'un fleuve, tracé disparu, et d'autres signes bien amorcés, nos yeux, nos vies. Pourquoi ? Tout était là, et moi de même. J'assistais. Cela se continuait ici, sans doute en de multiples appuis et soutiens intervenus. Et nos rapports humains auraient même allure achevée.

Mais

Des souvenirs nulle autre traée que leur émotion, celle qui portait au rêve à la grandeur à la confiance, et du désir - qu'il fût de puissance ou de vraie bonheur - demeuraient les joies amusées, le plaisir de sourire, des traits de coquetterie grâcieuse, vêtue, coiffée, l'ampleur des jardins et des portiques, l'éclat des trônes, l'allure des chevauchées et l'embarquement des nefs, comme autant d'épreuves à votre guise et soumises à la quête d'un plan intrinsèque et trés véridique, comme autant de corrections soigneuses à nos médiocres besoins antérieurs et mésaventures peu glorieuses. Là, nous ne sentîmes personne en trop, abandonné à quelque obscur destin si tout en lui était appel et qu'il n'eût la chance d'un contexte apprêté pour lui. Table des directions ordinales différentielles.

Bien longtemps comme les souffles alertes nous entouraient, il nous vint à nous surprendre de leur complet silence. Là nous les savions et percevions sans même les entendre purs de tout contact, ne s'opposant à rien qui résiste. D 'autres lois s'employaient à nier frottements, frictions. Les routes libres du réel rendu à sa raison n'amenaient ni heurts ni détours, ni torsions et douleurs : surfaces et surfaces, un vaste écu purifié. De la réalité qui heureusement nous contraint, de sa nécessité qui rompt l'enclos de nos fantasmes et nous force à devenir, de ses durs redressements, il ne restait qu'un fond de lumière, un doux support, l'invite à des parcours sans fin , les meilleurs entre tous, défaisant le noeud de nos obsessions, hallucinant nos songes de grands départs, creusant le lieu et l'instant, activant le sang nouveau, illimitant l'horizon. Allons ! Ces terres sont dites. Il en vient de nouvelles.

Des soubresauts de l'ancien temps, et d'un rêve ajourné et d'un projet déçu, comme des .humeurs, éclatent en vain et n'ont aucun effet. D'invisibles fils cicatrisent le lieu de l'ubris. De tous côtés, je m'en délivrais à grand peine au milieu d'ondées sans fin et de parfums sous le vernis gris et mauve d'un ciel couvert de cendre, percé sur le côté de raies tamisées et déviées, sous des ombrages symétriques d'une allée livide que balaient des flots de lumière diffuse et trés belle, au pied d'esplanades qui s'étalent avec audace et ces chemins livrés chaque jour donnaient en offrandes le fragment d'un espoir, jusque là bien inaperçu, le toit bruni, l'oeillet d'un volet, un roseau penché, l'envol d'une mouette, un cep en torsade oublié, le bleu d'une grotte, l'azur d'une trouée au loin, le fier sillon sur le vieux champ, le détour d'une branche, et j'imaginais alors l'effondrement du néant. Une pesanteur grandiose séjournera dans mes jambes, sous mes aisfiles l'on me saisira comme un fêtu, et mon corps tout entier se démembre et je ne souffre pas. L 'aurore s'épanouit et le soir s'étend, le vent sillonne le visage de l'eau, et le gel fracture la motte de terre, et ce, pour tout nouvel adam.

En ces temps dont je parle, à l'image de ce ciel incessamment changeant, où l'aile du papillon bleu d'un battement fluet suffit à infléchir l'ondée, la nature à la table de ses banquets paraît ivre, quand au beau milieu des fêtes nous commentions nos joies au reflet des saveurs,des rires pansus, des parfums, d'aucune usure atteints, car nous étions aimés de Dieu.

Deux oiseaux se disputent la même branche fleurie de noir, l'un semblable au regret a des ailes mauves, l'autre décoloré nourrit un malaise diaphane. Je m'agenouille à minuit, à mi-pente des racines, tel un serpent s'enlace, ma prière souveraine. Au jour, leurs plumes s'ébrouent et tracent un arc-en-ciel. Etre confiant, à mon âme, mérite toute ma peine. Le silence d'un fleuve trés large le cache à tous. Ce brouillard bleu sans distance, rend incertain son cours.

Fleuve primordial avant toute forme, o Semblable ! Puis son onde ici indécoupée s'astreint, se déploie par les canaux de nos rêves et amers, et s'emploie à des saillances et des cascades soudain figées. D'aucun gué l'obligé, d'aucune arche il n'est ombré. Un enfant sur ses non-rives nous l'indique du doigt. Il est beau, et cela semble si fragile et si vide, - le monde est un tesson, je le vois se briser toujours - qu'il faut supposer quelque enveloppe invisible et douce à l'entour de ses membres, à l'entour de nos vies, parmi les soirs bruyants, de peur que tout s'effondre en vrac.

 

Le Jeune Enfant :

Non qu'il existe une limite injuste à vos efforts, il vous faut revenir et quitter ce fleuve infini qui partage votre terre atteinte en deux territoires. Au-delà se placent d'autres nuances et tendresses qu'obtiennent ceux, comme vous, mais partis sur d'autres voies. Le Fleuve est aussi l'Essence, le Silence, le Vrai, pour lui, c'est un parchemin, pour lui une fleur, un ver ; l'oeil usé derrière la lune petite l'invoque aux choses infimes, et dans ce pot de terre brun, le pilon prépare la potion et livre son suc. Car la destruction du Mal doit s'opérer sur des siècles ! Souvenez-vous de ces flots, souvenez-vous de l'Ampleur, et dans les champs alentour amassez l'ambre et l'argent, les perles qu'il roule, et l'or de ses veines multiples.

Saint Brendan :

Compagnons, aujourd'hui chaque anse de chaque rivage en mille endroits mal établis des terres habitées sur les franges fragiles de notre Irlande oubliée, résonne comme une harpe. Aucun.son ne m'échappe. Tous sont beaux, jaillissent du flot qui vibre d'une corde supposée, tendue par le rivage, frottée par l'onde, annonçant notre retour et fêtant notre périple, soucieuse de mille échos pour louer nos avancées.

L'arc ployé frissonne encore du jour où nous partîmes, tant il y eut de fils tressés invisibles pour nous. Retournons. La route ne durera point. Nous verrons au loin venir à nous les portiques de nos églises, le bonnet de chaume de nos fermes au bord des lacs, et des chemins pierreux se multiplient, rayonnent donc de là et d'ailleurs, pressés d'entendre notre nouvelle, quand sur ces routes vers les hommes nous irons sans doute.

Voix 2 :

Il ne fallut point quarante jours pour quitter ce lieu, laissant l'Enfant derrière nous et le cours du grand fleuve. Nous nous mîmes en route mais de plus loin que les berges, d'au-delà même les années, il s'écriait vers nous :

"N'ayez crainte si les tablettes de demain sont vides de vos exploits et de votre terre, de vos prouesses. Qui ne peut s'éloigner, se meurt bien plus et se détruit, et si l'on vous raille et chasse, vous et votre peuple, rappelez que toute croyance dispense une terre, l'engendre de son point ultime et divise le dense, ouvre des lèvres, dessine des sourires au long de ses rives justes. Là s'enracine le réel !"

Trés vite parurent devant nous les côtes natales et l'on accourut de partout avec des cris de joie. Nos amis chantèrent nos louanges et leur bonheur. La cour du monastère bruissait, les cloches tintaient. Nul ne savait par où confier ses secrets et ses routes, quand saint Brendan enfouit la semence d'une grappe en mer jetée sur notre coracle, et la bénit.

"Un tronc et des fleurs de lotus s'y déploieront et sous leurs pointes fleuries et sur leurs tiges fracturées, vous inscrirez d'autres pensées, méditant le Bien ".

Lui même, affaibli, il notifia la terre promise aux hommes de sa protection, ceux des grandes errances, et sa main traça les lignes où un monde créé confie sa violence et tient à s'accomplir en sa Forme.

Les compagnons :

Jeu ni cruel ni brutal ni jeu même sérieux ou non, une origine se fonde. Créer est une ardeur. Ce qui me dévore est à l'instar de ce qui l'anime. Un grand combat le pousse, il s'apaise et fait surgir de quoi instaurer les lieux où aimer et vivifier.

Voix 2 :

Saint Brendan mourut. Nous recopiâmes souvent ses livres.

 

FIN


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