Redirection en cours...

utqueant-métaphysique

PAGE D'ACCUEIL

TRACTATUS

Editions CARÂCARA

 VERSION PDF


Métaphysique des dilutions :
parmi les effets et les déploiements

Léon Loisy

Plan

Livre I
I- Cinq voies de subduction II- Espace intérieur - Espace extérieur III- Temps en scène IV- Acte idéographique V- Effets de la Jonction - Réfraction - Rencontres

Livre II
I- Des lieux de résonance et de leur constitution II- Des cinq oscillateurs III- Action des jonctions sur les milieux - Couplages - Continuum IV- Couplage des plans par des fonctions V- Attraction et décalage VI- Instances de déploiement

Préambule

L'idée est la suivante: il se peut que, pendant des siècles, la réflexion humaine ait confondu réalité et matérialité. Les découvertes effectuées sont surtout de nature à faire comprendre ce que sont les choses, leurs constituants et leur constitution, leurs transformations et les causes. De tels résultats ont été obtenus à partir des différents moments où, dépersonnalisée, la Nature a été conceptualisée comme un substrat objectif, formant un Tout structuré et dynamique : des principes de régularité, de stabilité, des constats et des descriptions, des points de départ et d'arrivée forment la moisson de cette patiente recherche, cependant appliquée à tous les domaines en raison de son efficacité. La matérialité est, après cette intrusion au cœur du monde, le résultat concret qui en est retiré : une connaissance de la profondeur des substrats (atomiques, moléculaires, corpusculaires, ou ondulatoires).

Immersion, en fait. Il s'avère que l'on oublie alors que les substrats engendrent une "surface" extérieure, plus qu'une forme saisissable, autant qu'un "revêtement de peau", ou émanation résolument tournée vers le dehors, parce qu'ils sont la cause de certains effets. On pourrait parler d'échanges et de réactions entre ces substrats, entre leurs niveaux, pour aborder le fait qu'ils ont cet extérieur : ce serait mal en rendre compte tant seuls leurs agissements et effets sont à considérer. Un fard appliqué à un visage peut être analysé comme une substance (charbon, molécule du carbone), un contour (forme délimitée), une double réaction (peau-fard-air) mais qui parlera de l'effet produit, de cette surface qui se déploie et étend le sens de ce visage, du fait qu'une conjonction se fait entre certains éléments (formes, couleurs, mouvements) et des dispositions d'attention? Qu'attendons-nous du monde ? Qu'il apparaisse et se constitue, qu'il autorise nos significations, qu'il développe des conséquences. Ce qu'il est nous intéresse dans la mesure où cela forme une "salle de résonance" à nos pensées et à nos vies, à ce que nous voulons en comprendre ou en user. Mais sa malléabilité à nos désirs comme son indifférence totale ne font pas une réalité. Une réalité est un point de contact entre, par exemple, des formes produites par la matière et des formes construites par mon intentionnalité. Tel élément matériel passe à travers le crible des sens et il se trouve que le dispositif du criblage et la disposition matérielle forme un couplage (courant ou rare). Rien de plus n'est la réalité : des milliers de points de raccord, de friction, de contact, d'accrochage, certains hérités depuis des millénaires, édifiés par des cultures humaines, avec leurs degrés de variation infinie, d'autres personnels et uniques. Or, nous pouvons appeler l'ensemble de plusieurs points regroupés, résonances. Des parois se déploient, des surfaces libèrent des superficies et des vis-à-vis, qui ne se suffisent pas mais génèrent des continuations matérielles, affectives, et intellectuelles, vernissage de la matière pour des effets de lustre et de reflets qui, plus qu'un scintillement fallacieux, donnent d'abord l'acquisition d'une "immatérialité" précieuse.

Prenons le cas d'une suite géométrique (2,4,8,16,32…) où la différence entre deux nombres est doublée: le principe, une fois reconnu, est comme un dynamisme interne (matérialité cachée) alors que l'effet produit se mesure en termes d'extensionalité exportable (non pas seulement une qualité attribuable à des éléments mais une possibilité d'attribuation ou d'"exportation" dont nul ne sait tous les cas où elle sera utilisable et réalisable). La réalité ne réside pas dans la somme des qualités attribuables aux choses (divisibilité, consistance, mesurabilité…) mais dans le fait que ces qualités sont employables au-delà de tout contrôle et prévision. Rien n'indique une fin à ces exportations, rien ne permet d'envisager tous les cas où l'application est possible, la résonance est illimitée. Tel est le pouvoir des conséquences.

L'analyse de nos perceptions, de nos projections ou intentionnalités, des phénomènes de conscience ou des mécanismes cérébraux, procède trop d'une enquête identique à celle de la matière pour que nous la confondions avec le discernement de la réalité. Comment se constituent nos représentations, est une question capitale comme celle des états matériels. Mais cela a peu de rapport avec le point de vue que nous envisageons : quelque chose échappe à la conscience et à la matière, se fait à leurs dépens, un retentissement impondérable ou tracés parallèles qu'il faut saisir pour comprendre la réalité et la voir s'accroître. Les choses sont, nous les faisons à notre goût : on peut dans les deux cas en étudier les fondements (matérialité en vue). N'est pas réel, cependant, ce que nous imaginons des choses ni ce que nous en mesurons et contrôlons. Est réel une "surface": des plans de références qui se sont mis en place à partir des conséquences, certaines déterminées et d'autres libres. Comment se font ces conséquences? Il faut les penser comme des propagations dont la théorie est à dire. La matérialité est ce que nous savons et ce que sont les choses, la réalité est propagation d'"apparences" successives se présentant, vibrations parcourant le monde, montée de résonances incontrôlées et altérant à notre insu l'image des choses et de nos idées sur les choses, de façon rétroactive, imprévisible, préparatoire ou indirecte.

La matière existe sans nous, l'esprit avec nous, la réalité se tient pour nous comme une succession de propositions soudaines dont l'élaboration est à rendre moins mystérieuse : surgissement d'une idée, surgissement d'un événement. La confusion entre réalité et matérialité n'est pas excessivement dommageable tant que ne se pose pas la question d'une métaphysique. En effet, les succès remportées par une méthode "matérialiste" ont fortement réduit la place d'une interrogation non sur le fonctionnement des choses mais sur les conditions de tout fonctionnement. La matérialité induit, de par son immersion, à des déterminismes causalistes ou finalistes, à des fondements et des régulations : s'immerger constamment suppose un milieu compact, la nécessité d'enchaînements et l'assurance de plénitudes. Et il est des métaphysiques - certaines très belles - qui reproduisent cette même méthode. Toute ontologie a eu de telles prétentions. Même au plus fort de l'idéalisme, les métaphysiques ont été "matérialisées": substrat initial, entendement principiel, finalités ordonnées disent, par exemple, des consistances atteintes. Quant à la dialectique en métaphysique, elle énonce des germinations en vue d'un achèvement typique du caractère "plein" de la matière, de son autosuffisance. Et les progrès dans les sciences ont pu aussi réduire le domaine métaphysique à des arrière-mondes inutiles puisque tout devenait milieux si complexes que supposer des principes extérieurs n'apportait rien à la compréhension. Un milieu, c'est un tout, autosuffisant dont le sens se limite à la complexité comprise. A l'instar d'une matrice générant des cases vides, il faut et suffit de les combler pour établir qu'une métaphysique est dans les possibilités non-choisies par les faits ou dans les cases encore non étudiées. Soit une place restreinte. Par cette voie, aucune métaphysique n'est possible.

La réalité, ou ce qui arrive et se propage en plans successifs, en suites épiphaniques parfois, inépuisables surtout, qui font penser à ce que serait la légèreté des appuis si l'on devait marcher sur de l'eau, est en mesure de permettre une réflexion métaphysique. Il s'avère que la nature et le fonctionnement des choses sont toujours mieux décrits et qu'il demeure à élucider leur raison d'être. Question que nous aimerions remplacer par celle de leurs effets - en provenance et en partance. Que devient un fait élucidé, une idée applicable, une chose rendue moins opaque, où s'abritent-ils, que produisent-ils et que leur est-il advenu? Une influence a plus de portée métaphysique qu'une raison d'être, une mélodie plus que l'instrument, une voix qu'une notation musicale, parce qu'elles durent indépendamment de la conscience que nous en avons, des efforts que nous faisons de les faire connaître ou de les accepter, parce qu'elles génèrent ce que nous ne pouvons savoir tandis qu'elles agissent infiniment. Ne voyons pas l'influence comme un tracé unique se répercutant ici et là mais comme des tracés qui, par leurs diffusions inépuisables, constituent ce "sol" où marcher, sans pouvoir prétendre qu'il est causé par nos intentions ni qu'il a de finalités pour nos besoins. Ce sol s'est fait sans nous, en dehors de nous mais pour nous aussi, puisque nous l'employons et qu'il répond à nos implications. Le réel n'est pas tant invisible que provenant de parties du monde innombrables et insoupçonnées d'où des représentations ont pu naître (et qui dira comment) et parfois ont exercé une influence directe et repérable mais surtout indirecte et générant un complément ou une suite tout aussi capitale (sinon plus) parce que fabriquée avec des instruments dépassant (transcendant) ceux de l'homme. Les points de contact qui sont du réel pur sont des expériences transmises qui modifient nos cribles de perception et la nature de nos désirs ; de plus ils sont exportables et rien ne contrôle ce qu'ils deviennent. Apparences, altérations dont le coefficient de propagation est plus fort si plus fugitif, si plus impondérable. Des dynamismes et des renouvellements courent à la surface du monde, faits de répercussions et de vibrations qui, heurtant d'autres (antérieures, simultanées, harmoniques, défaites), créent ce sol réel dont nous nous servons pour notre vécu (un dosage d'acceptation et de refus) et pour nos recherches (détourner une vibration pour en faire une assise ou une matérialité).

Une métaphysique, dans ces conditions, n'a pas le même souci d'intelligibilité que dans le cas d'une enquête sur la matérialité ou dans le cas d'un positionnement ontologique. Elle est intelligibilité des effets, du pouvoir des mots et des idées, de l'altération des formes et des matériaux, de la fortune d'une rencontre, d'un air ou d'une émotion, des influences d'un milieu ou d'un climat et d'une histoire, tout un nuage de points de contact donnant sur le réel. Notre travail ne concerne pas les représentations mentales que nous formulons ni les résultats que l'étude de la matière apporte. Il s'agit de ce qui se prépare à nos dépens (effets de nos représentations et de nos connaissances de la matière, par exemple) pour notre gouverne. Une liberté d'emploi et de réception nous est accordée totale. Ce qui est disponible n'est pas immédiat. Il n'y a parfois rien. Déserts et silences. Il n'y a parfois que de la redite (régularité engrangée, stabilisation nécessaire). Mais il se prépare aussi de soudaines ou annoncées continuités (compléments donnés et suites offertes) d'une telle et nouvelle cohérence que du compréhensible est alors entre nos mains.

Métaphysique ni des causes ni des fins, ni des substances ni des catégories, mais des plans surgis de nulle part et réorganisateurs d'éclaircies dans le labyrinthe de nos productions-représentations et l'indifférence chaotique des choses. La matière peut, d'ailleurs, devenir réalité. Il suffit qu'elle "se propage" au lieu d'être le lieu de secrets inépuisables dont elle n'a nul sens et que l'homme lui soutire. Pour cela, une nouvelle approche que celle de sa parcellisation à l'infini est à concevoir qui lui rendrait sa capacité à être un plan de réponses, une configuration généralisable (une structuration, par exemple, identifiable sur plusieurs niveaux d'organisation). Quant aux propagations des représentations, pour aussi multiples qu'elles soient, elles n'ont pas d'intérêt pour une métaphysique (on peut les étudier par l'histoire, la sociologie, l'épistémologie) car elles ne sont qu'une extension unificatrice avoisinant cet autre phénomène plus important : elles produisent des effets insoupçonnés, leur propagation est altérée, il se prépare des dispositifs indépendants. Nous ne pensons pas à des conséquences conscientes ou inconscientes, mais à ce qu'il faudrait appeler des "inconséquences", non pas de l'imprévu (hasardeux, anormal, irrégulier) mais des conditions où s'inventent les réalités, ce que nous saurons du monde, ce que nous pouvons en savoir, comment nous servirons de véhicules à ces propagations. Il est impossible d'originer une propagation ni de la suivre, mais il existe des dispositifs qui l'altère et la dilue en une sorte d'infra-continuité agissante. Non altérée, elle donne une apparence au monde (ainsi, dans une civilisation, effet d'une théorie admise, usage d'une énergie matérielle), altérée, elle l'agrandit (complément diffus), matérialisée, elle l'enclôt et l'achève en une totalité atteinte. Il est approprié de rappeler que le mot même de métaphysique s'est propagé de cette façon. On trouve, selon les auteurs, plusieurs explications à son origine : classement des ouvrages d'Aristote (titre donné à un recueil), emplacement des volumina (dans des niches), continuation spéculative (seconde partie d'un cours) mais l'ambiguïté du préfixe "meta" (avec, après, au-delà) est telle que ces raisons avancées sont toutes valables et ne rendent compte que du système explicatif de leurs auteurs (plus ou moins "matérialistes"), alors que notre intérêt se porte sur le succès du mot (propagation) supplantant celui d'ontologie (donner une cohérence au monde : propagation d'une apparence) et aussi développant indirectement l'idée d'une transcendance (propagation d'un agrandissement). Comment cela fut-il possible? S'en tenir au pouvoir des mots de fabriquer du réel est insuffisant parce que tout phénomène de cet ordre mobilise des dispositifs dont l'étude n'a pas pour but de réduire le phénomène à des composants initiaux et à des erreurs mais de le considérer comme une issue inévitable. Il fallait que la métaphysique se manifestât en raison de "paramètres" spéculatifs que le mot nommait ainsi, avant même que leurs conséquences directes ou indirectes, fortuites et indépendantes aient eu lieu. Ce n'était que nommer l'effet envisageable à une propagation, ses altérations non-contrôlées, mais propres à toute vraie propagation. En fait, par précaution, il faudrait toujours prévoir un nom pour ce que peut engendrer une propagation qui se prépare en tant que seconde issue (la première renvoyant à ce que l'on attend d'une spéculation : un peu d'attention à défaut du succès). A nous d'identifier ce mode d'apparitions (apparences et agrandissements) par le biais d'espaces conjoints opérant les dilutions adéquates.

Le conteur hindou dit cette histoire : un homme s'assied, à la nuit tombante, sur le bord d'un chemin conduisant à l'entrée d'une ville; voilà qu'un voleur vient à passer et le voyant lui dit : "Ah! je vois, tu es comme moi, poursuivi, et tu te caches" ; puis un amant s'adresse à lui : "Ah! je vois, tu es comme moi, tu as rendez-vous avec ton aimée" ; puis un ivrogne bafouille : "Ah! je vois, tu es comme moi, tu ne sais plus où est ta maison" ; enfin un sage le regarde et dit : "Ah! je vois, tu es comme moi, tu médites à l'écart des hommes". Querelle d'interprétations, que de projections sur le monde nous faisons ! Intentionnalités erronées ou exactes, nul n'en sait rien. Mais cette histoire met en scène ce double phénomène : il y a ce désir qui se projette, il y a ce que chacun croit savoir selon son expérience. On a tort de ne pas dissocier ces deux fonctions: l'une ne provient pas de l'autre, elles sont autonomes (désirer et reconnaître: les passants auraient pu ne pas vouloir voir l'homme assis ou ne pas lui prêter leur expérience pour le reconnaître ). La morale n'est pas que l'on ramène tout à soi mais que le Soi projette ses désirs (trouver du semblable) et qu'il s'appuie sur un savoir (une expérience accumulée). Pour cette raison, nous pouvons identifier deux espaces (intérieur : "du soi vers l'autre" et extérieur : "déterminations successives du soi par ses contacts avec l'autre") comme expressions de ces fonctions et analyser leurs façons de se lier. Une propagation, quelle qu'elle soit, s'appuie sur leurs différentes façons de se joindre. Les définir c'est acquérir de quoi rendre intelligible la réalité et même si l'on assiste à des liaisons de ces deux espaces qui ne livrent qu'"une enveloppe" des choses, cela suffit puisque leurs agissements dépassent nos simples possibilités : ce que nous pouvons savoir du monde est entre leurs mains.

retour au sommaire

Livre I

Jonctions et rencontres

En ce début septembre 1998, le programme fixé est une métaphysique qui provient de plusieurs points de départ. Une métaphysique ni causaliste ni finaliste, ni transcendante par abstractions ou externalités, ni substantialiste ni moniste, sera celle qui dira la jonction d'espaces entre eux, et des intensités (dire "espace" n'est que désigner une visibilité, et donc différents "éléments" appartenant à un ensemble de propagation). Dieu ne s'y prouve ni ne s'y découvre, ne s'y définit ni ne s'y espère, car le calcul est une dilution, Dieu s'y figure autrement. Le pouvoir de nommer des effets, donc de délimiter ou d'identifier des états par rapport à un espace, existe à titre paradigmatique dans les textes littéraires : l'on y assiste à des compositions et à des désassemblages. Deux espaces se croisent et s'emboîtent et peuvent alors fonder une intensité comme de leur liaison, il peut se produire le phénomène inverse de dilution de leurs espaces.

Propos pour soi (abréviation : PPS n°1) Propos instables, des suggestions pour soi en ce deuxième jour tout d'orage où, alors qu'hier l'azur était d'un bleu si lumineux, je regarde la pluie, ses souffles obliques de gouttes, s'abattre sur les toits chauds de l'été, et l'ondée soulever les poussières et les premières feuilles mortes. La pluie enveloppe une totalité. Que d'agitations, de transformations ponctuelles, une frondaison qui se tord livre ses secrets et un essoufflement se produit ! Observations faites du haut de sa fenêtre. A chaque jour son regard.

I- Cinq voies de subductions :

A) Il n'y a point d'autre métaphysique que ces revêtements d'un espace externe sur un espace interne, d'une infinité sur une finitude, d'une externalité sur un rêve intérieur. Et cette brutalité est puissance condamnable si elle ne laissait se déployer ce qu'elle dilue, elle suppose des contrôles innocents, des feintes salvatrices, des contournements gracieux, des persévérances et prévenances divines.

B) Des déplacements issus des profondeurs des humeurs du corps déposent leurs traces à la surface du monde, comme ces fils d'argent des escargots en route, sont une deuxième voie, quand l'excès d'espace intérieur déborde sur le monde et lui ordonne de se modifier. L'ombre des grands arbres sur le sol découpe ses entrelacs et sa résille. Alors, ce crible arrête la propagation des projections infinies humaines et découpe, à l'arrière, le monde avec des ombres nouvelles. Il se reformule un débordement par delà le crible (espace extérieur), à l'arrière de sa présence visible qui a pu attirer le désir sans pouvoir le circonscrire. Ce débordement nouveau est le lieu d'une origine. L'origine est une découpe entourée de restrictions cachées qui arrêtent la propagation de l'espace intérieur, c'est le résultat inédit de ce contact espace intérieur-espace extérieur. Découpes transfigurées.

C) Observons que ces espaces interne-externe changent parfois simultanément leur constitution à si vive allure que l'on a une autre voie faite de basculements soudains : ni l'un ni l'autre ne songent à s'imposer ou à s'affronter ni même à composer (comme ils le font ordinairement) mais à dire qu'il y a un intérieur à l'interne et un extérieur à l'extérieur, quasi simultanément, non pas pour que l'interne devienne l'externe ou l'inverse, non pas pour qu'ils échangent leur rôle, mais pour eux-mêmes, pour se recharger en internalité ou externalité, pour quelque extrémité nouvelle qu'ils ne trouvent qu'à des revirements, contemporains semble-t-il. Se recharger parce que les désirs émis ont perdu en spécificité et intensité, parce que les données rassemblées ont perdu en efficacité et en densité. A une structure correspond l'apparition d'une énergie, à un dynamisme correspond l'apparition d'une organisation.

PPS n°2 : Une chaleur moite automnale et un crâne coupé en deux, il est midi et j'ai des soucis, les arbres sont brûlés et mes yeux ne tournent plus, entendez comme ni l'air chaud ne détermine mon mal, ni mon mal n'agit sur le ciel, comme l'un s'accroît quand l'autre fait de même, comme midi est plus extérieur que la chaleur et moins extérieur que la couverture feuillue, tandis mes yeux sont vers mon tracas au cœur de mon mal. Voilà des accroissements d'intensité qui deviennent des empilements, des hiérarchies qui deviennent mobiles, on assiste à une succession d'emboîtements et à un durcissement des fluidités, c'est un type de propagation nouveau. A chaque niveau, des points de fuite bougent (mes yeux ne tournent plus, que verrait-on ainsi?), des impuissances naissent (les arbres sont brûlés, et si cette image devenait vraie?), l'inclusion (un niveau ne détermine pas l'autre, mes yeux et mon souci existent en soi) et l'exclusion (retrancher est impossible, ce sont des blocs de sensations simultanées) ne fonctionnent pas, mais si chaque série devient un écran compact, douloureux, l'ensemble est suffisamment altéré pour rechercher une issue, une réorganisation salvatrice et libératrice de cette double instabilité. Il faut que cette perturbation générale ne soit pas gratuite mais génère une résolution : des normes, des lois s'imposent alors pour ré-ordonner le monde sans effacer les connections ou séries qui viennent de se produire et dont l'intérêt réside dans ces emboîtements nouveaux : ciel, chaleur, midi, arbres sont maintenant liés selon une règle bien étrange, par exemple. Il faut des surfaces troublées à l'extrême pour que ces lois s'écrivent, si l'on les veut constantes et révélées. Elles surgissent ainsi pour être des issues.

D) On songe parfois qu'un geste, un regard ou un fameux pan de mur jaune nous étaient destinés dans la pâmoison d'un rayon de lumière venu là avec trop d'indécence et d'invitation pour être l'effet du hasard mais ce n'est qu'un songe dont nous ne savons que faire, comme si le signe ne s'adressait pas vraiment à nous, ne s'agençant à rien, isolé. Ce sont des espaces produits auparavant, depuis trop longtemps, et qui n'entrent en composition avec rien qu'une nuance de souvenir ou d'attente. L'espace interne et l'espace externe du moment les supportent comme des taches sur leurs surfaces. De cette quatrième voie, il faut considérer leurs impacts sur les deux espaces, qu'ils paralysent et sur lesquels ils étalent un fin film car c'est une des formes qui dilue. Et si leur fréquence s'accroît, sont-ce les chemins de la contemplation quand ils dénoueraient les produits d'espaces, ceux qui sont nouveaux et incessants (produits mentaux), les inhiberaient (mettre un terme à cette activité pour d'autres supérieurs) ? Ces "sur-espaces" surgissent comme étant des émanations détachées, des germes volatiles des espaces intérieurs et extérieurs, ils cherchent à se réincarner, se restaurer en eux, ce sont des messagers irréguliers, trop errant à leur guise, qu'il est temps de reconduire à une maison, enfants inespérés du réel, anges de l'imaginaire. Ce qui se pose sur ces tangentes est parfois tout silence et baume pour des épanouissements qui n'avaient pu se faire. Effleurements de messagers.

E) Aux points de contact hasardeux, aux plages toujours recouvertes, aux subductions partielles parce que la rencontre de deux espaces est due en grande part à des imprévus existentiels et à des habitudes sociales, substituer en pensée des zones où leur impact serait maximal, serait volontairement choisi, non pour épuiser les rapprochements possibles (ces espaces ne se fragmentent pas en unités stables qu'il suffirait de combiner), mais pour dire ce qu'est alors le produit obtenu, en quoi il diffère des produits antérieurs. La rencontre de l'espace intérieur et de l'espace extérieur délimite au moins une zone dont les propriétés naissent de ces deux espaces, mais imagine-t-on un maximum, une préférence, cela nécessite des dispositifs s'appliquant, pour réaliser la jonction, à ces deux espaces et visant à en considérer le résultat. Etant donné qu'il n'y a pas rapprochement additionnel des espaces mais produit, les accords, de toute façon, ne seront en rien bijectifs ou établis sur des équivalences précises. Le même chiffrage ne conduit pas à confondre multiplicateur et multiplicande. Il faut poser qu'il s'est glissé entre l'espace intérieur et l'espace extérieur une différence de degré : par exemple, l'intérieur reçoit ou adopte cette faculté à se multiplier (il devient multiplicande) ; des éléments de l'espace extérieur seront ses multiplicateurs ; ainsi on aura cette propagation maximale espérée. Quelle opération a permis cela? Des sympathies pré-établies, qui sommeillaient, des catégories et des archétypes ou des universaux ? En fait, rien de cela : l'angle d'inclinaison de l'espace intérieur au-dessus de l'espace extérieur fabrique un mode "dépositionnel" d'approche (déposition: ébranlement des positions et dépôt), quelque chose qui brise par son irrégularité les symétries. Voilà qui n'est plus de la correspondance et de la sympathie entre les deux espaces. L'espace intérieur a introduit son choc de face (angle droit, perpendiculaire), et tel un impact dans du verre, il s'est "multiplié" sur l'espace extérieur parce qu'il découd les emboîtements antérieurs, les obstructions compactes qui rendaient impossible la venue d'événements. Naissances et assomptions par incrustation.

PPS n°3: Enfant-prodigue, enfant-fidèle, brebis perdue, brebis sage: faut-il être le prodigue, le perdu, tout faire pour leur ressembler, en profiter et rafler ainsi la mise, quand le sage et le fidèle sont perdants? Ineptie du raisonnement. Une irrégularité s'est manifestée qui détruit les symétries. La coupure ne se fait plus avec cette ligne de démarcation mais sur l'idée d'une intrusion et récupération dans les plus infimes replis de la réalité : une force incisive maintient une unité et interdisant l'émiettement et les échappatoires. Une scène des Evangiles, une scène issue de textes sacrés, peut donc innerver les espaces intérieurs ou extérieurs (soit qu'elle vienne de l'un ou de l'autre de ces espaces en direction du second) : elle nervure et colore par degrés les surfaces que l'on transporte avec soi, elle prend la teneur de l'un ou l'autre espace et s'y imbrique.

Vous envelopperez, vous découperez, vous retournerez, vous effleurerez, vous incrusterez. Autant d'angles d'attaque, autant de jonctions qui diffèrent des rencontres incessantes mais qui ont pour résultat une créativité incessante et sans usure, ou de permettre une propagation par dilution.

Dilution, le maître-mot des opérations en cause. On ne suit pas des évolutions et des cassures, on parcourt les ravages d'un impact, un réseau éclaté, un rien qui s'additionne, tout ce qui se défait mais au sein d'un ensemble spatial précis. Voici trois stades d'observation ; l'angle d'attaque des espaces entre eux (ou cinq types de jonction), le mode "dilutoire", qui rend compte de l'après-jonction, le produit-résultat qui reformule les espaces et nourrit une genèse.

II- Espace intérieur/Espace extérieur:

Ils sont visibles, visualisables et multiples au sein même d'eux-mêmes comme il se trouve que nous en portons plusieurs simultanément et dont les principes fédérateurs ne sont pas immédiats ou antérieurs mais sont le fait des jonctions entre ces espaces duels. Cette idée sera le fil conducteur, ce n'est pas une simple affirmation, plutôt une herméneutique.

Ainsi à propos de quelques principes fédérateurs : a) le noyau du "je" qui fonde une certitude opérationnelle (symbole de la philosophie classique) est un des noyaux dont la constitution progressive vient de l'itération et la dilution d'un certain type de jonction (la deuxième), ce qui doit en expliquer la force attractive comme la variabilité. Le "sujet" comme résultat d'un mode dilutoire invite à poser l'existence d'autres noyaux constitutifs de ces espaces que nous utilisons. C'est dire l'importance des jonctions sans avoir à se poser la question de l'origine de ces espaces qui accompagnent l'homme (dès sa naissance, un univers interne constitué d'humeurs et un monde extérieur fait de cet air brûlant entrant dans les bronches), sans d'autre considération que leur commun développement. b) Poser que l'espace extérieur est déjà là et n'a pas à se développer, ou qu'il alimente l'espace intérieur et donc le détermine, est le résultat aussi d'un calcul, n'est en rien immédiat aux mouvements en cause, et intervient a posteriori dans une perspective hiérarchisante. Le problème de la conscience qui domine cette représentation, pour important qu'il soit, ne doit pas occulter qu'elle est un regard rétroactif sur des phénomènes antérieurs qui l'ont préparée, quand on n'a pas encore défini quelle est la séparation entre espaces et qu'on les laisse se joindre et fonder des distinctions à force de fréquentation réciproque. c) Fausse idée aussi de les croire interchangeables, s'imitant, l'un basculant en l'autre : l'intime de l'un n'est pas l'externe de l'autre. L'altérité est aussi le résultat d'un des modes de dilution, comme l'intersubjectivité. Les espaces ne s'individualisent qu'à la suite d'entrelacements complexes qui finissent par dessiner une subjectivité particulière, prenant dans ses rets des configurations étrangères qu'elle reconnaît comme des possibilités en elle détachables, dissonantes, accessoires. Cette altérité n'est ni première ni éternelle, elle résulte de processus dus à une complexification dans les jonctions effectuées. Trop de philosophie écrite sur des résultats de dilution aboutit à hypostasier des entités comme pour éviter l'existence des jonctions. d) Identité, différence, tiers exclu ne sont aussi qu'une de ces lectures également partielles.

L'espace intérieur ne s'oppose pas à l'espace extérieur, il faut leur prêter un fonctionnement identique puisque liés à nos possibilités humaines : par suite, si des éléments de l'espace intérieur peuvent s'installer au dehors, en l'espace extérieur, quitte à se couper de leur matrice ou à avoir deux demeures, il convient de poser parallèlement que l'espace extérieur possède des éléments en dehors de l'espace intérieur qui échappent à ce dernier (jusqu'à ce qu'ils puissent se manifester, en certaines conditions), preuve de leur autonomie respective. Mais ces espaces s'organisent selon des principes différents : l'espace intérieur aime répartir ses éléments constitutifs en un pôle interne et un pôle externe et les voir aller de l'intérieur à l'extérieur et revenir, l'espace extérieur ne saisit que des ensembles, fixe des enveloppes, étalonne des séries, génère des aimantations contrastées (sorte d'attractions en conflit). Le premier ne s'oppose pas au second comme le moi au monde, le sentiment à la raison, le désir au réel (toutes catégories forgées du contact des espaces), mais ils sont fédérés par un "corps calleux" qui fait accéder l'un à l'autre, à savoir ces lieux de jonction qui les augmentent. L'espace intérieur doit être pensé comme émission diffuse et l'espace extérieur comme agrégation constante, car ce que nous comprenons de la totalité ontique n'est qu'une projection (rationnelle ou autres) et d'autre part qu'un continuum (substance ou constantes ou propensions ou relations). Et c'est pourquoi l'espace extérieur a plus d'éléments qu'aucune intentionnalité ne pourrait fournir : il se soucie de combler par sa propre activité, de ne laisser aucun intervalle vide, il sécrète le plein comme il concilie des intentionnalités successives, modifiées, écourtées ou surgies d'endroits différents de l'espace intérieur. Savoir global en regard d'une connaissance. Totalité et transferts, océan et sillages, parce que le navigateur qui ouvre un sillage a besoin de penser la surface de l'eau comme un support global à sa route, qui gardera en mémoire tous les sillages. Ainsi construit-il en même temps son espace intérieur et son espace extérieur. Rien n'est antérieur vraiment et s'il conçoit que l'océan existait avant qu'il y songeât, c'est parce que l'espace extérieur construit par extension des plans temporels attractifs de cet ordre. Leur activité à tous deux diffère, nécessaire à nos développements, soumise à des impasses quand nous les opposons.

Ces deux espaces sont en fait comme deux activités cérébrales que, progressivement, nous formulons et spécifions, bien avant que nous séparions monde personnel et monde réel, mais dirons-nous, par suite du traitement que nous faisons des données apportées par nos sens, une plicature se forme: un plan de subjectivation où les data sont ré-émis, un plan d'objectivation où les data sont concentrés. La plicature est due à des contraintes vitales: l'excès de stimuli divers génère, au sein des réactions codées, des troubles; certains data font l'objet d'une rétention pour analyse ultérieure, d'autres sont rejetés partiellement pour informations accessoires. Les effets sont les suivants: la rétention finit par chercher à se libérer (il y a donc émission vers des substituts, par suite de transferts), et le rejet cherche à récupérer ses biens et, pour ne plus en être importuné tout en se souciant de leur utilité éventuelle, les accumule en paquets. Une présélection a lieu à l'arrivée de nouveaux data qui se présentent : ceux qui suivent des routes et ceux qui forment des amas, à savoir les deux canaux qui viennent de se former. Un paysage, en fait, se forme.

PPS n°4 : les nuages qui viennent de la terre s'avancent comme une voûte violacée ou grise, épaisse, sur la mer qui s'élance au soir par vagues vertes vers l'immense arc de la plage. S'ouvre alors l'espace de leur dilution. Occupés à leur seul travail, ni ciel ni mer n'abandonneraient leur matérialité. Ce soir, ils ne se rencontrent pas, ils se joignent par des effluves roses, bleus, des roses et des bleus multiples sur l'horizon ouvert. Quitter la substance, c'est acquérir la réalité : vapeurs, émanations - apparences premières car la dilution permet à la lumière de se poser, une représentation se compose, un événement a lieu dans un espace qui s'instaure. On ne sait rien d'autre du réel. Et lorsque nous comprenons, inventons, il faut penser que c'est ainsi : une dilution. Potentiel régi par des règles de propagation sur des surfaces.

Sur quoi fonder les affirmations précédentes? Faut-il se référer à des analyses psychologiques ou aux neurosciences? Or l'enjeu n'est pas de fonder, mais de dire que les deux espaces ne s'opposent pas car ils se livrent à une modification des éléments qu'ils s'échangent. L'origine, le fondement sont les résultats des jonctions qui autorisent à désigner des principes fédérateurs, si bien qu'un fondement n'est pas premier mais est un produit particulier de deux espaces (l'effet positif d'une jonction, comme pour le "sujet" dans la philosophie classique, avons-nous dit). Il arrive, dans certaines conditions qui déterminent la jonction que ce que l'on émet soit en rupture avec un déterminisme codée (désirs inhérents à notre nature biologique), et que ce que l'on retient et amasse soit en désaccord avec un chaos hasardeux (données accumulées dont on ne sait que faire, à quoi les lier). Les deux espaces ont alors cette vertu de se démettre d'emprises de nature cette fois-ci oppositionnelle (code et chaos). Emettre-amasser : le premier mode se livre au monde et l'emploie, le second le sous-tend, le rend consistant, construit des écluses. Intérieur signifie des trajets sans accès aux destinataires, extérieur signifie des réseaux et des mailles se fermant.

Subjectivité et objectivité ne recouvrent pas les notions de ces deux espaces, car ils sont leurs modes de formation. a) Qu'en est-il de la subjectivité de l'espace intérieur? C'est le "moi" résultat de quelque jonction d'un type à définir (si le "je" ou sujet renvoie à la jonction deuxième ou "découpe", le "moi" pourrait venir de celle dite "effleurement", - autant d'expériences vécues aux appartenances antérieures -). Quant à son objectivité, il suffit de dire que certains de ses éléments se projettent si souvent et si régulièrement sur le plan de l'amas qu'ils sont repérables comme une constante. b) Considérons l'objectivité de l'espace extérieur : une objectivité absolue, sorte de trou noir, non-identifiable au premier abord, que l'on entrevoit comme indice de la mort ou d'un univers où l'homme n'a plus rien à faire, réseau clos sur soi, quoique des degrés plus ou moins tautologiques existent et forment des strates d'accès. Il doit exister une objectivité si totale que l'on ne peut plus l'interpréter ni l'assimiler tant elle se tient en dehors de toute représentation. Quant à sa subjectivité, elle est dans les infinis d'ordres construits pour engranger les données retenues, dans une prolifération insoutenable contenue par les classifications. Elle est ce qui entretient l'entreprise taxinomique (il s'agit toujours d'un choix) grâce à quoi elle maintient une continuité entre les éléments amassés en supposant chaînons manquants, variabilité, adaptabilité, seccabilité ou axiomes.

Il s'ensuit que l'espace intérieur et l'espace extérieur connaissent pour fondements de leur subjectivité et objectivité des résultats de jonction, qui sont comme des progressions se dévoilant. Des modes de formation existent pour les deux espaces.

Les deux subjectivités ne sont pas équivalentes, de même les deux objectivités.

Ce sont les deux objectivités conjointes qui sont intéressantes, l'une faite d'émission, l'autre de rétention, l'une née d'une subjectivation "distendue" car régulière et répétée (on dira que l'éloignement du datum émis par rapport à son point d'émission est tel qu'il perd de sa subjectivité initiale), l'autre d'une objectivation "autosuffisante" ou absolvante (on dira pareillement que le datum amassé se libère de tout contact avec les data voisins et se montre comme un fait d'une neutralité totale). On est loin d'une correspondance immédiate mais leur ressemblance produit une possibilité de les lier et penser ensemble. Le fait, par exemple, qu'un élément, c'est-à-dire une spécification de l'espace intérieur, ait place sur l'espace extérieur, donne à ce genre d'objectivité une teneur topologique : on ne verra point forcément le double ancrage (un fait a deux représentations, l'une en l'espace intérieur, l'autre en l'espace extérieur) alors que l'élément résultant se situe en dehors des deux espaces, fruit d'un couplage qui lui accorde sa vertu, il échappe aux caractères des deux espaces ou les exprime simultanément selon qu'on le prend tel quel ou qu'on l'analyse. C'est une objectivité en cours qui invite au couplage ou une objectivité traditionnelle qui pousse, pour être comprise, au découplage.

Ainsi, dans la langue naturelle, des expressions propres deviennent figurées (conservant une attache dans un plan et prenant l'aspect cumulatif de l'autre plan pour désigner un aspect général) tandis qu'un idiomatisme se traduit par un double effort de sens global et de style à valeur spécifique (il faut donc le découpler) .

Une part de créativité demeure attachée à une telle objectivité, celle d'une possibilité de transcendance comme lieu en rien détaché de tout mais surgi d'une construction très naturelle puisque l'on se base sur le besoin de conjoindre des data (leur contenu importe peu: a) quand un romancier dénoue ce double enracinement d'un personnage, il l'élève à la puissance de modèle humain ; b) quand le "cogito" cartésien fait cette expérience : émission constante de pensées et acte autosuffisant se densifiant.

L'espace extérieur s'objectivise aussi en se pliant aux considérations de l'espace intérieur : il s'impose de formuler toujours un minimum de contrepartie aux théories que nous bâtissons, fournissant dans ses réserves de quoi alimenter une preuve par les faits. Sa plasticité à nos demandes est un leurre aux yeux du moraliste qui n'en voit ni la nécessité ni la puissance. C'est, au vrai, l'occasion de fabriquer des convergences nouvelles et donc des objectivités stratifiées. Son effort est si louable, d'une telle et patiente humilité qu'il nous assure qu'une confiance renouvelée nous est accordée et nous accompagne, même si nous souffrons parfois de ses maladresses et de l'arrêt qu'il provoque aux trajets émis, à s'interposer pour les assister ou les recevoir, à briser leur élan par une masse de faits.

De combien de réponses l'espace extérieur est-il chargé, lesquelles permet-il? C'est le destin de chaque vie (variété de modèles) qui le dit, mais l'inégalité qui s'en dégage nourrit les idées d'élection et de providence, laquelle ne saurait être inégale que par suite d'émis atrophiés (conditions matérielles et éducatives que l'on peut corriger). De plus, il revient à une activité intellectuelle de constituer et d'affiner à l'extrême l'objectivité de l'espace extérieur, de la diluer pour la modeler à la redoutable demande de l'espace intérieur, afin que chacun puisse recevoir les réponses à ses émissions (des furtivités successives dessinant nébuleusement des désirs légitimes).

Objectivités et subjectivités ainsi constituées ne s'opposent pas, ni se complètent mais se développent sur les deux espaces et les tiennent tous deux à proximité de relations et d'entraides. Des dispositifs facilitent le développement de liaisons qui opèrent avec l'apparition de temporalités bien particulières.

III- Temps en scènes:

Etre face à des processus et à des immobilisations conduit à penser que des formules essaient ainsi de produire du temps, sous plusieurs formes. Il existe des formules qui fabriquent le temps, l'animent et le mettent en scène.

Prenons cette phrase compréhensible immédiatement :"à quatre heures, il sortit"; pour autant, il ne faut pas oublier le dispositif caché qui a pour issue "quatre heures" et "sortit", et ne pas considérer "il sortit" comme une action couplée à l'heure par un ne sait quel mécanisme ou agencement dissimulé qui n'a rien de causal (s'il sort, ce n'est pas forcément à cause de l'heure, comme s'il est quatre heures, ce n'est pas à cause de sa sortie; l'heure ni l'action ne sont toujours pas cause mais peuvent être effet de ces jonctions à décrire). Mais il convient de conjoindre les énoncés, de ne pas les défaire puisqu'ils sont les deux issues simultanées hors d'une même boite noire, le temps n'est pas un paramètre indépendant, mesurant des évolutions. La théorie de la relativité l'a bien montré. Dire "où et quand" n'est possible que comme résultats, non comme catégories innées.

S'agissant du temps comme autant de produits particuliers, une scénographie apparaît. Il faut comprendre un effort d'intelligibilité avec les moyens du bord. Ainsi, la question du temps a sa résolution propre si l'on considère les inévitables décalages que forgent les deux espaces. Certes, le temps ne se saisit pas autrement que par la comparaison de deux mouvements, l'un plus lent que l'autre, l'un en référence. Mais les autres domaines de l'activité intellectuelle diffèrent du dilutoire propre à ces jonctions quant à la mise en scène du temps. Par exemple, ce que l'on peut appeler une capacité à une autofascination, parce que c'est un temps qui trouve en soi ses finalités comme si les traits émis se courbaient et se refermaient, comme si les faits amassés se donnaient comme des horizons internes. Une jonction se saisit comme un bloc de temps sans que ses moments aient une valeur dont je pourrai me servir pour interpréter l'âge de l'univers ou les phases d'une civilisation ou des degrés d'évolution personnelle. Il n'y a pas de perspective historique à long terme ni même de durées psychologiques qui soient satisfaites, les premières comme les secondes ayant en commun d'être des dilatations (par un avant et un après ou par un présent attractif). Le déroulement des jonctions s'effectue pour lui-même, dans l'oubli de tout ensemble global et structurant (Humanité, Etat, Vie, Périodes, Stades de croissance psychique), dans l'illusion complète de son engagement. Il ne faut pas y voir un simple aveuglement, mais une protection, une ligne de défense efficace pour un projet créatif.

Et ce n'est pas non plus le temps du jeu (jeux de société) qui pourrait lui ressembler parce que ce dernier est un système clos de règles et de finalités (victoires), et qu'il se périodise en essais et en adaptations au jeu du partenaire (temps quasi-synchronisés par l'alternance des coups) alors que la mise en scène du temps métaphysique n'expérimente pas (il surgit, instable), crée deux mouvements décalés et autonomes, suspend tout autre repère extérieur. Le temps du jeu est un duel qui fascine pour l'inégalité des données, à l'intérieur d'un cadre fixé et externe, il ne peut s'autofasciner. Il fabrique de l'absence de temps. La partie peut durer sans que les joueurs aient conscience du temps qui passent, c'est un oubli, ce n'est pas le déploiement d'une nouvelle temporalité, générée par l'autofascination. Seul le jeu des enfants se rapproche d'une réelle autofascination, à cause de cette même invention de mouvements décalés ("tu serais le voleur… je serais le policier…", le voleur avant le policier) ; parfois il s'y ajoute des durées ("j'aurais revécu…", "tu serais maintenant grand"). Mais vite l'alternance propre au jeu se montre, le décalage disparaît.

On approche mieux d'un temps métaphysique si l'on cherche à expliquer des propagations. Ainsi, les six jours de la Création n'ont pas d'autre sens : les dilater, les traiter en périodes, les comparer à des étapes psychologiques, ou à des durées maturant le temps, ou aux phases d'un jeu divin, ne sont que des prolongements maladroits. En fait, ils disent qu'un processus créatif constitué d'une certaine scénographie temporelle a en lui sa finalité et qu'ainsi il se protège de ce qui le détruirait : l'alignement ou l'imbrication à l'intérieur d'une chaîne temporelle annihilerait ce qui est en train d'advenir et qui n'a pas de place encore, et ne peut se ranger dans une suite, parce qu'il est événement, donc phénomène encore sans imitation ni ressemblance. L'autofascination est une véritable mesure de l'apparition.

Songer à ces cas où en disant "je n'ai pas vu le temps passer", l'on ne signifie pas "j'ai vécu sans temps", en raison d'une activité si prenante qu'elle nous "autofascine" (elle nous crée des temporalités nouvelles, inédites, en rien ritualisées ou se substituant à l'ordre temporel habituel, en rien définies par une finalité précisée), et se demander comment nommer ce temps.

En effet, cela n'implique pas toujours la même mise en scène. Les jonctions entre espaces ont la leur.

Si l'on considère l'enveloppement de l'espace extérieur sur l'espace intérieur, le phénomène est si déterminant que ce temps sans perspective qui se tient dans son unité prend une forme structurante à l'image de ce qui se passe: c'est "un temps-bocal" avec un passé et un futur en bas et en haut indifféremment et un présent qui flotte entre eux et se rapproche tantôt de l'un ou de l'autre sans occuper une position médiane stable. Cette mobilité du présent est capitale pour maintenir passé et futur dans une relation et ne pas les laisser se découpler. Chaque fois qu'il s'approche du passé ou du futur, le présent les creuse et les rend plus concaves, définissant un espace-temps plus ample. Ce n'est pas le passé qui éclaire le présent ni le futur qui tend le présent, ils sont tous deux sous le coup des poussées du présent, augmentant par son oscillation l'amplitude générale. Tout dépend de la puissance d'englobement qui libère l'espace intérieur en l'auréolant de zones vierges, terres à investir. Un centre instable se crée qui va d'un archipel à l'autre, ce centre mouvant et nouveau fait fonction de présent. Quant à l'aimantation que constituent les pôles passé et futur, elle est illusoire, souvent s'inverse sans dommage : qui ne pourrait voir que regarder son passé est une manière de le présenter devant soi, d'en faire un futur momentané, comme de regarder son avenir une manière de vouloir l'accaparer et donc de le ranger dans un passé bientôt vécu? Tel est l'intérêt de ce temps-bocal et toute sa richesse. Premier jour d'une création, celui du ciel et de la terre, entre les paumes d'un démiurge auteur de libertés à réaliser (des présents).

Quelle mise en scène pour le cas suivant où l'espace intérieur découpe sur l'espace extérieur un territoire, où il se figure un contraste entre fond et forme, où une délimitation retient l'expansion des émanations de l'espace intérieur? Une ligne de séparation enclôt cet espace plus dense, elle ressemble à un bourrelet d'une épaisseur variable puisque la propagation est bloquée et l'on peut dire que cela fait refluer l'influx de l'espace intérieur en adoptant cet aspect concentrique que le pourtour-butoir impose. Il existe alors des mouvements temporels annulaires dont le point commun est la réversion, qui sont acculés vers un centre fuyant. "Temps-anneau" qui ne se déroule pas mais remonte en s'accumulant, et se veut origines plurielles. A chaque marée des hauteurs différentes et en des points irréguliers de l'anneau. Aucune constante ni moyenne ne sont à prendre si ce n'est que les plus hauts points sont des accomplissements et les plus bas des inaccomplissements et les médians sont des images du bourrelet de bordure, des fréquentatifs. Désirs réalisés, désirs échoués, désirs renouvelés. L'espace interne a reçu comme réponse que l'espace extérieur s'est ordonné de façon à orchestrer cette intrusion. La structure annulaire favorise un temps qui se renforce de ses actions renvoyées et les hauts points de renvoi inaugurent par cela même leurs sources, les dotent d'une origine. Sommets d'extase, des firmaments naissent au milieu des eaux du deuxième jour.

Puis plan dur des tables où l'interne et l'externe sont puissances au carré, se soulèvent et se livrent à leurs folies, certainement par désillusion réciproque, par déconvenue à des essais mal engagés et d'un commun mouvement accroissent leurs émissions et leurs assemblages. Il y a un interne à l'espace intérieur, un externe à l'espace extérieur, et leurs mouvements éclairent leur nature. Un automne soudain, luxuriant de couleurs et tempétueux à foison, nous rappelle que couleurs et tempêtes s'ignorent mais font de même. Les feuilles du cerisier ont rougi et tombent par pleins paquets sur le sol, montrant tantôt leur face pâle, tantôt leur face rougeâtre: la nature de l'espace intérieur est émission à partir d'une unité dont la structure est émettrice (l'arbre et ses rameaux se déployant). Sur le sol, les feuilles se répandent et s'amassent. Mais, là-bas, au bord de l'océan, les vagues vertes et grises accourent, surgies de partout et répétées, et une fois le rivage atteint, s'enfoncent à nouveau dans la grève : la nature de l'espace extérieur est amas à partir d'aucun point de départ. Les vagues ont surgi de ces profondeurs agitées de courants (ces "aucun-points de départ"), ont montré leur face claire et sombre. Elles étaient si nombreuses. C'est pourquoi le temps est ici quadruple: une chute et un plan ; une ascension et une surface. Le mouvement de la chute correspond à celui de l'ascension ; celui de la surface se superpose à celui du plan (à la chute dérivante des feuilles, correspond la montée à la surface des vagues, avec des tourbillonnements identiques). Hyperboles et intégrales se construisent. Il s'agit du Futur, de peuplements qui s'imitent sans se connaître, selon ce quadruple mouvement : inscrire dans le sol environnant des désirs qui ainsi s'amassent (jusque là, ils étaient émis sans destinataire) , et dévoiler en une surface comble des percepts qui ainsi sont des signes émis (jusque là, ils étaient amassés sans usage). Cela est un double tourbillonnement . Le Futur est un retard dans la chute et l'assomption, ce temps qui permet de tomber et de monter, cela sera si le tourbillon n'est pas immédiat et quant au résultat, il sera face claire ou sombre de la vague et de la feuille, incertain. Temps quadruple ainsi. Chute signifie un futur qui se donne un destinataire, assomption un futur qui se livre à une direction mais dans un cas comme dans l'autre, l'accès au destinataire ou à la direction se fait par des obliques, des arrivées hasardeuses sur le plan de réception. Il en est bien ainsi du futur proche, lointain, espéré, latent, dont il ne faut pas mesurer le champ aux seuls impacts mais plutôt aux trajets plus ou moins distendus qui en constituent l'aire. Le Futur est la somme des retards d'en haut et d'en bas, ce qui pèse et se meut advient plus vite, ce qui est léger et diffus est pour demain, et pour après demain il s'agit de feuilles et d'écume d'une telle délicatesse… Mais nous sommes toujours devant ce qui advient le plus vite, et seulement parfois nous entrevoyons un horizon plus subtil. Cette loi nous est imposée, que le subtil une fois atteint est déjà recouvert du plus pesant, pressant et immédiat, sans que le chemin frayé par les anges ne nous soit visible. Troisième jour où l'herbe croît avant les luminaires.

De la quatrième jonction, celle où les deux espaces paraissent une peau sensitive qu'effleure un rayon de lumière ou bien l'ombre d'un songe, il faut concevoir des taches comme autre déterminant du temps. Aucune épaisseur, des contours irréguliers, une évaporation de data émis et amassés, une recoloration ou décoloration. Loin d'être un écran, ces taches manifestent l'existence d'un "foyer" qui les projette comme une impureté momentanée. Impureté à une autosuffisance, à une homogénéité (celle des espaces). Ce ne sont pas des découpages mais des entachures volatiles et mouvantes, des dessins qu'un des espaces rend reproductibles et que l'autre veut étendre et prolonger. Multiplier des traits (faisceau) ou étaler des grisés (pinceau). Qui retrouve une sensation, un sentiment, une connaissance, en cueille les éclosions, vient, par elles, à embuer le miroir de vos souvenirs. Le temps y est double, enchâssé pour permettre une luminosité, d'un côté les zones tachées des espaces, de l'autre ces foyers errants qui, issus d'événements antérieurs, les entache de leurs propres consistances. Mais ce "temps-pellicule" a pour effet de fabriquer, par ces contrastes, de la lumière et des saisons, et des alternances. Nos espaces sont notre système solaire où circulent comme luminaires le soleil de nos intentions et la lune de nos mémoires : certaines reviennent avec la régularité des comètes, mais selon des rythmes inconnus sauf de notre moi qui ne tient pas à nous en confier toujours le secret. Astronomes pour des cieux changeants, les penseurs n'ont d'autres relevés que les écrits et les chants. Le temps est celui de l'optatif dans le passé et le futur : en se plaçant dans le passé, l'on imagine que l'on aurait pu avoir ce souhait ; si l'on se met dans le futur, l'on pense que l'on aurait à avoir ce souhait. Ce souhait est comme un peu de lumière dans les ténèbres de ma mémoire et de mes projets. L'ombre projetée fait naître un sens de la lumière, comme un regret ou un remords sont un appel vers le bonheur manqué. La tache peut être lumineuse. N'est-ce point la fonction des anges que voyait l'ânesse de Balaam, de s'interposer dans le soleil aveuglant pour que lumière soit ? Quatrième jour quand jour et nuit furent éclairés par le soleil et la lune.

Une cinquième mise en scène est possible, fondée sur le caractère propagatif de la jonction des espaces. A l'instar d'attaques frontales, de jets perpendiculaires, la surface se rompt et l'ébranlement se fait comme un éclair zèbre le ciel. Bords hasardeux et fissures latérales, sans que l'on sache si l'éclair part du ciel vers la terre ou l'inverse ni sa profondeur. Ni point de départ ni point d'arrivée ni fonds ni foyer central mais une brillance en tous ses lieux simultanée et ses fines et infinies veinules. Le recouvrement du ciel et de la terre n'y est pas superposition adéquate, l'un au-dessus de l'autre, mais il est maximal parce qu'une relation polarise toute leur énergie, condense leurs émanations et les délivre en un potentiel qui démultiplie leurs forces. Le résultat est bien l'acquisition d'une ligne de fracture au sein de l'espace extérieur qui le remodèle et lui donne un autre paysage, s'apparente donc à une naissance d'événements. Quel temps se met en scène dans ces conditions? "Temps-échelle" serait une nomination pour indiquer que des distances infinies se sont créées, distances que des lignes horizontales de plus en plus longues expriment et que leurs intervalles sont des cadres d'organisation potentiels. Le vent a dépouillé en partie seulement le feuillage, les branches apparaissent mieux, et les pommes rouges surgissent entre deux rameaux noirs sur le ciel bleu de l'automne. Cet arbre a ses barreaux qui segmentent d'inégaux espaces prometteurs que le vent traverse et coupe, invisible éclair dégageant une arborescence, celle que l'arbre ignorait lui-même. Succession vécue parfois comme élévation, passage d'un niveau à un autre, ou alors descente par dégradation ou effacement humble, quoique le changement ne se fasse pas par un axe vertical mais par les extrémités (glisser au bout de la branche, de la ramification, de la veinule, pour changer de strate) dans un mouvement exploratoire. Ici, la succession fait du temps un datif, une action atemporelle qui a lieu pour quelqu'un en vue d'un don, non une succession d'instants mais un instant qui se succède et n'a plus de fin, qui ne se répète pas mais qui épuise tout ce qu'il est par suite de l'offrande qu'il traduit latéralement. Le don peut être bon ou mauvais, il est d'une nature telle que tout est alors polarisé, ramifié, multiplié et objet de chemins comme de glissements successifs renouvelant le don. Au cinquième jour, "crescite et multiplicamini".

Ces cinq mises en scène sont profondément liées au caractère propagatif de la réalité. Le mode de propagation détermine un dynamisme temporel et le génère plus qu'il n'assiste à un écoulement. Ce dynamisme est identique à une formule qu'il a fallu inventer, qui est issue d'un certain travail de dilution. Le temps est altéré, spécifié autrement, il se présente comme l'effet d'un dispositif spatial. Il n'est plus un temps "matériel" mais "réel", ayant son autonomie d'action par rapport au temps matériel qui a d'autres enjeux (régularité, succession d'instants identiques, durées psychologiques, dilatation vers le passé et l'avenir : dans tous ces cas, il est un substrat). Le temps réel n'est pas une illusion de nos sens, ni une perception subjective (durées liées à un état psychique), il parcourt le monde physique (tout processus est un soulèvement de temporalités : sortir d'une chrysalide, par exemple, est un présent se heurtant aux bourrelets du cocon) comme il atteint nos vies lorsqu'elles sont soumises à des devenirs. Plus de réalisme est impossible.

IV- Acte idéographique:

Le temps grisâtre de la Toussaint, cet air cotonneux et déjà froid qui est en suspens, indique la difficulté : comment amener à proximité l'horizon incertain des dilutions ? On pourra croire que songer au spectacle de la nature est un artifice alors qu'il entre dans l'élaboration des concepts, rend capable d'entrevoir les jonctions pour les énoncer dans un traité qui en fait son contenu. Dans l'échange avec une perception de la nature se tient des formes imprévues de probation.

Parfois aussi les embarras du quotidien font que la rédaction est interrompue sur plusieurs jours. Il faut se prémunir contre l'impatience, et s'inclure dans ces périodes infécondes. D'ailleurs, une grande interrogation, pour l'heure, est d'observer si l'intérêt pour les choses de l'existence, diminue ou s'altère, à écrire une métaphysique. L'indifférence est-elle conjointe? Faut-il se situer sur les sommets et oublier le réel? Les philosophes d'autrefois, sortant dans la rue, devaient trouver des hommes affairés et loin de leurs constructions, quoiqu'ils aient eu à poser le problème nécessaire à leur temps tandis que le métaphysicien actuel appartient à des contemporains livrés à leurs courses de supermarchés et leurs embouteillages aux péages, et il se doit persuader qu'une métaphysique leur est plus nécessaire qu'une clarifiante théorie économique. Or, cette solitude de toutes les époques n'est pas décourageante parce que ces hommes n'apparaissent dans l'aveuglement et la stupidité qu'en ce qui concerne leurs quêtes d'objets mais non dans leurs expériences qui mettent en jeu les notions entrevues (les jonctions). Leurs quêtes concrétisent des engagements dont la nature, s'ils l'apprenaient, les aiderait à ne pas croire qu'ils vivent dans l'immédiat réflexe mais à surveiller dans leurs actes la part qui reste louable.

Revenons aux deux espaces pour en spécifier le rôle (ce que nous entendons par dilution) : chaque personne les porte tous deux, l'un pour ses émissions (désirs, intentions, sentiments…), et l'autre pour ses classements et ses amas (connaissances, souvenirs, expériences, …) . La rencontre de seulement deux personnes met donc en jeu les zones activées de quatre espaces, en active d'autres, en inactive aussi. On aimerait savoir quelles sont les zones dont l'activation accélère les jonctions précédentes et les mises en scène temporelles les plus justes. Or ce n'est pas à une éthologie qu'il faut aboutir mais à traiter du produit dilutoire des jonctions qui est la possibilité même des rencontres et des activations de zone. S'il n'y avait que des rencontres et non des jonctions, l'on assisterait alors à des froissements et des superpositions (c'est la plus grosse part de nos quotidiens). Mais autre chose est en cours. On peut systématiser la complexité suivante : a) chaque personne entre ses deux espaces peut obtenir des jonctions ; b) avec une autre, elle peut lier son espace intérieur à l'espace intérieur (il me manque de savoir si une jonction se crée, puisque les cinq types ne posent pas ce cas de figure) puis à l'espace extérieur de l'autre ; c) de même pour l'espace extérieur avec un espace extérieur (même cas de figure que précédemment: une jonction est-elle alors? Je ne la vois pas pour l'heure); d) enfin elle peut lier les jonctions de ses espaces aux jonctions des espaces de l'autre, ou aux seuls espaces de cette même personne. Et la complexité peut croître si l'on adjoint une tierce personne et plus. Pourtant, c'est le caractère dilutoire d'une jonction qui permet les rencontres et donc peu importe que l'expérience se fasse par une ou plusieurs personnes, la quantité combinatoire n'ajoutera rien. Il est des espaces englobant, des effleurements et des retournements qui induisent une dilution prometteuse, par exemple celle du temps qui "se décompose" en mouvements élastiques, en accomplissements, en retards, en souhaits et en dations.

Ce qui se dilue, sont-ce des éléments, des unités semi-closes, des substrats ou des entités? La dilution aide à la mise en scène des éléments, elle leur est antérieure. Elle agit sur les data émis et amassés de façon à ce qu'ils s'identifient à des espaces. Une sensation de couleur ou d'odeur, une intention d'intérêt n'ont pas d'existence délimitée, voilà pourquoi elles s'apparentent à de l'espace. Dans tous les cas, ce qui se dilue est un espace qu'il soit premier (apparition d'éléments) ou second (déformation des éléments constitués). Dans ce dernier cas, les éléments déjà apparus se rangent dans l'espace externe et d'autres vont vers l'espace intérieur comme moyens nouveaux d'émission. Les jonctions sont alors possibles entre de tels éléments seconds, devenus espaces particuliers.

Il faut penser à ce qui se produit avec la musique : le mystère de la musique est dans cette capacité d'un créateur-interprète à diluer les notes et à les transformer en musique, ce qui se manifeste par l'invention au cours des siècles de différents procédés ou types de dilution : retrouver un timbre dans sa pureté, le faire vibrer, en moduler les attaques et les chutes, parvenir à un enchâssement par des accélérations ou des diminutions respectives, l'entourer d'instruments différents ou d'accords en contrepoint, sont les traces effectives de différents types de dilution. La musique courante est dans la succession réussie de notes efficaces qui restent des notes avec plus ou moins de science pour les lier et les faire retentir l'une par rapport à l'autre (autant d'espaces collés, superposés, enchevêtrés dont il faut parler comme des "rencontres") alors qu'un air inégalable prend un groupe de notes émises et l'engage dans un mode dilutoire (l'espace extérieur y est moins accompagnement qu'un dispositif d'extension) et cherche à s'approcher de ce que serait un spectre sonore s'il devenait spectre lumineux : une continuité dont la limite extrême, loin d'être à nouveau le bruit confus, se nourrit des immanquables silences ou des obligatoires séparations de hauteur entre les notes pour amplifier l'étendue de la note en question (d'un groupe en réalité), comme "la faire entendre" là où elle se tait, comme la "faire entendre" là où elle n'est plus, dans la note d'avant comme d'après. C'est bien là l'illusion que donnent certaines interprétations accordant à un air ses déformations dilutoires. La forme établie cède le pas à la dilution qui suggère des forces en émoi, des montées en puissance ou des afflictions. Les jonctions sont en musique le rapport entre la hauteur et la durée des notes : entre ce qui est émis (hauteur) et ce qui est amassé (durée). L'espace extérieur, lors des jonctions, désarticule les sonorités émises par des allongements, des effets d'attente et des répétitions (le leitmotiv, la formule, l'air, la variation s'engendrent comme un effet des dilutions). La mélodie se divise entre ce que l'on entend physiquement et ce qui s'entend en plus, au-delà, quand les notes ne sont plus seulement stimuli enclenchant des réactions de l'auditeur mais quand elles évoquent des points de départ, des dispositifs initiaux, des tentatives qui ont présidé à leur emploi, une antériorité qui se doit d'être lointaine. Il s'ajoute autre chose à ce qu'elle est : une mise en scène du temps selon les jonctions. La dilution a lieu. Tous les types de jonction et leur travail dilutoire interviennent donc également. Des englobements et des effleurements déterminent par exemple des passages musicaux où les espaces intérieur et extérieur font naître la féerie requise. Le violon n'y affronte pas le piano, il devient protection d'une autre voix, messager d'un désir ou d'une rêverie, il cherche à prendre demeure, et ainsi de suite.

Constat : La musique a su créer sa symbolique, des portées et des clefs, des noires et des blanches, des harmoniques. D'abord des signes, puis des calculs d'accords. Il y a des opérations rendues visibles. L'envie est forte d'aboutir à une semblable écriture pour la métaphysique en cause ; déjà les clefs seraient les cinq jonctions mais comment écrire la dilution ? Car le but n'est pas dans cette métaphysique de désigner une totalité ontique mais les cas d'apparition des jonctions, non seulement d'abord pour les reconnaître mais aussi pour les favoriser de nos attentes intellectuelles. Les phénomènes naturels sont assez bien décrits par le biais de relations et de phases et l'on peut supposer que les combinaisons de rencontres ressortissent des mêmes règles. Pour les jonctions, il faut poser des dispositions particulières de la nature, certains états excités des espaces, des formes d'espaces qui ne sont en rien miraculeux mais qui induisent des effets très remarquables. Un englobement ou revêtement est une de ces formes qui surviennent sans doute au milieu de rencontres dont les formes ne sont pas celles de l'englobement, qui peuvent s'en approcher (des volutes, des circonvolutions) jusqu'à devenir englobement (revêtement), qui en sont alors l'imitation partielle ou le simiesque échec. L'on peut croire que les espaces intérieur et extérieur de chacun trouvent dans ces expériences des modèles tellement incomplets que l'idée de les redéfinir l'emporte et que ces espaces en viennent peu à peu à se modeler en vue des jonctions. C'est l'image de Perceval fasciné par trois gouttes de sang sur la neige, véritable jonction tandis qu'auparavant ce n'étaient que rencontres insatisfaisantes quoique peut-être préparatoires. Il se figurait là, pour lui seul, une délimitation prodigieuse de l'espace extérieur, une réponse à sa trop grande demande intérieure. Car sa jonction est celle de la transfiguration par découpage. Dans le même registre de réflexion, se demander s'il a existé et existe des hommes qui n'ont pas connu et ne connaîtront pas la passion amoureuse. Est-il vrai que chacun, au moins une fois, connaisse une telle émotion, ne peut-on supposer que certains y échappent, ou s'y refusent, à la façon dont une grâce (celle de connaître, un jour, un besoin de Dieu) n'est pas donnée à tous? Il s'agit bien, ici, de différencier rencontre et jonction, de séparer ce qui est de l'occurrence probabilitaire de ce qui ressort d'une forme géométrique précise.

Il faut convenir d'une symbolique qui désigne les modifications des espaces a) par les jonctions, b) par les rencontres-produits de jonctions. Il faut concevoir que des rencontres ordinaires, stabilisées par une régulation sociale, servent de support préparatoire/inhibant à ces événements majeurs que sont les jonctions et qu'elles jouent, de fait, un rôle délicat à déterminer.

- Modifications - appelons-les : "a" - usons d'un descriptif imagé : l'espace intérieur s'étire derrière l'émission, crénelant le pourtour et pouvant le trouer si l'élongation est trop forte en des endroits ; l'espace s'étire régulièrement grâce à une bonne résistance de l'ensemble répercutant l'extension sur le pourtour ; l'espace a des soubresauts, des hoquets partiels ou bulles, cloques se résorbant par éclatements ou demeurant telles. L'on décrit cinq dimensions: les deux longueurs (extension et pourtour), les deux largeurs (élongation et résistance), des épaisseurs ou hauteurs (trous et cloques). Base autonome. L'espace extérieur répond ainsi : empilement, accroissement de la surface, compactage. Il réagit de cette façon : l'amas connaît des effondrements, des zones vides et des densités inégales. Autre base.

Mais le secret des jonctions se prépare peut-être déjà dans ces modifications des deux espaces, quand l'émission met trop à mal le système de l'espace intérieur, quand l'amas déstabilise l'ordonnancement de l'espace extérieur, en particulier surtout quand leurs hauteurs diminuent beaucoup parce qu'à ce moment ces espaces sont comme des peaux tendues où le son résonnera, et qu'il faudra reconstituer une unité. Mais aussi quand des épaisseurs se forment, les deux espaces sont saisies dans leur vérité profonde et dense sans la mousse des affections instables, si bien que diminutions ou épaississements sont des facteurs favorisant les jonctions. La hauteur paraît bien le facteur décisif parce qu'il traduit ce qui reste après une extension de type dilutoire et ses effets de trous ou d'effondrements. Les espaces ont été modifiés, dilatés au point de perdre toute densité, s'il ne leur restait quelque épaisseur inaliénable ou s'ils ne se trouvaient dotés d'une épaisseur nouvelle. On la conçoit proportionnelle à une modification d'importance ayant déjà affecté les espaces.

Ce n'est pas la mesure de la hauteur qui compte mais le fait qu'elle ait varié. On la visualisera par la présence de discontinuités (vides et blocs dans une trame). Il faut appeler cette mesure aH0 et aH1 (épaisseur minimale et épaisseur maximale) et la considérer comme un indice de l'impact de la jonction à la fois préliminaire (stade préparatoire de la jonction) et résultatif (stade résultant de la dilution provenant de la jonction). aH0 et aH1 sont en stade initial ou en stade final comme l'indice de freins à la dilution : aHo désigne un processus prolongé et limité d'amincissement qui ne peut aboutir car cela voudrait dire que l'espace-système se néantise (la dilution lutte pour faire disparaître le reste ultime : le danger de toute dilution est que tout soit dilué) et aH1 est une structure qui s'érode sans disparaître non plus (la dilution s'attaque à ces organisations internes et tend à les détruire ou à les réduire). Ils interviennent, tout au long du processus de dilution, comme des coefficients modérateurs, comme des limites évitant une destruction. En poser l'existence revient à dire que les effets d'une jonction peuvent être ravageurs et que les espaces se prémunissent contre de tels effets, ce qui est typique de tout système (tout système produit de quoi s'immuniser).

Dans un autre ordre d'idées, on pourrait dire que aHo est identifiable, si la dilution est de l'ordre de la division, à une modulation constante du diviseur de façon à empêcher l'apparition de reste constant (le rapport de deux entiers), et aH1correspond à l'introduction constante d'"unités" au dividende de façon à retarder l'épuisement de la division. Il s'agit de rendre la disparition des espaces interne et externe impossible et en même temps de manifester le travail de la dilution.

Cependant l'un des deux espaces subit l'opération de dilution, l'autre surface enclenche la dilution et se déforme aussi pour continuer la dilution. Chacun a son degré de dilution ; une différence de vitesse entre les espaces devant se positionner l'un par rapport à l'autre de façon à ce que dilution ait lieu, se forme, ce qui revient à parler d'écarts que l'on peut se représenter (par convention) avec aHo et aHo1 ; on dira que l'un des deux espaces est plus avancé que l'autre. Si aHo est le stade final (le plus avancé, l'épaisseur minimale), aHo1 sera le stade initial (celui où l'épaisseur est maximale) mais surtout aHo mesurera l'espace où le processus dilutoire est le plus engagé, tandis que aH1 désignera le retard de l'autre espace. Et pour rester dans un cadre de représentation spatiale, on utilisera le biais d'une mesure d'angle. La dilution est une disposition particulière que prennent ces deux espaces, l'un par rapport à l'autre : nous allons dire une "inclinaison" ; plus le plan est incliné, plus la dilution a lieu mais deux limites existent, celle maximale et celle minimale, celle où un espace s'effondrerait sur l'autre (aHo) et celle où un espace commence à peine son inclinaison (aH1). C'est pourquoi aHo sera doté d'une valeur de 90° qui, à chaque opération (progression de la jonction) se modifie de moitié (inclinaison progressive vers le plan de l'autre espace, dans les deux sens : de 0° à 45° puis à 90° et de 90° à 45° et à 0°), et aH1 d'une valeur double de 180° qui, sur le même modèle, diminue d'une moitié (180°, 90°, 45°, 0°) ou augmente de même. A 90° les espaces intervertissent leurs écarts, l'un pouvant se diluer plus vite que l'autre. C'est un seuil. L'avantage de cette méthode est de distinguer des phases dans un processus, de se dire qu'il y a trois phases dans la mise en place des espaces pour une jonction. Des aberrations sont à concevoir de fusion des espaces ou de raideurs (l'inclinaison de l'un n'enclenche pas l'inclinaison de l'autre). Observer la justesse de cette convention (45° à chaque phase) revient seulement à déterminer des changements de direction ou des sortes de plis.

A la mi-novembre, la lumière n'en finit plus d'être dorée sur tout ce qui est élevé mais perce de moins en moins bien la brume bleue au ras du sol glacé et dans les rues humides. Nul n'avance vers les hauteurs, ni dans les ornières, sans que ces plages d'ombre et de dorure ne fassent penser que leur rétention se réponde par des gradations conjointes et dilue le monde. Ce n'est pas autre chose qui surprit Descartes en son poêle car son cogito est obtenu après que les hauteurs de ces deux espaces (l'espace intérieur avait la plus grande: aH1 ; il a fallu plus d'étapes pour l'évincer, trois étapes de doute, celle des sens, du sommeil et du malin génie, en la première méditation ; tandis que l'espace extérieur correspondait à l'effondrement de ce qu'il avait appris : il n'en restait qu'un peu de res extensa) se sont rétractées. Alors, le cogito comme issue a pu se manifester, comme instance nouvelle. Les pages qu'écrit Nerval dans Sylvie disent cette leçon. Dans Sylvie, le narrateur aime à la fois Adrienne au pied d'un château et Sylvie en lisière d'un bois, puis Adrienne prend les traits d'une actrice dans un théâtre parisien et Sylvie fine et sensible est promue gantière (extrémité des bras), enfin l'actrice descend de la scène, disparaît dans d'autres bras et Sylvie se marie au frère de lait du narrateur, un alter ego en somme; tout s'est dissous (Sylvie apprend au narrateur qu'Adrienne est morte il y a longtemps), la nostalgie s'empare du récit, ou bien les espaces se sont enfin conjoints dans l'évocation d'une pure certitude qui pourrait se dire ainsi : "j'ai été initié à l'infini des êtres, j'ai existé!". Le mode d'issue est resté l'essentiel, et non la nostalgie, son éventuel résultat. Nerval a modifié les hauteurs, pressé par l'impératif d'une jonction - celle où une découpe a lieu - (ces espaces au bord de lacs, de forêts ou au balcon d'un théâtre reçoivent la projection d'un désir qui se délimite par Adrienne et Sylvie).

- Jonctions - appelons les "J" ; elles sont au nombre de cinq et il suffit de les nommer symboliquement. Nous aurons Jp, Jq, Jr, Js, Jt. La forme des espaces se modifie (2ème col.) Et des effets nets se voient (3ème col.).

jonctions forme effets temps
esp. ext. vers esp. int revêtement protection "bocal"/présents
esp. int. sur esp. ext. découpe transfiguration "anneau"/effectuations
interne/externe revirement sur soi tables "retards "/ 4 futurs
esp. tangents effleurement messages "pellicule"/2 optatifs
esp. int. vers esp.ext. incrustation naissances "échelle"/datif

Ecrire "J" n'est qu'effectuer une description, un relevé certes mais en rien un calcul de ce qui se produit ensuite. Il faut partir de la forme adoptée par les espaces pour caractériser "j" qui est un opérateur permettant la dilution. Commençons par un descriptif de ce qui se produit entre les deux espaces.

Si Jp intervient, par exemple, la dilution consiste à donner aux data émis une enveloppe (l'espace extérieur se courbe vers l'espace intérieur), en fait à ce qu'ils se réfractent si bien que le désir (idée, intention, ou autre) ni ne se perd ni ne revient comme un boomerang brutal, mais s'oriente autrement, ouvre sa voie vers un autre bord que lui tend l'espace externe et se réfracte encore, atteint une complexité plus nuancée ou d'un trajet plus grand. Jp effectue ce type de dilution. Sa dilution est dans ses détournements inégalement répartis, semblables à un éventail, qui peuplent l'espace intermédiaire entre les deux espaces. La nature des data émis se modifie, se dé-substantialise, en perdant de sa force première pour se dégrader en traits plus fins, par suite de renvois et de ré-émissions successives. Le résultat est une ombre légère, un cerne ou fard délicat, qui dote l'espace interieur d'une profondeur et de nouvelles directions où désirer. : sera le symbole, et ce symbole sera utilisé pour désigner la dilution des éléments propres à l'expérience : idées, personnages, percepts, temporalités, images, tout ce qui est émis et se trouve arrêté (courbure) par l'espace extérieur concerné. Si l'on veut bien alors les voir comme des flèches effectuant un trajet, il suffit de dire qu'en se réfractant ils ont un trajet plus long, une ondulation plus ample, gage d'une idéalisation en cours, ou d'un approfondissement, ou d'une remise en cause. De plus, deux cas se présentent : le même datum est émis, puis ré-émis, ou alors ce n'est que sa réfraction qui est ré-émise. Efforts lancinants, variations dans un cas, épuisements sublimés d'une question dans l'autre. De toute façon, une dilution créatrice, parce que l'écho n'est pas mort, et qu'il donne aux deux espaces de se continuer. Car, si l'espace intérieur a ses data transformés, l'espace extérieur en s'articulant sur lui reconfigure aussi ses propres data, les aligne selon un plan nouveau : des résistances sur des zones petites feront que le mouvement général des phases sera contrarié mais tant que l'économie d'ensemble domine, cela n'affecte pas la dilution qui finit par se détacher et être autonome.

Que faisons-nous de ce qui nous est constitutif? N'avons-nous point assez accumulé pour que nos espaces extérieurs ne se courbent vers l'espace intérieur d'un être émettant ses avis? Se tendre à soi-même ou à l'autre une oreille bienveillante ne traduit pas la jonction en cause. Il faut une disproportion. Ce qui semble capital est l'existence de phases où l'écoute se place dans un plan d'accord progressif, deux phases ou trois, parce que l'intention émise (désir, perception, interprétation ou sensation) et le savoir accumulé (donnée, information, souvenir, connaissance) se mettent en devoir d'associer leurs mouvements, sans préavis, sans volonté ni commande.

Il en est ainsi dans la rencontre de Julien et de Mme de Rénal où les espaces qu'ils représentent (Julien a l'intérieur avec ses émotions dirigés vers un autre monde que le sien, Mme de Rénal l'extérieur avec son capital de biens, d'époux et d'enfants) se coordonnent et commettent une continuité : les deux s'associent et font un passage. Le charme tant vanté de cette scène tient à deux phases, l'une d'étonnement et l'autre de commun réconfort. Il y en aura une troisième, plus tard, celle de leur amour. Une hauteur reste, chez Mme de Rénal, mesure et signe de l'état de la dilution. Alors il faut bien comprendre que la jonction œuvre pour fonder des continuités et non des enveloppes maternelles, des oreilles attentives ou des fusions indistinctes. Jp est dilution par réfractions : au désir de Julien d'être, à ce projet émis et préparé, Mme de Rénal répond en le qualifiant d'enfant, de jeune fille, de monsieur et précepteur si jeune). Que de réponses et de trajectoires, que de renvois à ce que l'un pourrait être, mais désirs inventés et idées préconçues se désagrègent d'un côté et d'autre au profit d'un contrat nouveau, d'une entente commune admirative car inespérée. Toute continuité paraît ainsi remarquable, et l'on comprend que des penseurs lui donnent le statut de fondement, l'aient encensée quand ils croyaient l'atteindre, en aient fait l'origine et leur salut. La continuité est le résultat dilutoire, l'issue à des contraintes fortes pour obtenir le bon angle d'inclinaison (souvent, hélas, le datum émis n'est pas réfracté, ou bien est stoppé selon un mauvais angle d'approche). La mise en scène du temps le confirme : un "temps-bocal", le présent modifiant passé et avenir par des effets d'échos (lieu si vaste et si clos mais unification temporelle autour du présent lié à la réfraction qui se perpétue). Ce qui se produit est une plage irremplaçable, unique et lumineuse : ce sera le moment qui décide de l'avenir et éclaire le passé.

Terre et Ciel du premier jour de la Genèse ne sont pas deux espaces, comme les deux paumes du Créateur ; la notion de jonction leur donne leur vrai rôle de phases pour un accord : le choix émis par Dieu est la lumière (espace intérieur); au contact de l'espace créé (Terre et Ciel), la lumière subit une dilution, elle se réfracte en jour et nuit, en soir et matin, en retours et en allers. Un sentiment de bonheur (enveloppe opérante) existe ("Et vidit Deus lucem quod esset bona"), la lumière divine s'est déployée, en deux moments et espaces infinis. Terre et Ciel sont un seul et même espace extérieur qui s'est disposé pour recevoir la Lumière, se courber et l'accueillir.

Jq signifie une autre dilution. Déteindre est un autre maître-mot. Tout pourrait provenir d'un foyer central dont les rayons au travers d'une lentille sont concentrés si bien que, là où ils convergent, le lieu est plus brillant qu'alentour. Tout pourrait provenir d'un écran empêchant les rayons de traverser si bien qu'une ombre épaisse est projetée au sol et se distingue du voisinage. Les data émis sont assimilables à des rayons, et là encore ils ne se perdent pas, ni ne sont sans effets. L'espace extérieur les retient et les cerne d'un bord comme d'une lèvre retroussée, pour éviter leur hémorragie, et l'on sent qu'il opère sur lui-même une transformation. La dilution est dans cette découpe plus sombre ou plus claire, parce que le désir émis réussit à impressionner une partie d'un espace extérieur, à l'affecter et à déteindre sur son identité. C'est un gain énorme pour le désir que de se voir occuper un lieu, d'avoir une surface de réponse précise, cartographie de ses élans et projections. Mais l'on devine que cette découpe est risquée : il peut s'agir d'une réduction emprisonnant ou d'un escamotage indigne ou d'une sélection injuste. La dilution est réussie si la lentille est adaptée. Travail qui convient à l'espace extérieur se disposant selon les phases des hauteurs mais cette disposition revient à produire un filtre allant au-devant des data émis, à statufier un ensemble et à le dresser admirablement pour qu' il soit saisi par le rayonnement des désirs. Cet ensemble est, non pas les mille et une facettes des choses désirées (chaque datum émis se dirige vers un leurre ponctuel et limité), non pas l'addition des innombrables besoins et vœux, ni l'errance du regard et des intentions, mais une structure qui donne à ces désirs une unité, inconsciente du désirant, faite des liens inavoués et imprévisibles (de tels désirs revenant souvent comme un rêve obsédant). L'idée fut , dès le début, d'un arbre s'élevant que la lumière du jour éclaire et dont l'ombre couvre le sol et tourne selon l'heure du jour. Cette image est essentielle dans l'élaboration de ce type de dilution. L'ombre est bien l'effet dilutoire, ce qui s'enfuit de la seule réalité des espaces tant elle est volatile et mobile. Quelque chose s'extrait du bloc compact que l'espace extérieur constitue parce qu'il est fait d'amas (de connaissances par exemple) et va face aux désirs. L'espace extérieur manifeste donc sa présence par une construction dont l'origine est l'ensemble relié des points d'impact des désirs émis. Une partie de son état est innervée et se détache. A force de frapper à une porte, l'huis grillagé s'ouvre, ou alors considérons que les data émis ne sont pas disparates mais ont des récurrences qui finissent par alerter une portion de l'espace extérieur qui réagit en s'offrant comme réponse maladroite et irrégulière. Car la découpe a un contour hasardeux. Puis la dilution, à savoir l'ombre ou la clarté, rétablit parfois la donne et métamorphose ce mauvais procès. Ce qui se détache de l'espace extérieur et qui sert de lentille ou d'obstacle à la propagation des data émis n'est rien d'autre qu'une mobilisation de data amassés pour soutenir ces désirs et projections. Le plan détaché est d'une densité inégale et d'une forme imparfaite: les émissions ont donc besoin d'une dilution (surface de découpe) qui leur rende un peu de leur vraie nature. Comparer l'émission à un rayon heurtant un obstacle permet de comprendre qu'une division se produit: de chaque côté dévié, le rayon forme un cône d'ombre dont l'angle dépend directement de l'inclinaison du plan faisant obstacle. Plus l'ombre s'allonge, plus le plan dressé de l'espace extérieur est à la perpendiculaire de la source d'émission. Les deux comparaisons valent assez bien si l'on admet que lentille ou obstacle n'ont rien d'exactement ajusté à la configuration des désirs émis, sont une tentative de réponse, c'est-à-dire de réalisation avec les moyens du bord, de coordination de ce qui est dispersé et sans possible atteinte d'un but. Alors il reste à comprendre pourquoi l'espace extérieur se mobilise à moins que l'on ne se souvienne qu'il est fait d'amas qui se dressent et le hérissent de leurs protubérances. C'est l'un d'eux qui peut réagir, à la façon dont un souvenir se présentant déclenche l'envie de… active un besoin de… ou réveille d'autres intentionnalités. L'erreur est de raisonner en termes d'antériorité (se l'interdire dans cette métaphysique) et donc de causalité puisque les deux espaces sont des mouvances perpétuelles (et non des échanges) qui n'interagissent pas mais sont agitées de mouvements simultanés, de soubresauts répondant à des dispositions pressantes. Le fait que les deux espaces appartiennent à deux personnes différentes ne rend pas le phénomène de leur corrélation rare et improbable. L'inverse est à penser : il y a trop de possibilités, de rencontres hasardeuses et étonnantes, d'inadéquations et d'échecs mais qui ne sont cependant pas des jonctions lesquelles se caractérisent par une dilution (l'ombre ou la tache de lumière). Jq est ce type précis de dilution, selon des phases et un processus d'amplification, là où les obstacles ou lentilles certes fabriquent des ombres mais passagères, plus des tracés qu'une aire. On l'écrira /: .

Jp se signale par des réfractions à l'intérieur d'une enveloppe, Jq se remarque à cette aire qui s'étend. Jp a pour mise en scène du temps des présents fabriquant du passé et du futur, Jq choisit pour temps une structure annulaire et des états de réalisation (des effectuations). Puisque le désir se dilue de l'autre côté de l'obstacle et se découvre sans protection (comme s'il était jeté à plat), à chaque avancée l'espace extérieur réagit par des "colorations" différentes entre centre et périphéries successives, de même que l'intensité de la lumière ou de l'ombre portées sur les objets les dessine et les teinte différemment. Il possède des mouvements de résistance ou d'abandon ou d'arrêt, propres à un découpage non stabilisé, et tant que les plans ne se disposent pas au mieux, le degré de réalisation de l'émission est incertain. Mouvements d'arrêt: le désir ne peut aller plus loin, répétition. Mouvements de refus: le désir est repoussé, inaccomplissement. Mouvements d'adhésion: le désir est accueilli, accomplissements.

Ce sont les phases ou hauteurs identifiant la dilution. S'il en existe deux, le degré de réalisation alterne entre répétition et inaccomplissement (les termes sont interchangeables) parce que aH0 doit éviter la disparition des espaces qu'une totale adéquation ferait ; s'il existe trois phases, (aH1) on peut parler d'un mouvement dialectique (répétition ou stade de l'évidence, inaccomplissement ou stade de la négation, et accomplissement ou stade de la synthèse). Ce seront autant d'indices du processus dilutoire.

Savoir où l'on rencontre de pareilles situations qui aboutissent à cette aire découpée, à ce temps du possible réalisé, à cette transfiguration d'un ensemble de désirs car ni ils ne s'investissent ni ne se perdent mais dessinent une image agrandie de leurs pouvoirs. Chacun émet bien souvent de quoi le faire juger intelligent ou bon ou beau et raisonnable et sensible. Audace d'une question que chacun sourdement soulève : "combien d'amis ai-je auprès de moi qui ont su reconnaître que j'étais remarquable?" Sur combien d'amis et de connaissances puis-je, à mon tour, porter cette appréciation?

L'espace extérieur, quand il s'est activé, a fonctionné partiellement bien que ce soit son rôle: amasser des données c'est édifier des filtres de reconnaissance, de captation (comment engrangerait-il sinon?) de plus en plus performants (il n'est pas évident que même son propre espace extérieur ait cette capacité d'entente de ce que projette son propre espace intérieur). Il faut poser que l'identification des désirs émis est de notre ressort, que nous avons à construire le plan de l'espace extérieur qui fera figurer l'étendue de nos intentions ou de celles d'autrui. Il faut une aire à ces signes d'intelligence ou de beauté que l'on envoie, qui les transfigure. En soi, ils ne sont pas suffisants, il y en a tant et tant. Mais il en existe qui éclairerait si bien un champ de l'espace extérieur qu'il convient à ce dernier de réagir. Telle est la jonction. Certains désirs sont légitimes, en ce seul sens.

Perceval voit sur la neige trois gouttes de sang tombées de l'encolure d'une oie sauvage blessée par un faucon. Il s'immobilise et se perd dans sa contemplation. Le rouge sur le blanc lui évoque le teint de celle qu'il aime, et beaucoup plus encore. Il s'appuie sur sa lance "et panse tant que il s'oblie" (v. 4180). Pour les autres, il sommeille. Ils ne lui tendent pas le plan qu'il faut, ils n'ont rien engrangé dans leur expérience qui donne un sens à cette attitude, sauf un chevalier qui s'y connaît en passion amoureuse (Gauvain). Ce que Perceval projette déborde le champ du réel: il faut donc un obstacle ou une lentille pour le saisir. L'auteur et le lecteur les fabriquent car une telle intensité de désir est si étonnante qu'elle nous confond. Il s'agit d'une scène contrastée faite d'un vol d'oies poursuivies, de la chute de l'une d'elles et de sa fuite, d'un chevalier au matin perdu dans ses pensées. Ce sont des éléments reconnaissables et amassés par tout espace extérieur, mais qui se dressent (verticalité forte de l'ensemble). La dilution (visible, ô combien!) est dans l'étendue que ces quelques éléments prennent: amplification spatiale dans un temps répété, mis en suspens ou accompli. Songerie du chevalier, songerie qui reçoit un écho sur un autre plan. La description est le filtre que les intervenants n'ont pas, ils n'ont pas vu le combat des oies ni la blessure ni la neige, ils n'identifient pas la noblesse du désir de l'autre. Les phases dilutoires sont là: un vol, une chute, une tache (inclinaison du plan). L'ombre portée s'agrandit, c'est un visage, celui de l'aimée, belle et souffrante, lointaine et idéale, pure, comme pour faire oublier l'échec du château du Graal et pour préparer au remords de cinq ans passés à guerroyer sans avoir prié. Transfiguration en cours. L'espace extérieur a bien répondu, il a créé le plan nécessaire à l'émission, il s'en est suivi une temporalité spécifique et une aire d'expression de l'immatérielle songerie.

Dans la philosophie classique, la notion de "sujet", celle du "je" tient à ce type de dilution: ce n'est plus le Moi ni l'Autre mais une conscience libre et divinement rationnelle (ombre découpée transfigurée) qui a servi de base à des constructions intellectuelles, à l'intérieur d'une mise en scène temporelle liée à des effectuations (comme itérer l'expérience du cogito chez Descartes ou accomplir chez Kant le renversement copernicien salvateur avant lequel l'échec est manifeste).

Jr correspond à la jonction des revirements sur soi des espaces intérieur et extérieur. Internalité et externalité, retroussements et face à face puissants. La propagation des data (émis ou amassés) est fortement affecté par un attracteur (le point de départ de l'émission, le point stabilisateur de l'amas); contrainte par cet attracteur, elle détourne les directions émises ou bien elle empêche une accumulation nouvelle de savoirs amassés et s'en dégage par une stratification plus étale. Cela provoque des revirements dans les deux cas (autre face des data) qui peuvent être simultanés, quoiqu'en rien dépendants l'un de l'autre (autonomie des espaces). La jonction est justement dans le fait que cela se produit presque en même temps et qu'il s'ensuit alors une dilution particulière parce qu'il semble qu'entre les deux séries des concordances soient possibles, ne serait-ce déjà que leur commun principe d'emboîtement. Il se présente deux cas pour simplifier: celui où les deux espaces se meuvent quasi de façon synchrone (la hauteur qui mesure et effectue la dilution se réduit à zéro en deux ou trois phases) et celui où leurs mouvements sont décalés et où leur face à face est à un moment maximal et même s'ils ne sont pas in initio et in fine dans le même plan, ils ne pourront mieux se deviser. Dans ce dernier cas, il faut qu'un des plans ait une hauteur supérieure à l'autre, que l'un ait trois phases et le second deux : l'on obtient bien que si ab initio l'angle de l'un (disons I) est à 45° et le second (disons J) est à 0°, au deuxième coup I est à 90° et J à 45° (ce sera le seul moment de face à face ainsi qu'une partie de la période où l'on passe à la phase suivante), et au troisième coup I passe à 180° et J à 90 ° (mais ils sont à la perpendiculaire plus que l'un face à l'autre). Le moment maximal n'est donc qu'une ouverture partielle de l'un par rapport à l'autre, tandis que le moment maximal du premier cas est une ouverture progressive et égale. C'est de cette double situation qu'il convient de rendre compte.

Une émission dont peu importe la nature, issue de l'espace intérieur, par suite de ce mouvement de rotation sur soi, a sa trajectoire affectée par le retournement qui se fait. Cette trajectoire s'incurve et ce faisant, l'intérieur de l'émission (l'autre face, pourrait-on dire) se découvre. Il en est de même pour ce qui s'amasse : le haut de la pile chute et le bas de la pile se libère et se renverse. C'est ce que nous avions imagé par la chute d'une feuille et l'ascension des vagues. En outre, ni la feuille ni la vague ne sont seules mais appartiennent à une famille, si bien que leurs trajets successifs s'enchâssent et se recouvrent à la manière molle de volutes ou de glissements où la face interne n'est pas toujours visible complètement ni immédiatement. Or, de tout cela, curieusement, naissent des tables de marbre qui édictent des lois : la dilution obtient de transformer une volute ou un effondrement en une structure solide et inébranlable. Jr est à l'œuvre comme suit : le mouvement d'un des deux espaces paraît entraîner l'autre, et permet une correspondance surprenante, non vue, de quoi souligner un fait et de lui donner une aire parallèle à la sienne. L'accord entre ces deux remises en cause dilue leur désordre en un état métastable, c'est-à-dire qu'il s'y dessine un potentiel pris entre deux ordres de grandeur, ou entre deux solutions, l'une énergétique et l'autre structurale. Telle est la richesse de ce type de jonction. La correspondance apparue constitue un être qui réalise cette compatibilité, la prolonge et lui donne cette valeur paradigmatique parce qu'elle est faite de l'internalité de l'espace interne (sa structure invisible) et de l'externalité de l'espace extérieur (son énergie engloutie). Le dispositif dilutoire unifie les deux mouvements comme deux variables inhérentes à un système qui s'individualise en optant plus pour l'une que pour l'autre mais qui, ici, les montre toutes deux dans leur coexistence inévitable. Il énonce un potentiel et le révèle. La nature de ce potentiel est de donner naissance à une existence pleine et entière, émettrice et amassante, séparée de ses auteurs, autonome en son destin. Voilà pourquoi l'on peut parler de tables de loi, puisque surgit ce qui a sa loi et sa grandeur d'indépendance ("ab-solu", ensemble détaché, ayant sa structure et son énergie). Tables parce que le phénomène est lié à des mouvements de découvrement des espaces, à une mise à plat de ce qu'ils sont en soi, donc à leur architecture la plus stable. Jr vaut pour des dilutions "dosées", il n'y a pas la même énergie ni structure en tout, mais il y a de l'énergie et de la structure partout, et si les individualités sont multiples, le mérite en revient à ce type de dilution. On ajoutera que si les mouvements sont symétriques, l'individualité créée est constante, mais dans le cas où les mouvements sont décalés, l'individualité est épisodique. Les quatre futurs trouvent ici leur illustration: futur de constitution et futur prévisible pour l'individualité constante, futur d'assemblage et futur de destruction pour l'individualité épisodique. Les deux futurs privilégiés sont ceux de la prévision et de la destruction, ils sont plus "lourds" et assurés, alors qu'en métaphysique ce sont les futurs "légers", ceux des tentatives et des élans qui nourrissent les plus beaux moments.

L'idée que l'espace intérieur ait une structure tandis que l'espace extérieur a une énergie n'a pas donné tout son sens. Simple inversion? L'un se dote de ce que l'autre possède. Cela ne suffit pas. Il s'agit d'une dilution, non d'un échange et le fait que les deux espaces évoluent en même temps, produit cet "être" hybride, métastable parce que tout "être" possède ces deux ordres de grandeur, structurale et énergétique. La dilution est dans cette apparition d'un être (objet, organisme, fait, idée…) révélatrice de ce que sont aussi les deux espaces. Cet être a pour limites d'un côté les volutes de l'espace intérieur et de l'autre les renversements de pile de l'espace extérieur : limites faites d'un bord et d'un étalement se propageant. Il réalise l'union de ces deux aspects, non par des échanges ou l'emprunt aux deux espaces, mais par suite de la co-présence des facteurs propres à tout régime. La dilution libère les facteurs immobilisés en eux et cela conduit à l'apparition d'un tiers, à une solution et à une formation.

Ce qui est émis se solidifie, ce qui s'amasse se propage mais ce qui s'invente est ce sol tapissé de feuilles tombées et cette mer hérissée de vagues venues de partout. Disposition spatiale particulière, volume inégal, cet être cristallise des aspirations et des ordres qui lui sont propres. Le haut et le profond, le lointain et le proche sont redistribués sur un plan horizontal. Alignements et juxtapositions prédominent, facettes et vibrations l'emportent sur les cas d'émission et d'amas. Un système organise cet ensemble ou il se fait un système de cette situation puisque les parties interagissent et soit fermentent ou s'envolent (feuilles) soit s'abattent sur le rivage ou se démontent (vagues). Il y a un devenir (quatre futurs) qui caractérise cette dilution. La trace d'un des désirs émis ou d'une donnée de connaissance conservée, dans ce nouvel espace de dilution s'appréhende ainsi: l'échec ou le remous turbulent s'amasse de façon discontinue, voire hasardeuse, pour se reformuler en une énergie de transubstanciation et de révolte. Voilà ce qui advient à un désir émis, il s'élève (fermentation et vapeurs), voilà ce qui ébranle une information emmagasinée, elle se soulève (écume et déferlantes). Sublimations et querelles. Jr se résume à ce pouvoir initiant de telles issues. On l'écrira : (:) .

Les exemples ne manquent plus. Il a fallu ce long détour pour les retrouver dans ces pages littéraires anciennes et parfaitement banales, comme si leur commune allégeance ne peut que surprendre : le mont Sinaï des tables de la loi et ces multiples romans policiers. Mais ce que l'un énonce clairement, les autres ne font que l'employer. Il n'empêche que la dilution est le mode opérant et figurant des issues.

L'énigme policière se résume à faire fonctionner les deux plans principaux pouvant conduire au meurtre, à savoir l'argent et la passion, soit un amas et un émis. Ces deux espaces se retournent sur eux grâce à l'enquête, sorte d'attracteur simulant les faits, de façon à ce que l'on voie l'énergie incluse dans un espace d'amas (celui de l'argent) jusque là structuré et ordonné, et la structure d'un espace intérieur de désirs (la passion, quelle que soit sa nature, révèle le plan d'où elle vient, ses incohérences et ses obsessions). Mais "l'être" qui naît de ces revirements au dosage varié (plus de passion ou plus d'argent) sublime l'existence du Droit, inspire la révolte contre l'accusation injuste, selon plusieurs futurs (la victime sera vengée, tôt ou tard, le témoin surgira ou disparaîtra, il y aura des retards dans l'inéluctable retour à la normale). Cet être immatériel inscrit sa présence dans les consciences comme un appel à des motivations d'action nouvelles qui nient aux principes des deux espaces leur droit à l'autonomie: l'argent et la passion sont des écarts à cet être dont il faut établir la nécessité (à la fois le désir, et l'usage, c'est-à-dire l'inscription sur les deux espaces). Cet être est un peu l'Idée platonicienne si on la détache de son ciel immuable, il vient comme elle d'un dépassement. On n'est pas loin, non plus, de l'expérience proustienne de remémoration involontaire, extrayant du passé et du présent, une permanence a-temporelle, tirant du passé amassé une énergie (l'évocation) et du présent aux désirs déçus une structure (l'écriture) au profit d'une délicieuse salvation victorieuse du Temps (une Loi supérieure) dont l'archétype serait l'Arche de Noé délivrant une colombe.

Mais ces possibles exemples invitent à poser des émissions heureuses et des amas précieux pour désigner l'être qui naît alors. Mais si l'on songe à l'Exode qui narre comment un peuple échappe à l'esclavage et n'a pour intentions que de danser et de faire épanouir sa joie de vivre, on voit qu'il a emporté des biens et coule un veau d'or pour toute divinité (réussir matériellement pour un exilé, quoi de plus naturel?). Les deux espaces se révèlent dans leurs dimensions secrètes : le bonheur structure l'envie de vivre comme seule finalité, l'argent est une énergie qui motive un culte. Cependant, Moïse dénoue cette structure et cette énergie de leurs sources respectives (il en montre les limitations) et l'être qui surgit est un peuple en voie de constitution qui doit se définir d'après des lois internes à ses membres (dépasser le stade éphémère de la joie et le stade inégalitaire de la richesse). Le Décalogue énumère des lois organicistes (le respect de la vie et des vieux) et eschatologiques (adorer Dieu apparu au Sinaï n'apporte plus un avantage matériel tribal mais une alliance offrant un sens collectif et surtout une durée). Sublimation évidente accompagnée de la colère des cieux, de celle du guide cassant les tables, et fabrication d'une arche comme symbole de cet être. La Divinité menaçante, fulminante, à l'éclat insupportable est énergie et structuration, Moïse L'a rejointe en dehors des plans créés par les deux espaces comme pour mieux montrer qu'ils forcent à s'en abstraire par suite de dilution. Alliance prend tout son sens à regarder la nature de cet être. Il s'est produit par ce double mouvement de renversement une métastabilité qui se traduira par des moments de découragement (le paramètre de la joie émise faiblit) et de défaites (celui de la richesse amassée diminue) ou par des moments d'exaltation et de conquêtes mais l'alliance entre ces deux facteurs renverra toujours à cet être (observance des lois édictées par Dieu) et non à autre chose. Tierce solution encore. Dépassement certain qui hante la Littérature tragique : l'image de Dieu s'y saisit comme un appel à une issue de cette nature.

Js est la jonction d'effleurement s'appliquant aux deux espaces qui, par leur disposition respective simultanée, reçoivent (ou plutôt précipitent) une même impression extérieure. Quelque effleurement touche l'espace intérieur et l'espace extérieur, et non pas l'ombre de l'un sur l'autre ni le contact des deux. Telle est la difficulté à résoudre: l'origine de cet effleurement, son effet dilutoire (une tache), la disposition des espaces. Il faut se dire que certains de nos désirs ou intentions émis ont une existence parallèle et qu'ils ont pu être remplacés par ce flot incessant que nous prodiguons mais qu'ils n'ont pas sombré et ont continué leurs courses sans destinataire à l'infini, détachés de leur source et se donnant deux extrémités. Et si nous les imaginons comme des lignes droites, et que nous nous plaçons exactement dans leur prolongement, au point de départ ou à la pointe extrême, c'est un point que nous trouvons. Qui se place exactement à la perpendiculaire d'une droite (sous cette droite) ne voit qu'un point. Ce point contient deux infinis que nul ne voit, sauf conditions. Il diminue même aux yeux de celui qui se souvient comme de celui qui désire. C'était un souhait assimilable à d'autres émissions, devenues aussi des points, spécifiques d'un âge ou d'une situation : voilà ce que l'on désire quand l'on est jeune, cela appartient à cette famille de désirs que chacun fait, selon son âge. Nous n'avons même plus affaire à un point mais à une courbe regroupant dans une fonction commune une tendance humaine. Le point est englobé, ses infinis invisibles. Ou bien le point est errant ou bien un dispositif l'arrache à de telles courbes si bien qu'un processus dilutoire le saisit (droite retrouvée, ou tache, dirons-nous pareillement). A partir d'un tel point arraché, la dilution a ce pouvoir de recoller des segments d'origines différentes (des voisinages de ce point) et de les associer. Il s'y greffe de quoi donner un effleurement suffisant. Maintenant si nous nous plaçons dans le camp de l'espace extérieur, où les data s'empilent et se gardent (de toutes les informations que les sens apportent, l'on récupère celles qui sont utiles et déchargent les sens et rejoignent des connaissances conçues par le cerveau), il se trouve des data enfouis pour n'avoir point souvent servi. L'enfouissement les coupe peu à peu de leur source et les réduit à une peau de chagrin si minime que plus rien ne les signale. Prenons l'image, cette fois-ci, d'une lumière si rassemblée qu'elle s'éteint et devient trou noir parce que les particules qui la portent sont condensées à l'extrême. Raréfaction, épurement, restes volatiles d'un savoir, autant qui s'épuise et se vide. Une lame de fond propre au fonctionnement de l'espace extérieur fabriquant de la continuité ou substance, intervient pour "obturer" ces lieux de déficience et les camoufler. L'on dira que l'on a jamais su ni appris cela, que c'est si loin qu'il faut le tenir pour caduc, que le temps est fait pour effacer tout. On comprend qu'un dispositif doit agir pour que la lumière enfouie refasse surface.

Question de hauteur: aH0 et aH1 entrent en jeu. Ces points et trous noirs, s'ils sont saisis obliquement par l'éclat de "foyers", vont révéler leur réelle nature et se manifester en taches ombrées ou lumineuses sur les deux espaces. La nature des "foyers" ne doit pas faire problème, ils ne sont pas une intervention miraculeuse et extérieure, c'est un artifice de langage pour dire que la dilution commence déjà là. Il se trouve des data émis et amassés qui vont paraître s'écarter de leur plan (route détournée-cassée / lissage-classement interrompu) parce que les hauteurs font bouger le plan initial. Reprenons l'exemple d'un datum émis: l'observateur le voit s'éloigner et devenir un point de plus en plus petit; mais inclinons progressivement de 45° le plan de l'observateur qui, alors, voit une ligne s'étendre vers le bas et vers le haut. Voilà le datum manifesté sous la forme d'une trace soudain éclairée par quelque "foyer". Il en est de même pour un datum amassé qu'une fonction de balayage range et lisse (couches successives): il est pour l'observateur entre un avant et un après et disparaît peu à peu ; mais si l'espace extérieur s'incline, il découvre une moitié de l'ancien plan et révèle le fait englouti ; en effet, le plan incliné s'enfonce d'un côté comme il engloutit plus vite les data nouvellement arrivés de l'autre, à la manière dont une pyramide allant sous les sables, si un affaissement de terrain se produit sur un côté, se voit dégagée de ce côté tandis que l'autre côté sombre sous la dune. Le "foyer" est ici l'éclaircie soudaine de ces pans dévoilés et dont on ne voyait plus que la pointe noire au fond d'un puits.

La dilution se fait en deux et trois phases selon l'inclinaison. Cette dernière correspond à la hauteur des espaces. Une fois l'inclinaison achevée, quand les plans sont identiquement égaux et plats, la jonction s'absente, elle ne dure que le temps des phases, de leur mouvement graduel. Certes l'on ne sait encore dire pourquoi les espaces s'inclinent et pourquoi il arrive qu'ils le fassent simultanément mais il suffit d'établir que cela est possible pour deux espaces toujours couplés (parmi toutes les dispositions spatiales qu'ils peuvent adopter l'un par rapport à l'autre) et que, si cela a lieu, il en faut déterminer les effets. Ainsi, quand on émet un désir, une réaction a lieu sur l'espace intérieur puisque le désir "emmène" de l'espace avec lui, parce qu'il est l'espace intérieur se modifiant, phénomène dont une bonne image est d'indiquer qu'à chaque diminution de la hauteur, le plan s'incline (comme pour passer d'une hauteur de marche d'escalier à l'autre plus basse, le plan s'incline ou plutôt est fait de toutes les dégradés successifs et intermédiaires). De même pour l'espace extérieur. Qu'il y ait deux ou trois "marches" n'indique que l'état du système: plus simple ou plus composite.

Comment ces "traces" éclairées forment-elles une tache simultanée sur les deux espaces? Il s'agit d'un effleurement passager et messager, non pas seulement comme la venue d'une comète (de l'ordre des rencontres intervenant pour un seul des deux espaces), mais plus comme un ciel rougeoyant au soir. Car ces traces interceptent, même un bref instant, et partiellement nos désirs et inhibent nos connaissances, lesquels, à leur contact, se colorent ou se décolorent et forment ainsi ces zones entachées, voiles posées sur le présent, gènes partielles et éphémères, nébuleuses imprécises qui nous surprennent. Js est la dilution la plus fugitive, pour un temps instable qui rappelle un souhait et l'invente pour demain, étant donné que ces taches proviennent de traces aux doubles extrémités (des naissances oubliées et des buts devenus incertains, liés à des enfouissements et des savoirs en cours d'omission). Le désir du moment comme la connaissance du moment sont subrogés : une substitution courte et imperceptible tend son leurre. Un ange passe.

L'on comprend que si l'on ne peut prévoir leur venue, seule la disposition des espaces favorise leurs apparitions: il faut que le point et le trou noir devenus trace et face d'un volume (ligne et pan) entrent en rapport l'un avec l'autre de façon à ce que leurs taches respectives (qui immobilisent le fonctionnement des espaces) se renforcent et augmentent ainsi l'immobilisation. Les deux phénomènes se succèdent et paralysent partiellement les deux espaces et leur activité respective. Ces derniers sont donc disposés l'un à l'extrémité de l'autre, largeur contre largeur et s'inclinant en commun (même si un décalage existe) de façon à fournir un plus long espace, comme si l'un accompagnait le découvrement de l'autre. En général, les espaces se disposent parallèlement si l'individu est accordé, ou dans deux directions inverses s'il est divisé. Ces situations peuvent associer deux individus, couplant ainsi des espaces intérieur et extérieur d'origine différente. Mais que les espaces se mettent bout à bout traduit une analogie dans l'immobilisation et une substitution. L'on se trouve comme devant une barrière (un ciel rougeoyant), une impossibilité à avancer, et aucune envie de le faire, et surtout la certitude qu'un message se délivre parce que l'esprit se voit fonctionner, assiste à son activité sans qu'il intervienne (il est paralysé et pourtant ses deux domaines ou espaces forment un spectacle actif), est dans la situation de laisser faire à partir d'éléments qui lui appartiennent (points, et tous proviennent de son énergie) et qui le remplacent, habités d'un fonctionnement autonome. La jonction Js est l'apparition de cet étrange phénomène d'une pensée indépendante d'un sujet pensant mais dépendante d'un sujet ébloui ou atterré: trop d'intentions ont été émises, et disparaissent en points invisibles et unifiés dans le ciel, là où l'espace intérieur devient un espace raréfié, quand une inclinaison permet cette extraction d'alignements tout faits, et la résurrection salvatrice de telles individualités ; en même temps, des informations acquises et amassées qui avaient disparu en des enfouissements secrets, sont dégagées et signalent des facettes oubliées et bourgeonnent soudain ; se mettant bout à bout, les deux espaces sont inhibés, un état cataleptique s'installe, et se produit ce temps de l'effleurement où des signes surgissent dont le sens nous est connu mais nous échappe ou s'échappe de nos contingences immédiates. C'est le fait que les deux espaces se joignent qui produit cet état: double venue de signes, possibilités d'articulation entre ces deux régimes de signes, conditions réunies pour la constitution d'un message, adoption du sentiment qu'un messager est venu. Toute signification s'établit quand les deux espaces fonctionnent ensemble (l'on comprend parce que l'on émet une intention d'intelligibilité et parce que l'on regroupe les faits et les ordonne) mais ici, la signification se fait par-devant soi, avec des éléments issus d'activités antérieures éclairant un devenir. La mise en scène du temps est celle d'optatifs du passé et de l'avenir parce que le message délivré libère des possibilités cachées et les donne comme des renouvellements.

La vue d'un arbre rabougri, en hiver, en contrebas de la route et son existence fait mal tant elle semble ne pas avoir de sens et par cela même avoir ce sens effroyable de ne pas en avoir : ce qui a surgi en ce moment ne peut se comprendre qu'au travers d'une dilution d'effleurement. Trop de réalités connues et gardées font que l'on voit des arbres sans plus, unités enfouies, trop d'intentions émises pour soi font que l'on oublie qu'une unité est toujours quelconque et la nôtre comme les autres, quand l'irraisonnable alerte d'un effleurement fractionne ces alignements et fait passer un songe d'existence, extrait un point d'une courbe, lui offre un tracé et l'en éclaire, déploie un pan désolé d'un arbuste et l'élève à une dignité existentielle : cet arbre comme symptôme de grandeurs avortées, message d'une cruelle désillusion ou d'un peu de vérité sur notre compte. L'éclosion d'optatifs, de souhaits impériaux sont le vrai message non de regrets mais des dimensions qui peuvent être encore les nôtres.

Ainsi expliquera-t-on l'origine de l'effleurement (des prolongements des espaces lointains et anciens), l'effet dilutoire (une modification de la perception suite à une modification de l'inclinaison des espaces, entraînant aussi une immobilisation partielle des espaces), et la disposition des espaces (le petit côté de l'un jouxtant le petit côté de l'autre). Js se symbolisera par T: .

Un passage de Kim de R. Kipling où le héros abandonne sa vie d'aventurier, agent secret ou informateur qu'il avait jusque là menée peut servir d'exemple. Kim s'y était préparé tout jeune en s'exerçant à retenir un maximum de détails en un minimum de temps (son maître lui montrait des pierres précieuses dans sa main qu'il refermait aussitôt et lui demandait leur nombre et leur espèce) mais il est temps pour lui de quitter cette vie marginale et de regagner l'ordre social. Que de fois alors de menus gestes surpris dans une gare ou une rue l'alertent encore comme signes de trafics secrets et de complots en cours, de rencontres clandestines qui l'invitent à en savoir plus et à reprendre sa vie ancienne s'il ne s'imposait de n'en rien faire. Son espace extérieur contient tant de savoirs de cet ordre, son espace intérieur est fait de toutes ces enquêtes en place d'ailleurs de la seule qui lui serait utile, celle de ses origines. Le message n'est pas remémoration mais relecture et sublimation car les signes surpris qui entachent ces résolutions présentes et les immobilisent, messagers d'une autre époque, appels d'autres lieux et êtres, éclaircies aussi du chemin parcouru, sont les éveilleurs de souhaits qu'il n'a pas eus (optatifs du passé et du futur : Kim a pu rêver connaître son origine, il n'a pas pu rêver en conformité à son origine, avoir les désirs convenant à son état) et donc libérateurs d'âme prisonnière. Bientôt, s'avoue-t-il, je ne comprendrai plus la langue de ces signes, elle se modifie sans moi, loin de moi, mais qu'importe, je sais qu'au sein de tous les signes (ceux-ci et ceux-là) se cachent mes devenirs, d'autres ententes à amasser d'une autre nature. Kim connaît là une expérience sensible essentielle. Pour de tels états, nous disposons nos espaces en continuité, l'un à l'extrémité de l'autre, soucieux d'une délivrance fondée sur des apparitions anciennes, non-nostalgiques car ferments de nouveaux souhaits.

Et l'histoire de l'ânesse de Balaam permet d'établir en quoi cette jonction messagère désigne une métaphysique, une intelligibilité de nos existences. Balaam est un devin reconnu, chargé par un roi ennemi des Hébreux de maudire ces derniers. Mandé par le roi, il se met en route et par trois fois querelle son ânesse qui se détourne du droit chemin et même se couche pour éviter l'ange de Dieu qui se met en travers de sa route. Balaam ne le voit pas, n'immobilise pas ses espaces, rien ne les entache. Un devin donne une interprétation aux signes du monde, l'intentionnalise, et il connaît les causes et les fins, mais il ne voit pas l'ange placé au milieu, en travers des chemins, seul événement véritable, parce que rien ne lui montre dans leur entière dimension les plans qu'il a su créer, rien ne les arrache à leurs ensembles où ils sont noyés à d'autres plans sans intérêt, parmi le flot des data (prophéties en tous genres). La dilution établit ce que devrait être la nature des data et leur redonne l'ampleur lumineuse oubliée. Sans ces états dilutoires, aucune lumière n'est possible, qui éclaire l'obscurité du passé et de l'avenir, lieux obscurs devenus des points parce que sans souhaits de divinité. Un devin aveugle, placé dans l'opacité professionnelle de ses révélations auxquelles il manque ce qui devrait les caractériser, la lumière, voilà qui fut Balaam. Dieu n'est pas que cause et fin dernière, auteur de jours fastes et néfastes. L'ange messager porte la nouvelle des optatifs : un peuple attendu et non pas seulement annoncé, une gloire aimée et non prédite. Balaam, au cours de trois prophéties et d'une prière, en fera enfin son message. La main divine tient une épée lumineuse pour manifester que l'effleurement est agissant.

Jt est la cinquième jonction nécessitant comme dispositif que l'espace intérieur soit à la perpendiculaire de l'espace extérieur à l'égal d'une "incrustation", et ce faisant, l'espace intérieur en vient à ébranler tout l'espace extérieur (effet de la dilution).

Résumons les dispositifs précédents: l'espace extérieur se courbe autour de l'espace intérieur (jonction Jp), il détache une partie au-devant de l'espace intérieur (jonction Jq), l'un et l'autre se retournent au profit d'un être métastable intermédiaire (jonction Jr), ils s'assemblent bout à bout (jonction Js). Le dernier dispositif Jt donne priorité à l'espace intérieur "malmenant" l'espace extérieur par une saisie verticale et tranchante. Y-a-t-il d'autres jonctions? D'autres dispositifs possibles? Et si tel est le cas, sont-ils ceux d'une métaphysique? Le dernier type de jonction est en mesure de donner la réponse. Il existe des manières diverses où les deux espaces se rencontrent et des cas à étudier d'échecs des jonctions pour ne pas adopter la forme canonique mais outre une mobilisation complète et quasi-simultanée des espaces lors de ces jonctions, il existe le fait que les espaces restent eux-mêmes et ne s'échangent rien. Ils laissent se développer un "autre chose" qui les dépasse et éclaire leur besoin. La mise en scène du temps nous parle de présents modifiant passé et futur, d'effectuations (répétitions, accomplissements ou non), de quatre futurs (somme de retards dans une chute), d'optatifs (lieux d'espoirs d'un passé qui ne les a pas envisagés ou d'un futur qui devra les loger), autant de façons de dire qu'une redéfinition de l'Etre se livre et qu'elle n'était pas incluse dans les espaces mais qu'elle les a pris en otage pour se manifester. En ce sens, une métaphysique se montre, non comme l'élaboration d'une explication de la totalité ou comme la possibilité d'intervention de faits exceptionnels, mais comme l'idée de processus s'effectuant ou tentant de le faire, cherchant un chemin d'apparition par mille et une tentatives, dont l'intérêt est de rendre intelligible non pas tout le réel mais des aspects de l'Etre beaucoup plus précieux parce qu'indiquant comment Il peut se manifester et ce qu'Il est (vérité et bien). Apprenez-moi comment une théorie (un peu d'Etre escompté) se constitue et a des raisons d'exister, dites-moi si ce que nous inventons est conforme à un ordre naturel, nous pourrons toujours ensuite obtenir une métrique qui rassurera et stabilisera les connaissances. Les espaces, de par leur disposition, amènent une délimitation ontique. S'ils se superposaient, s'ils se collaient dos à dos, s'ils se chevauchaient, s'ils s'opposaient face à face, s'ils se courbaient et formaient une sphère, s'ils s'inversaient, ils seraient liés par une mutuelle rivalité dérégulée l'un à l'autre, ils libéreraient leurs possibilités respectives et renforceraient leurs propres défenses, ils feraient de beaux ensembles conflictuels ou causalistes mais tout cela n'est pas de l'ordre des jonctions. Ces dernières surprennent, par des positions particulières des espaces : une synchronisation et une transformation de leur organisation se produisent chaque fois.

Décrire la dilution de cette jonction Jt, en quoi être à la perpendiculaire produit cet ébranlement de l'espace extérieur. D'abord, l'espace intérieur se met en travers de l'espace extérieur, sa largeur face à la longueur de l'espace extérieur dans la mesure où les intentions émises, tous les data projetés peuvent déjà avoir été émis et avoir un pendant dans l'espace extérieur : ils ne lui sont pas parallèles, ils naissent d'un mouvement lié à une situation existentielle particulière mais ils plongent dans des registres bien constitués et d'une dimension plus grande. Par exemple, des besoins de procréation sont répertoriés dans le domaine biologique des espèces vivantes si bien que ce type de désir individuel puise à une large bande de faits enregistrés et le présenter comme une largeur (désir individuel) face à une longueur (fait enregistré) semble une bonne approche. Si l'espace intérieur demeurait en travers de l'espace extérieur (largeur/longueur), la dilution serait complète : tout de l'espace intérieur trouverait son pendant en espace extérieur. Or ce qui compte est le processus de modification des espaces allant vers la dilution. Il faut qu'interviennent les hauteurs aHo et aH1 comme freins et degrés de dilution. Il se trouve que l'espace intérieur, s'il se relève (refus de s'aligner sur l'espace extérieur) et adopte une position à 45°, à 90° ou même se retrouve à l'horizontal à 180°, effectue en deux ou trois phases la dilution. Ce qui n'était qu'un désir conforme à l'espèce va devenir alors un instrument d'intrusion dans l'espace extérieur. Chacun d'eux doit se représenter comme un "morceau" de largeur allant au-devant d'une longueur de l'espace extérieur. Sur le même plan, la largeur-bordure touche la bordure-longueur, mais en inclinant le plan de l'espace intérieur qui se place au-dessus de l'espace extérieur, chaque largeur émise successive frappe une longueur nouvelle de l'espace extérieur. Le désir émis le traverse. Il le traverse et déploie des lignes hachurées au-dessus, sur sa surface et en lui, autant d'envois dans l'épaisseur de l'espace extérieur qui hachurent ses plans et son firmament. L'inclinaison progressive crée un déplacement latéral des envois qui se heurtent à l'irrégularité de l'espace extérieur, à des blocs plus durs ou à des vides et ainsi il se constitue métaphoriquement ces échelles ou ramifications d'éclairs dont l'image a déjà été dite. La dilution est dans ces parcours latéraux imprévisibles striant l'espace extérieur et qu'il faut suivre pour changer de strates (certains bloqués se brisent, d'autres dans les vides s'effondrent, et entre ces deux extrêmes les solutions moyennes multiples). Cette prolifération de strates incertaines est l'effet dilutoire. Si l'inclinaison est en deux phases, cela signifie que la dilution n'atteint qu'une partie de l'espace extérieur : on passe de 0° à 45° puis à 90°. Pour trois phases, l'espace extérieur est atteint en totalité: de 0° à 45° puis de 45° à 90° enfin de 90° à 180° car les envois se répercutent selon un demi cercle. Deux types d'ébranlement, l'un plus rapide et donc plus violent, l'autre plus laminant ou fondamental.

Il s'ensuit une mise en scène du temps particulière, celle d'un datif parce que ces échelles fabriquées par les stries des envois émis ne "se grimpent" pas mais s'empruntent comme des paliers si bien que l'on n'avance pas mais que l'on glisse de côté, dans le sens de la strie. Le temps n'est plus une succession d'instants, une gradation ou une linéarité mais à partir d'un point qui se déploie en strie, l'instant ne fait que s'allonger, s'incliner ou se courber vers le haut ou le bas, se fondre sur une autre strie, sauter lors d'une faille et poursuivre plus loin, parcourir un réseau inégal qui se ramifie. Ce point-instant n'est pas immobilité, il livre tout ce qu'il est, il est pure donation de lui-même sans pour autant perdre sa caractéristique d'instant (l'éclair se déploie si vite qu'il faut lui donner cette géométrie pour en comprendre la richesse). La dilution modifie tant l'intention envoyée que l'espace extérieur qui la fait vibrer au milieu de ses objets amassés par cette redistribution des paysages et par la création de cet autre paysage. Paysage zébré, fait d'extrémités ténues et d'origines épaisses, insaisissable dans sa totalité mouvante mais travaillé de partout. Le désir proposé ne cherche plus à atteindre un destinataire, il se dilue vers une multitude et donne ce spectacle de lui-même d'inonder un ciel et de le pourfendre. La connaissance amassée ne fonctionne plus comme un repère solide et stable, elle est aperçue dans sa diversité de composants et de formes, elle se libère de sa constitution quelle qu'elle soit et se recompose avec d'autres connaissances aperçues comme dans une révélation. Altérations qui ne sont en rien essentielles car seule compte l'ouverture de ces chemins minimes et subits, grandioses et irréguliers, laquelle nous met devant une redéfinition ontique : l'"irrigation" d'une totalité comme seul moyen de comprendre ce qu'est une totalité. L'ensemble est atteint, pris globalement, sans recensement ni sentiment d'infini, ni par comptage ni par abstraction et par pure intuition, mais par une nervuration et un ébranlement (comme un miroir qui se brise possède un instant où la résille de l'onde de choc est le dernier élément fédérateur de son unité) ou par un enflammement qui ne dit rien des objets (de leurs essences ou structures cachées, quelle importance!), qui suit sa course hasardeuse et ne se justifie guère plus, dont il faut s'accommoder et en accepter la venue. Une totalité est une "irrigation" sans cadastre, une "irrigation" qui n'englobe pas mais qui parcourt et traverse, une "irrigation de frémissement". Secousse, frisson pour des destructions ou des naissances, des multiplications et des éliminations, la dilution atteint toujours une totalité: toute destruction y est donc disparition d'un tout, toute naissance y est naissance d'un tout. Tel est le sens de cette jonction. Il faudra donner comme symbole à Jt ceci: Z: .

Au mois de Janvier 1999 ou 2000 (fin de siècle), les fêtes ont lieu où par faiblesse à l'exacte appréciation de sa situation l'on se suggère des interventions de la chance qui devraient avoir lieu et où l'on admet volontiers des autres qu'ils nous autorisent à de tels espoirs. Alors le métaphysicien accepte de ne pas mettre en relation ses deux espaces (que ses désirs et que ses connaissances ne se rencontrent pas pour de tels empiétements) et se décide à déjouer leur mutuelle attraction. Dehors, la lumière est transparente, et enrobe de traces limpides les aiguilles des pins ou le vernis glacé des tuiles. Pour gagner sa vie, il corrige des piles de copies, il ne cesse de préparer et de prévoir des cours, il fait un des rares métiers, se dit-il où si l'on s'absente, l'on réjouit tout le monde (qui se plaindrait vraiment tant la matière paraît annexe?), et il tient à ne pas défaillir ni désespérer. A-t-on demandé à la lumière si elle préférait éclairer ceci ou cela, si elle se souvenait d'être déjà venue, si les variations de sa limpidité devaient être remarquées? Cela est de l'ordre des rencontres, certes jamais négligeables et parfois tombant à pic, mais si nous admettons (nous verrons bien plus tard que les "effets" des jonctions et l'action des jonctions sur les milieux ont plus de chance d'apporter leur aide) que par les jonctions, un travail propre à notre liberté, à notre responsabilité nous est laissé, alors quand les rencontres font défaut, il nous reste les jonctions, de déterminer les angles de nos espaces qui les favorisent. C'est un travail, semble-t-il, à temps complet, qui se moque du quotidien ou plutôt qui le rassemble en une unité continue, peut-être jusqu'à un seuil ou akmê, moment crucial de la révélation, après une lente accumulation. L'on doit, en dépit de tout, se demander comment, alors que rien ne paraît nous distinguer, l'on peut aller à une protection lumineuse, à une transfiguration, à la transcendance des tables de loi, à un message réorganisateur de vie, ou à une assomption frémissante de totalité ! Est-il de notre ressort de l'obtenir et de s'y adonner, en tant que seuls moyens pour quelque intelligibilité de mon existence et du monde ? Il se peut que cela soit donné, par providence, de façon étonnante, et dont chacun sait la valeur pour ne pas le confondre avec une rencontre, comme ce qui arrive à Perceval, mais le cas inverse d'une préparation patiente se présente aussi, comme le cas évident où une vie entière ne suffit pas vraiment pour obtenir un commencement de jonction. La question : "combien de personnes ont-elles reconnu notre excellence?" donne un peu une idée de la réreté d'apparition de la jonction. Il n'est pas dit non plus que l'on n'ait pas à jouer le rôle inverse d'assistance à autrui pour qu'il bénéficie d'une jonction qui ne nous atteint pas, quoiqu'il faille justement se demander pourquoi une rétroaction ne se ferait pas. Il est étrange qu'il faille passer par des dilutions qui ne sont pas seulement des processus de remise en cause et des errements mais bien plutôt des dispositifs de résonance, des usages de dimensions (espaces inclinés et distendus).

Racine souscrit à ce type de jonction dans Bérénice. L'histoire tient si peu de place que l'attention se porte seulement sur un fait: Titus, depuis peu Empereur, ne peut plus épouser celle qu'il aime et dont il est aimé, une reine, Bérénice, pour des raisons politiques et de rang social. Il n'ose le dire à Bérénice, confie cette tache à un rival éconduit, puis se résigne à le faire (inclinaison des espaces : les voici maintenant à la perpendiculaire). Tout l'univers de Bérénice s'ébranle, tout ce qu'elle croyait sûr et voué au bonheur, tout ce qu'elle savait de Titus et de son amour pour elle ; sa vie entière est défaite d'un seul coup: "Je n'écoute plus rien, et pour jamais Adieu./Pour jamais! Ah Seigneur, songez vous en vous même/ Combien ce mot cruel est affreux quand on aime?", puis ces vers fameux où le temps est immobilisé dans le présent de la séparation : "Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous… que le jour recommence et que le jour finisse… les jours de mon absence? /Ces jours si longs pour moi… Vous êtes Empereur, Seigneur, et vous pleurez?" La décision de Titus issue d'un espace intérieur, fait d'envois, cisaille le ciel de l'espace extérieur de Bérénice, espace fait de certitudes amassées. Il est des événements qui ont ce pouvoir de parcourir comme un éclair une totalité, de saisir une existence, pour le meilleur ou pour le pire. La propagation de l'événement affecte un ensemble et lui donne de se définir comme un ensemble ("Je ne vois rien ici dont je ne sois blessée,/ Tout cet appartement… Ces lieux, de mon amour si longtemps les témoins,/ Ces festons, où nos noms enlacés l'un dans l'autre,/ A mes tristes regards viennent partout s'offrir…"). Mais une idée lumineuse, une révélation sur un chemin de Damas, un choc affectif hantent pareillement les vies humaines et tout aussi il est évident que le phénomène est physique à la manière d'une catastrophe généralisée, où une onde de choc se propage si pleinement que la morphogenèse entre en action (apparition de nouvelles formes, nouveaux chemins de parcours). Mais le plus valable dans l'exemple de Bérénice consiste à préciser ce quil faut entendre par espace extérieur : nul ne pourrait penser qu'il est fait d'émois, d'une immense peine, d'un vécu affectif si l'on venait à le cantonner dans un rôle d'objectivités (espace du dehors, espace du réel, absolu de la mort) sans tenir compte des subjectivités qui lui sont propres (formuler un continuum, autant de "flirts" avec l'infini). Il accumule des expériences sentimentales, des désirs émis, des intentions répétées, des sensations discernées, tout autant que des idées, du savoir, de l'information ou du sens. Il est une mémorisation spécifiante, non pas la seule mémoire de ce que nous avons vécu ou appris selon des moules sociaux (fonction cérébrale, sociale) mais la structuration particulière de ce que livre une "mémoire-dilution", celle de certaines conditions dépendantes des jonctions (mémoire qui rend notre espace extérieur apte à des liaisons ou inapte à des relations, alerté ou inhibé) : d'un message envoyé, qu'en faites-vous? que devient-il en vous, a-t-on idée de l'endroit où il sera rangé, aux côtés de quels autres éléments et dans quels buts prévus d'emploi, formera-t-il un bloc ou sera-t-il divisé? Par ces questions, l'on voit que tout le rend actif et déterminant, spécifique à chacun, tel un système bio-physique. Mais que deviennent les deux espaces respectifs inutilisés de Titus et de Bérénice? L'espace extérieur de Titus, l'espace intérieur de Bérénice? Ils suivent leur chemin, s'ignorant ou se rencontrant ou même opérant une jonction, la même ou une autre. Ici, commence le calcul qui associera des jonctions (jp + js + jt= ?), qui établira deux lignes (une seconde pour les espaces inutilisés par une jonction entre des personnes différentes) et les comparera, qui intercalera des rencontres.

En fait, au cinquième jour de la Genèse, les oiseaux peuplent le ciel et les poissons les mers, mais ce peuplement qui va jusqu'aux extrémités opposées (le fond du ciel, le fond des mers) est une croissance infinie que rien n'arrête, qui se déploie "selon les espèces", comme autant de stries parallèles ou de zébrures découpant des déserts jusque là. En quoi nous retrouvons le travail dilutoire de la jonction (Jt) aux infinies ramifications d'un présent qui se donne entièrement. Tout le ciel et toute la mer sont concernés, ils forment une unité de peuplement qui les définit, il n'y a pas d'échelle à grimper (du poisson à l'oiseau, comme le voudrait une doctrine évolutionniste) mais à parcourir latéralement pour savoir jusqu'où une espèce peuple cette strate d'espace. C'est l'image même de ces rayures (stries, ou échelles) que porte la jonction qui amène à opposer organisation et composition : les espèces ont des points communs très forts (strates superposées, analogies formelles, composition identique quant au matériel génétique) mais elles se diversifient à l'infini (strates s'enfuyant, distances accrues, organisations multi-adaptées). Quelque chose se compose, ou s'organise, qui l'initie à des ordres infinis et complexes, à la nature du vivant. Bérénice ne voyait pas de fin à sa peine, le vivant n'a pas de fin à sa multiplicité. Il restait à l'introduire comme une issue à des classements ordonnées, la jonction s'y emploie. Là où le classement immobilise et achève, la jonction déploie et suggère le multiple. Une issue se forme qui n'est pas une série infinie (le classement l'obtient) mais une correspondance innervante. Datif du présent, croissance par ramification, totalité atteinte, plans d'organisation et plans de composition.

Représentation ci-dessus des cinq jonctions (Jp Jq Jr Js Jt) et tableau récapitulatif ci-dessous :

 jonctions  disposition (esp. ext.)  symbole   questionnement
 Jp  courbure

  £:

 nature des réfractions
 Jq  détachement d'une partie

  /:

 spécificité des cribles
 Jr  retournement simultané des esp.

 (:)

 métastabilité d'une tierce solution
 Js   bout à bout

  T:

 autonomie d'un fonctionnement
 Jt   à la perpendiculaire

 Z:

  totalités atteintes

 

Ces jonctions remplacent les opérations usuelles de somme, de soustraction, etc. comme les opérations logiques de quantification, d'existence, d'inclusion, etc. Si l'on écrit A /: B , où A est un espace externe et B un interne, alors cela signifie qu'une partie de A se détache et qu'une partie de B se dilue sous forme d'une ombre de forme conique. A quoi il faut ajouter des durées concernant le processus :

"bocal": poussées du présent modifiant passé et futur (extensions) - cf. Julien Sorel (in Rouge et Noir)

"anneau": effectuations: accompli, inaccompli (itérations) - cf. Perceval (Chrestien de Troyes), Sylvie (Nerval)

"retards ": quatre futurs ou retards à des chutes et à des ascensions - cf. roman policier, tables de loi (Moïse)

"pellicule": deux optatifs, du passé et du futur - cf. Kim (Kipling), l'ânesse de Balaam

"échelle": datif du présent sans avant ni après- cf. Bérénice (Racine), St Paul et le chemin de Damas

Ainsi, A /: B est un processus ayant une fin, n'en n'ayant pas, se répétant. Cette indication supplémentaire doit donner l'ampleur de l'opération.

V- Les effets de jonction :

I) Réfractions : la curiosité pousse à savoir ce qui se produit quand un espace se saisit non pas d'un autre espace mais d'une dilution (un espace modifié) et qu'il se produit à nouveau une jonction entre l'espace et la dilution (résultat d'une jonction) .

A) D'abord symboliser la dilution par le double signe égal == et des minuscules pour exprimer les effets dilutoires sur B. On dira que A sera l'espace extérieur, B sera l'espace intérieur.

Ainsi :

A£:: B = = - b (la réfraction de B contre A est symbolisée par le signe moins - : puisqu'il s'agit d'un "retour" de ce que l'on a émis ; +b serait l'envoi et -b sera la réfraction );
A /: B = = b (B forme un cône sur A ; ce cône sera b) ;
A (:) B = = c (tierce solution métastable) ;
A T: B == ab (des points de A et de B deviennent des lignes infinies);
A Z: B = = bb (multiplicité de b, en vue d'un tout).

B) Ensuite poser que seul le résultat de la jonction peut entrer dans une deuxième jonction, parce que A et B, les deux espaces, ne sont jamais les mêmes et qu'un résultat de jonction est déjà en soi un espace préparé à ce type d'expérience, d'une volatilité plus forte.

Ainsi, le résultat dilutoire (- b, b, ab, c, bb) prend la place de B :

A£:: B = = - b ; A/: -b == ? ; A(:) ? = = ? ? ; A T: ?? = = ??? ;A Z: ??? = =????.

L'effort à penser est de définir ces points d'interrogation. On peut les nommer d1, d2, d3, d4 selon le rang d'apparition ou en tenant compte de toutes les combinaisons, d1 à d20 (chaque jonction peut être de rang premier et être suivie des quatre autres jonctions, soit 5 x 4).

C) Enfin, il n'est pas certain que les jonctions puissent se suivre et qu'il n'y ait pas des incompatibilités (/: peut-il succéder à Z: , par exemple?) dont l'explication peut renvoyer à des principes sous-jacents, ne serait-ce temporels déjà. En outre, le fait d'être en position première d1 par rapport à d4 ne doit pas être insignifiant à moins que d1 et d13 et d4 et d20 ne soient si particuliers que la position perde de son importance. Mais c'est peu probable. Car, il y a plus encore si l'on suppose que chaque suite de jonctions fait sens ("Jp + Jr + Jt + Jq + Js" sera différent de "Jq + Jr + Jt +Js + Jp" par exemple pour une suite de toutes les jonctions) sauf si seul compte le nombre de jonctions (une suite de 2 différera d'une suite de 3 et de 4). En fait, chaque fois, le partage se fait entre donner un rôle à la nature de la jonction ou au fait qu'il y ait une suite. C'est cette dernière position qui me retiendra, indifférent à l'effet dilutoire s'appliquant sur un effet dilutoire parce que les mêmes règles de transformation de l'espace se feront jour ( - b "entre les mains" de la jonction Jq se transfigurera, etc.) tandis que faire subir à un effet une ou deux ou… quatre autres jonctions permet d'accéder à une continuité, à unifier des plans successifs et donc à décrire un phénomène. Il faudra un terme sans doute: un voisinage de réalité. On laissera à la réalité la propagation de l'effet, on gardera pour cette autre propagation le terme de voisinage.

Imaginer quelqu'un après son chemin de Damas et les répercussions qui s'ensuivent : que devient cet homme dans les circonstances quotidiennes faites de rencontres courantes et de croisements banals mais aussi qu'arrive-t-il à cette totalité découverte, comment se maintient-elle, se modifie-t-elle? Le résultat de la dilution paraît si précieux que se dévoiler dans d'autres jonctions et rencontres est l'occasion de découvrir et comprendre, dans des lieux tout aussi essentiels que la jonction initiale, ce qui y fait aussi écho. d1, d2, d3, d4 déploient les harmonies d'un résultat de dilution, ils l'associent à des déformations nouvelles cumulées où il pourrait s'épuiser ou se renforcer alors que se produit une universalisation : les autres jonctions font accueil à l'effet dilutoire, moins pour le teindre de leurs couleurs que pour faire naître dans leurs effets dilutoires des ressemblances avec cet effet, à savoir des possibilités de réactions et de devenirs. Voir l'effet perdurer et en suivre les traces conduit à le rendre plus général, à le penser universel. Peut-être un cas concret aide à avancer: telle personne (se placer dans sa perspective) luttant contre une maladie insidieuse qui l'enveloppe (elle peut le voir comme un espace extérieur se courbant) conçoit que ses tentatives de guérir, médicamenteuses ou autres (espace intérieur émettant le désir de guérir), reviennent inutiles et frappent d'autres parties de son corps (effets de réfraction de la jonction Jp); alors ces effets existent et peuvent disparaître à moins qu'ils ne soient pris dans une autre jonction ou deux ou trois ou quatre (calcul à dégager); en disparaissant, ils font parler de guérison. Il faut dire que l'effet dilutoire trouve un symétrique (ici un principe annihilant sa morbidité, comme base et acide s'annulent, ou encore l'évacuant sur un objet, comme un processus d'évaporation) et que le trajet de la maladie est certes amplifié ou arrêté selon mais qu'il participe à d'autres modes: entrer en composition c'est vivre sous d'autres aspects, être plus universel. Guérir a ce sens, coupler une propagation à un double qui la neutralise, la déjoue ou la conduit ailleurs.

Tout cela forme une suite fort particulière : nous procédons par addition ou répétons avec des unités changeantes, additionnons des altérations afin de suivre une évolution ni faite de sauts ni faite de tendances mais pour faire voir une trace ineffaçable (tout la rend de plus en plus insaisissable ou plus immatérielle) faite des effets dilutoires provenant des espaces intérieur et extérieur. Un homme peut évoluer, d'un seul coup ou par glissement, cela intéresse la science (historique, sociologique, psychologique, neurologique…), mais il modifie sans cesse ses espaces, et ne voit pas toujours que des "résidus" poursuivent leur existence bien après qu'ils ont été produits par les espaces. De tels résidus autonomes hantent le champ vital de cet homme. Les regrouper, leur redonner une place, les accompagner, c'est comme créer un second visage, plus subtil, d'une jonction à l'autre jusqu'à l'oubli où plus rien ne résonne. A partir de là il n'y a plus d'écho, l'effet est mort, le résidu est presque rien maintenant. Si la chose était mauvaise, tant mieux. Mais qui prendra la peine d'éclairer ainsi la vie de cet homme? Non pas savoir ce qu'il pensait, aimait, ou gagnait mais savoir quelles furent ses jonctions car s'il doit être jugé par Dieu, ce pourrait être sur l'usage qui a été le sien des effets dilutoires, s'il les a maintenus à tort ou à raison, s'il les a rejoués en d'autres jonctions ou non, s'il a tenu compte de leur existence autonome. Elles l'accompagnent, l'agrandissent, augmentent son aura et son devoir est de s'appuyer sur elles ou de les réfréner, d'orienter cet accompagnement vers une positivité. Là se situe son ancrage dans la métaphysique puisque la création est faite de jonctions et de dilutions et qu'il ne peut être évalué que sur ce plan. Tout ce qui n'est pas jonction existe comme une réalité occasionnelle, conditionnelle, et, somme toute, impersonnelle: développement de combinaisons, de causalités et de finalités dont l'existence est ainsi fondée. On ne sait pourquoi l'on naît ici plutôt que là, à tel moment et dans quel contexte. Mais nous disposons nos espaces, et des jonctions ont lieu dont nous nous servons bien ou mal et qui sont notre seul bien. Qu'avez-vous fait de l'amour que vous éprouviez pour votre amie, et du jour où sur la neige vous contempliez ses traits, comment ce sentiment a continué de se propager et de vous agrandir, sentez-vous que Dieu ne regarda pas le monde autrement en les premiers jours, l'avez-vous transmué ailleurs pour qu'il perdure et s'universalise? De toute façon, cela seul fut vous, cela seul sera sauvé ou vous perdra. Métaphysique du second visage. Les ombres des dieux ne se voient pas autrement. Des séries de traces se constituent qui partagent les propriétés des événements naturels, propriété d'extension, de relation, d'unité (aucun événement n'est séparé des autres), d'immobilisation et d'effacement. Mais ces séries illimitées quant aux traces ont pour limites le nombre des jonctions dont les interférences peuvent produire, un sublimé, un reste de restes qui soit identique, une congruence d'un ordre supérieur.

Deux questions demeurent en suspens pour en finir avec les jonctions:
a) deux personnes en présence, cela forme quatre espaces dont seulement deux peuvent établir une jonction: qu'en est-il des deux autres, quelle ligne de calcul peut se faire? Trois cas se présentent: 1) les deux espaces libres ne se lient pas, 2) ils se rencontrent, 3) ils effectuent une jonction identique ou différente. Ce dernier cas suggère des connivences, des impossibilités ou des contradictions : deux jonctions quasi simultanées peuvent elles coexister? Lesquelles? A quelle logique sommes-nous renvoyés? La question a) est encore se résoudre.
b) un effet dilutoire (-b, b, c, ab, bb) se répercutera zéro fois, une fois, deux, … quatre fois (d1, d2… d4), et remplace alors l'espace extérieur, ou tout au moins joue son rôle ; quelles conséquences faut-il en attendre? L'effet n'a pas à croître ni à diminuer au cours des répercussions parce qu'une dilution n'est pas histoire de forces mais d'une surface (espaces) se modifiant ou se faisant. Cet effet devient reste de restes, nouvelle spécification de lieux à l'intérieur desquels quelque chose d'identique demeure, un trait particulier à chacun de ces lieux successifs. Un tableau rappellera le jeu des effets et leur nombre (il conservera l'ordre avec lequel les jonctions ont été décrites quoique l'on sache qu'un effet -b, b, etc. puisse se répercuter dans n'importe laquelle des quatre autres jonctions dans l'ordre qui lui convient):

 A-B

 Jp

 Jq

  Jr

 Js

 Jt

 A £: B

 - b

 d1

d2

d3

d4

 A /: B

 d4

 b

 d1

d2

d3

 A (:) B

 d3

d4

 c

d1

d2

 A T: B

 d2

d3

d4

 ab

d1

 A Z: B

 d1

d2

d3

d4

 bb

 

L'idée qui m'importe est que l'effet dilutoire se substitue à l'espace extérieur et que les jonctions éventuelles se font entre un espace intérieur et l'effet dilutoire répercuté. Autre milieu subrogé. Pour se le représenter, penser à l'efficacité d'un cauchemar qui remplace l'ordonnancement de l'espace extérieur, y substitue ses propres data et affronte les intentions émises de l'espace intérieur en leur renvoyant un écho obsédant et horrible. Il suffit d'un mal de tête parfois pour occulter tout l'espace extérieur fait de conscience ordonnée et de mise en relation des faits. Les réponses (qui se créent indépendamment de tout contrôle émotif ou conscient) forment un voile suffisant de substitution et servent alors d'accueil aux désirs: la jonction propre aux cauchemars est la première (Jp), les contours de ce milieu sont imprécis, les réfractions s'emmêlent et se chevauchent. Opacité et non ce délicat échange, milieu plus peuplé, d'où la grâce est absente. Il est donc évident que les effets dilutoires peuvent remplacer l'espace extérieur de façon négative ou positive, démoniaque ou divine. Ce remplacement est capital pour l'étude de la dilution à travers les jonctions. Chaque espace extérieur peut ainsi se particulariser. C'est un lieu dont nous connaissons maintenant le dynamisme organisateur, ce qui est un moyen pour en suivre les résonances.

Essayons de donner à ce "voisinage de réalité" un contour représentatif. Nuage au-dessus de l'espace extérieur entrant en contact avec les projections de l'espace intérieur et les interceptant partiellement pour les détourner (si le nuage est écran, le délire est là). Le résultat de cette interception si elle reproduit le cas d'une jonction, est une propagation (un nuage de nuage, d'une irisation plus subtile, d'une forme plus éthérée mais d'une densité renouvelée, sans affaiblissement) qui, à son tour, peut être en contact avec des émissions de l'espace intérieur par le biais d'une nouvelle jonction et donc fabrique une propagation (un nuage de nuage de nuage).

Imaginer que votre amour pour votre enfant issue de votre amour pour votre amie vous fasse regarder une jeune fille très belle non pour la désirer mais pour vous dire que votre fille sera un jour aussi belle, et que cela vous invite à considérer que votre affection pour votre amie est à reconsidérer par un peu de gratitude ou beaucoup d'admiration : voilà une propagation dont nous suivons le cours et les altérations, dont nous apercevons le passage par d'autres jonctions et le renouvellement par les dilutions successives. Ligne brisée, faite d'entrecroisements, de déplacements pour capter chaque propagation et pour renvoyer son altération diluée mais cela revient à placer les cinq jonctions en cercle et à définir l'espace créé comme un lieu balayé par ces mouvements. Une unité se compose, ultra-personnelle, ultra-spécifique, dont le périmètre est indéterminé mais se développe (il y a des pertes : l'éventail de la propagation nécessite de la jonction suivante du recul et l'espoir irréalisable de tout saisir) et dont l'aire circonscrite est faite de colorations à la densité variable. Le cercle n'est pas une figure neutre, elle détermine des relations et oriente les propagations. Ce ne sont pas les effets rétroactifs qui importent mais la constitution et l'extension du cercle. Son autosuffisance? La même propagation passant à travers les cinq jonctions ne cesse de se diluer et de devenir encore plus immatérielle, c'est-à-dire plus proche du degré maximum de propagation. Elle se substitue complètement aux émissions de l'espace intérieur comme elle englobe tout l'espace extérieur et le rend misérable. Ce cercle n'est jamais parfait avant ce stade-là, il est bosselé et creusé, troué par l'action des espaces intérieur et extérieur. Il indique seulement qu'une dilution poursuit son chemin et ne sombre pas en totalité. La mémoire travaille ainsi les faits que nous lui apportons et les désirs que nous avons eus : certains souvenirs apparaissent nets comme des transfigurations, d'autres soudains comme des ébranlements, d'autres se découvrent comme des lignes effacées, d'autres sont des enveloppes lâches et informelles, d'autres enfin sont douloureux comme des remords ou n'ont aucune raison de se maintenir et vont autonomes. Mais le même souvenir (issue d'une jonction) peut se diluer quand il est soumis à une autre jonction, puis une autre, et se répercuter en la conscience sous une forme "dénaturée", poly-aspectuelle, "cubiste" et dont la circularité se remarque à cet espace personnel, obsédant mais fécond, celui de l'invention et de l'approfondissement d'un thème, qui s'enrichit d'angles de vue si différents, et s'étend. Un foyer est en train de naître, un rayonnement s'inscrit pour du réel.

Mais cette disposition circulaire n'est pas à cantonner dans le domaine de la psychologie, elle est appropriée au domaine de la matière. Ainsi, l'évolution des espèces : une forme inventée (ou une séquence génomique) n'est pas perdue, elle s'altère ou se cache, s'impose et se reformule ; sa présence colore un champ qui définit le concept d'une espèce, comme trait distinctif dont la carrière est multiple et étendue. Travail de la jonction : l'espace intérieur a pour projet de se propager ; l'espace extérieur celui de conserver une identité, il se positionne de façon à faciliter le besoin de propagation, c'est-à-dire se fragmente, se courbe, se retourne, etc. ; l'issue ou dilution est l'invention d'une "forme" qui est adaptée à un milieu, qui se greffe à ce qu'émet l'espace intérieur et l'accompagne. Ainsi: une nageoire devient aile pour conquérir un autre lieu de propagation. Elle devient même cinq types d'ailes si les cinq jonctions ont été réquisitionnées. Mais l'une d'entre elles peut poursuivre sa course évolutive et s'altérer encore quatre fois : cela constitue un second champ (voisinage de réel), non pas un sous-groupe, mais une espèce idéale qui accroîtrait ses possibilités pour avoir en soi des prolongements d'ailes en réserve. Or, cet imaginaire évolutif existe bien avec les autres organes qui prennent en charge ces songeries et font que chaque espèce est un tout (circularité extensive, en rien celle du genre regroupant des traits plus génériques, là où nous voulons dire que chaque espèce invente une stratégie, à partir d'un choix initial, pour annihiler ce que ce choix a d'éliminatif et pour reconstruire une perfection satisfaisante - cette perfection est du réel -). On voit que le choix d'une aile en éventail élimine l'aile avec membrane, en forme de pointe, dédoublée, transparente, mais la crête, le cou, la queue ou les pattes suffiront à adopter un, deux ou trois ou quatre des traits manquants. Une classification nouvelle peut en naître, quoique l'exemple pris ici ne doive que faire sourire et comprendre (le monde cellulaire serait un meilleur exemple). L'idée d'espèce dotée d'un coefficient de propagation importe seule parce que la nature apporte son témoignage des jonctions et d'un souci de perfection. Il n'y a pas de finalités au monde animal, ni de chaîne alimentaire ni de degré de complexité, dans cette approche mais des degrés de participation au monde (telle espèce privilégie ce mode de jonction et relègue les autres en second plan sans les nier pour autant). Des stratégies d'organisation se cachent là, celle qui a voulu que la tête soit à privilégier et constitue l'espèce humaine, en est une ; l'étudier, c'est chercher, après le choix pris, comment il s'est développé et poursuivi (entre les "mains" d'autres jonctions) et où il s'est alors manifesté (dans quels organes de substitut : l'œil, la main, la gestation, etc.). Et l'analyse peut s'affiner jusqu'à l'individu qui altère un capital commun en le jouant entre des jonctions dont il déplace les paramètres à sa guise, pour son degré de perfection. Rien n'est plus réel. Loin de dire qu'il y a atrophie des organes au profit d'un seul, - cas de dérèglement -, il se trouve aussi que le sur-développement de l'un s'accompagne d'une expression des autres en fonction de cet organe (ils accomplissent ce qu'il ne peut être et le complètent ainsi). Epanouissement d'un cercle.

II) Rencontres et seconde ligne:

Les jonctions conduisent à des rencontres comme les rencontres préparent à des jonctions. De ces deux propositions, la première est la plus certaine car rien ne prédispose aux jonctions. Elles semblent survenir en leur temps car elles ne se voient pas dans leur travail incessant. Parmi leurs "inconséquences", il y a les rencontres qui nous paraissent plus marquantes, faites d'imprévus et de chances, d'attentes et de surprises. Nous souhaitons qu'une idée vienne, qu'une personne soit là, qu'un objet nous soit donné et acquis, qu'un fait soit déterminant mais nous oublions d'où proviennent ces souhaits et comment ils se sont organisés. Les deux espaces vivent de rencontres fortuites et préparées dont l'origine réelle est dans les dilutions : il nous a été conçu d'attendre ceci ou cela et d'en favoriser l'arrivée.

De retour d'Italie, aux jours qui précèdent de Pâques, quand la qualité de l'air est attente et d'un silence en suspens, le voyageur se démet de toute rencontre, celles que l'on place dans l'ouverture de la boite aux lettres ou dans un coup de téléphone, celles qui intègrent à des gens puissants, celles qui font rencontrer l'âme élue ou l'ami nouveau, pour bien dégager le travail des jonctions, saisir les rencontres qu'elles induisent et imposent. Ce qu'il attend n'a peut-être plus de raison d'être, il faut se préparer à une autre influence qui promeut à des rencontres dont l'identification est encore incertaine. Ainsi, les rencontres ne sont pas négligeables, elles expriment une dilution. Rencontrer une idée, un sentiment ou une personne est un effort de reconnaissance et une capacité de reconnaissance : contrairement à ceux qui investissent ce champ de notions de hasard, il faut penser que la coïncidence est l'étourderie de la Providence, un reste dilutoire abandonné et réemployé. Celui qui n'a aucune chance de rencontrer une actrice célèbre, vu le milieu qui est le sien et si cela se produisait, il serait obligé de puiser dans des catégories antérieures de reconnaissance de quoi matérialiser le fait. Car ce qui plaît dans la rencontre ou ce qui la fait craindre (si elle est mauvaise), c'est qu'elle est matérialisation. Il n'y a plus de propagation aux effets diffus et aux voisinages immatériels, la rencontre est une matérialité atteinte. Même une idée rencontrée prend cet aspect en tant que stabilisation de paramètres changeants qui tentaient de s'assembler.

C'est pourquoi la géométrie ordinaire des espaces est faite de froissements, de empilements, de frôlements et de débordements qui font coïncider les deux espaces et fabriquent cette matérialité. Pour aider l'analyse, on part d'une rencontre qui se ferait avec soi-même, et non avec une autre personne, ou d'une rencontre qui naîtrait à l'intérieur d'un milieu autonome, sans adjonction étrangère. Espace intérieur et espace extérieur d'une même unité. Cela évite de donner à la rencontre un caractère exceptionnel. La rencontre modifie peu la répartition des rôles entre les deux espaces : l'espace extérieur propose à l'espace intérieur des faits à rendre désirables et à propager mais de ce fait, amené à se rapprocher de l'espace intérieur, il est pris dans une disposition incontrôlable où le fait désirable est parfois évincé ou réduit, altéré. Il y a ce fait à désirer promu par l'espace extérieur qui cherche à se faire employer et même si tel est le cas, la rencontre modifie la donne : approcher l'espace intérieur modifie le trajet du fait à désirer. C'est pourquoi l'accord est quasi impossible : une part de déception convient aux rencontres due à l'écart entre l'envisagé et l'utilisé. Quant à la rencontre imprévue, celle que nous nommons pur hasard, il faut quand même quelque chose qui émane de soi (de son propre espace extérieur) ou des autres (de leur espace extérieur) et qui se montre comme désirable. Par exemple, une vieille sensation surprend en un temps impropre : la reconnaître même faiblement est ce qui émane de soi, une intention d'identification. Donc la rencontre opère en tant que processus: elle transforme l'intention en une incertitude ; l'indésirable aussi a sa place. Comment fabrique-t-on de l'incertitude? Matérialisation.

Souvent l'on croit que l'événement se situe dans le fait que l'on a rencontré celui-ci ou ceci, alors qu'il faut analyser plus justement : il y a eu reconnaissance (antériorités éparpillées), intention (mettre en avant du désirable) et surtout transformation de ce désirable au cours de la rencontre en une matérialité (c'est la rencontre qui crée la rencontre, à savoir une consistance plus ou moins forte). Mais il y a plus : une rencontre peut échapper à ces délimitations qui la "matérialisent" (lui donnent une substance et une profondeur), s'enfuir vers la propagation qui l'a apportée et aller du côté de la dilution et la continuer : en pire, en mieux. L'on peut faire une "mauvaise rencontre", se faire voler ou autre : dans ce cas, il convient de dire que la rencontre prépare comme propagations l'inadvertance et l'accident. Pourquoi l'accident reste-t-il parfois dans de justes proportions, accessoires et sans gravité, pourquoi sa part grandit-elle et devient-elle extrême ? Gradation dans la matérialisation en raison de la zone de contact des deux espaces (frôlement, … débordement). Cependant, la seconde ligne de la jonction doit être prise en compte : dans une jonction entre deux personnes, deux espaces restent inactivés et ne savent toujours comment s'assembler si bien que des désordres se commettent.

Expliquer ces phénomènes : celui de la matérialité d'une rencontre, celui de l'importance de la jonction pour effectuer des rencontres, celui de la seconde ligne et celui des rencontres empreintes d'un peu de dilution. C'est pourquoi, il faut partir d'une rencontre entre deux espaces d'un même être, comme situation simplifiée. La disposition des espaces est explicative. L'espace extérieur propose un "objet" à l'intentionnalité de l'espace intérieur. Il ne sert plus à "capter" les envois de l'espace intérieur (le désir d'aller au cinéma), il montre, en référence à d'autres situations, que tel objet est, en ce moment, désirable (tel film dont les éléments sont répertoriés). La référence n'éveille pas le désir (qui surgit d'un besoin plus fort ; ici, la force des fictions) mais lui soumet une cible. Construction à trois portées : matérialisation, effets d'incertitudes, et issues possibles.

La position respective des espaces se modifie toujours sous l'action antérieure des dilutions. La dilution les entraîne dans son sillage, les rapproche puisqu'une émanation commune s'est manifestée. Ces deux espaces qui, l'un projetait des envies et l'autre accumulait des informations, ont vu se développer une propagation à partir de leurs éléments mais de plus se sont alignés l'un par rapport à l'autre, une fois la dilution achevée. Ils sont très proches l'un de l'autre, dans le même plan parce qu'un accord existentiel les unit mais en raison de leur proximité et du mouvement créé par les jonctions, des chevauchements fréquents se font. L'ataraxie vantée par les sages se tient peut-être dans l'établissement d'une égale distance entre les deux espaces (sans jonction ni rencontre) plus que dans l'absence de désirs et de soucis (le désir n'a pas de réponse, le souci n'a de vecteur). Rappelons que parler d'espaces pour désigner des intentions projetées et des connaissances engrangées est une commodité et une réalité : extension de notre être sur un territoire immatériel et construit (quelle étendue occupons-nous du monde?). On pourrait dire que l'émission d'un désir prend comme variable un élément de l'espace extérieur : si je désire que M. X m'écrive, M. X est la variable empruntée au domaine des gens qui me sont connus. Cela signifie que les deux espaces dès qu'ils sont activés opèrent un transbordement qui est synonyme de proximité parallèle, ce que la jonction ignore (la variable est modifiée) et ce que la rencontre accomplit maladroitement (la variable est en partie aléatoire). Les conséquences de ces chevauchements propres aux rencontres sont nombreuses. Il y aura le cas où les espaces se frôlent, celui où ils se superposent en partie, celui où ils se heurtent et se froissent et celui où l'un déborde de l'autre après l'avoir traversé en oblique. A savoir les quatre situations à traiter : existence de conditions pour des rencontres, matérialisation de toute rencontre, positivité-négativité de la seconde ligne et des rencontres qui s'y opèrent, rencontres possédant un coefficient de dilution. Il faut ajouter que le système peut passer d'une situation à une autre, le frôlement devenir froissement, la superposition évoluer en débordement puis en frôlement, etc. Cela rend compte d la richesse du processus que représente la rencontre.

Premier cas : permettre la rencontre (frôlement). Il n'est pas dans la nature des deux espaces de se mélanger (rappelons que ce sont deux activités indépendantes quoiqu'aptes à interférer) mais la propagation qui les unit les amène à se côtoyer, à se frôler. Surface de contact minime ou plus ample, degré de qualité et de quantité, un point et une ligne comme frôlement et comme mesure de ce phénomène. La jonction est encore si proche que tout ce qui arrive est encore teinté de sa présence. Rappelons l'exemple de Julien Sorel et de Mme de Rênal, l'espace extérieur courbé autour de l'espace intérieur, de façon toute maternelle et protectrice. Cela ouvre le jeune homme à des types de rencontre qu'il n'avait pu prévoir, l'admiration et la jalousie des autres, l'amour-propre luttant contre la haine de soi. La jonction permet l'éclosion de rencontres dans la mesure où l'espace extérieur au contact de l'espace intérieur se démet de ses amas et les offre à l'intérêt de l'espace intérieur. La partie démise est en fait le lieu de contact, hasardeux mais les "rayons" qui jaillissent de l'espace intérieur sont encore affectés par les directions données par la jonction aux "rayons" précédents. Le même mouvement se perpétue un temps et affecte les émissions plus récentes de l'espace intérieur. En ce sens, la partie démise de l'espace extérieur bénéficie de la jonction mais elle forme un point d'ancrage fort aux nouveaux émois de l'espace intérieur, elle les polarise en tant qu'écho de ce qui s'est produit, elle devient une cible potentielle substitutive. C'est ce qui fonde son caractère parfois providentiel (la cible est à la hauteur de la dilution), parfois désillusionnel (la cible est un pâle ersatz si loin de l'idéal).

Deuxième cas: la matérialisation (empilement des espaces). Une stratification se constitue. L'objet imposé par l'espace extérieur comme digne de l'intérêt de l'espace intérieur correspond à cette partie d'espace extérieur qui se place au-dessus de l'espace intérieur quand, à la suite d'une jonction, le rapprochement des plans admet cette figure. Il faut comprendre que les deux espaces adoptent ainsi une situation d'échanges là où la jonction n'est pas échange mais altération et détournement. Une rencontre est donc une certaine adaptation, une situation tout aussi bien conflictuelle qu'événementielle ou auspicieuse. Il ne s'agit plus de propager mais de stabiliser. Même serrer la main à une relation rencontrée au coin de la rue a ce statut : certes, l'on ne peut prévoir que l'on rencontrera cette connaissance mais il s'est produit auparavant des jonctions et des rencontres qui permettent d'authentifier cette situation et d'en définir l'attrait ou l'embarras, comme de préparer à leur surprise. Un "obstacle" est devant, dont l'existence provient de la polarisation momentanée des émanations de l'espace intérieur autour d'un bloc d'informations surgi de l'espace extérieur. Ce que représente la surface couverte progressivement.

Troisième cas : positivité-négativité de la seconde ligne (froissement). La seconde ligne revient à poser deux personnes en contact, soit deux espaces intérieurs et autant d'extérieurs ; or si la jonction mobilise un de chaque, il en reste deux non-employés. S'il se produit quelque chose entre ces deux espaces, alors on dira qu'il s'agit de la seconde ligne de calcul. Mais il se pourrait aussi que lors d'une jonction qui affecte les espaces de la même personne, tout de ceux-là ne soit pas employé et qu'une seconde ligne se fasse. De toute façon, par rapport à l'opération en cours, il suffit de savoir si les deux espaces restants sont opposés, neutres, ou enfin en accord. A quelles interférences assistons-nous? Une partie des espaces se rencontrent de face et se pénètrent. Le heurt peut être violent, ce peut-être un simple froissement, ou bien un emboîtement réussi (à une déclivité répond un tertre). La jonction en cours subit donc une contrainte supplémentaire qui la freine, ou l'accélère dans des proportions variables. Soit un phénomène parasitaire se développe à ses côtés (instinct de mort, négativité, résistance) et s'amplifie au point de l'interdire ; soit une harmonie supplémentaire se crée et en miniature évoque ce qui a lieu. La jonction dilue une relation et l'emmène au loin, aimerait-on dire, et cette extension permet l'existence de rencontres; celles qui naissent de la seconde ligne ont un caractère plus immédiat, voire simultané qui sert de contrepoint, qui est un témoin visible de la jonction. Leur matérialité est évidente. Présence du concret dans un temps de rêve, rappel des réalités, mais aussi participation du monde à la dilution. Les jonctions Jp, Jq, Jr, … trouvent un "écho" dans le seconde ligne, écho positif ou négatif et cela explique les échecs de jonction : un processus enclenché qui avorte parce que la seconde ligne l'emporte (trop de résistances ont freiné, bloqué ou cassé l'altération en cours, la dilution est niée). Il faut donc donner à cette instance la place qui lui revient et expliquer son double rôle.

La haine entre deux personnes peut être le résultat d'une jonction et la propagation qui s'ensuit outre que son champ n'a plus de fin, détruit bien les espaces intérieur et extérieur. Si la haine est reproduite localement, c'est, à côté de l'obsession dilutoire, une rancœur ou un dégoût localisé dont l'effet premier est d'accompagner l'ensemble et dont l'effet second est de maintenir sourdement et plus longtemps un ressentiment. Des gradations de sentiments ainsi s'élaborent que rien sinon n'explique. Qui pourrait nous dire pourquoi nos émotions et nos sentiments ne sont pas toujours extrêmes, sont des mélanges dosés ? Autant la dilution nous prépare à des événements, engendre des spécifications et nous offre une réalité, autant les nuances sont de l'ordre des espaces amenés à des adaptations. Si la haine est contestée localement, il convient de penser que de l'affection demeure en une poche qui en s'étendant inhiberait la dilution haineuse. Même situation à l'opéra : au couple amoureux des jeunes gens de la haute société, répond le couple des serviteurs. Il se joue une copie qui nuance les sentiments, accompagne ou nie le mouvement. C'est plus qu'une copie, en fait, il faut y voir un travail sur les parties résiduelles, non affectées, des espaces, montrant une fois de plus l'importance des jonctions et la matérialité des rencontres. Il y a moins d'intelligibilité avec les rencontres, mais plus de diversité.

Et cependant notre propos n'est pas encore assez clair. A /: B = a où A est l'espace intérieur de X et B l'espace extérieur de Y et où a est le résultat de leur jonction ; alors disons A' l'espace extérieur de X et B' l'espace intérieur de Y ; A' et B' sont les deux espaces inactivés ; ces deux espaces en se rencontrant sont mutuellement froissés de même que la jonction opérait sur les deux espaces des métamorphoses. Les deux adversaires voient de la haine, par exemple, jaillir d'une jonction et l'identifient au cours d'une rencontre (froissement) qui fabrique de l'incertitude (évolution de ce sentiment en détestation des proches ou indifférence).

Dans Bérénice, on a vu que l'espace extérieur de cette reine était bouleversé par l'aveu de Titus (espace intérieur à la perpendiculaire de l'espace extérieur de Bérénice) ; maintenant, si l'on considère l'espace extérieur de Titus, on découvre que l'acceptation de Bérénice le livre à un sentiment moins grand (là où Bérénice voit le vide d'une vie) qui pourrait s'appeler la cruauté de l'exercice du pouvoir et si l'on considère l'espace intérieur de Bérénice, son immense déception se mue en une retraite vers soi, en un refuge en son intimité. Opérations propres à la rencontre qui, dans ce cas, est à l'unisson avec la jonction, à un degré inférieur toutefois (à noter que l'amour d'Arsace pour Bérénice aurait pu servir à contrer la dilution, à la rivalité des deux amants et placer Titus au sein d'un autre dilemme : cas de la rencontre s'opposant à la jonction) mais de nature à matérialiser les données (Titus se sacrifie, Bérénice adopte un destin de veuve).

Ce que la littérature nous livre sert à regarder des phénomènes appartenant à des domaines autres que la psychologie. En Politique, on voit un peuple (munissons-le de deux espaces) entrer en contact avec un autre (déferlement d'une mode, point n'est besoin de parler d'invasion) et subir une altération (effet d'une jonction) qui l'emmène vers des attitudes et des pensées nouvelles (désirs nouveaux) tandis que ses connaissances et ses certitudes anciennes (espace extérieur) s'adaptent et se reformulent (le froissement dû à la rencontre d'autres sources de réflexion) : zones de résistance ou zones d'accompagnement. Cet exemple succinct doit souligner que l'emploi de cette théorie est de nature à rapprocher des faits appartenant à des domaines différents et à en éclairer l'allure. Dans les grands écoulements et les séries affichées, se logent des poches imitatives ou résistantes qu'il est plus facile d'observer et d'analyser (localités donnant accès au global) et qui tiennent trop souvent lieu de seules réalités, comme si l'arbre cachait la forêt. En Mathématiques, la suite régulière des nombres est une propagation diluant les inégalités des objets en des unités et leurs occupations spatiales en un espace abstrait mais l'existence de nombres premiers qu'aucun algorithme ne crée est comme le rappel d'accords ponctuels et de résistances locales typiques des rencontres. L'étude de propriétés devra présenter ce double aspect : extension-délimitation (propagation, matérialisation).

Quatrième cas : rencontres possédant une issue dilutoire (débordement). Leur matérialisation est incomplète de sorte que leur influence ne se circonscrit pas avec quelques effets, qu'elle se dilue en des effets insoupçonnés. Le plaisir que l'on a à retrouver une vieille connaissance ne peut se comparer au développement annexe qui peut se produire. Il s'échappe une extension, un prolongement sans aucune assise, dont l'image serait une corniche suspendue ou une arche lancée sur le vide. Une partie de la rencontre reste matérialisée : que faire de cette connaissance ? De l'incertitude se forme : l'on peut lui redonner, dans nos ordres de classement, une préférence ou bien éviter qu'elle en reprenne ; cela peut être un obstacle, un vieux démon, ou un rappel délicieux. Mais, indépendamment de cela, comme pour une dilution, un corps annexe peut se constituer qui correspond à "quelque chose" qui, s'étant réveillée, s'offre un développement qui n'avait pu se faire autrefois.

Prenons par commodité extrême le cas de la littérature amoureuse où tel jeune homme retrouve bien des années plus tard la femme qu'il a aimée ; outre le temps où ils peuvent évoquer leur jeunesse et faire de leur rencontre l'occasion d'un aveu ou d'une évitation (matérialisation et incertitude), il peut arriver que leur exemple hante le rapport amoureux des autres personnages du roman, qu'il s'inscrive dans une tradition de pessimisme, qu'il provoque une quête des origines (comment déjouer des enchaînements malheureux ?) puisque l'inaccomplissement de cette relation invite à envisager d'autres inaccomplissements. En quoi la rencontre conduit en une mise en suspens, à une "époché" (un état suspendu, entre parenthèses) qui présente une ressemblance avec la dilution sans en être une vraiment : sa propagation est restreinte.

Le mouvement conjoint des deux espaces fait que l'empilement ou le froissement traversent de part en part et débordent dans le vide ; quant à l'effleurement, il n'est plus initial mais final, il devient la pointe de débordement qui troue l'espace traversé mais ne va pas plus loin. L'espace extérieur est entraîné par son mouvement et au lieu de couvrir une partie de l'espace intérieur reste suspendu dans le vide. D'un côté (l'aire recouverte), il y a matérialisation (rencontre), de l'autre (l'aire prolongée), la rencontre se poursuit en un au-delà. Ce double ancrage donne à la rencontre son trait principal : de se placer dans une stabilité étroite (une aire précise) et de s'évader vers des possibilités interrompues. Plus qu'un potentiel devons-nous parler d'irréel.

Appelons les rencontres "r" et "rf" pour le frôlement, "re" pour l'empilement, "rh" pour le heurt-froissement, et "rd" pour le débordement. - "rf" correspond à l'invention d'un substitut (leurre ou idéal) ; - "re" vaut pour l'obtention d'un agglomérat (obstacle ou fondement); - "rh" s'emploie à l'imitation localisée de la jonction (copie ou inversion); - "rd" élabore une instance en suspens (possibilité engagée, inaccomplie). C'est une typologie qui explique ce qui se produit par les rencontres, qui dit ce que l'on peut en attendre, quels résultats espérer de ces processus. La rencontre occasionne de l'incertitude et de la matérialisation. L'incertitude renvoie à une ambivalence foncière, la possibilité pour le système d'évoluer indifféremment dans un sens ou dans l'autre, avec des degrés de neutralisation (le peu de durée d'une rencontre en est un ou le passage alterné d'un état positif à un état négatif en est un autre). Par rapport à une dilution, la rencontre est un milieu constitué, délimité quant à l'espace, ce qui tend à faire penser que son évolution correspond à une déformation spatiale. C'est un système dont nous avons donné les paramètres : sur des catégories dilutoires (cribles de reconnaissance, capacités d'identification) se greffent des trajets (position des espaces), se détachent des parties de l'espace extérieur qui accaparent les projections de l'espace intérieur ; un "écosystème" particulier se fonde. Comme tout système, une dégradation d'énergie est à prendre en compte, il existe un seuil où l'ordre constitué se mue en désordre.

Il revient à dire de quoi est faite une matérialisation progressive, quels éléments l'affectent. Une idée à sa naissance se propage, et les premiers temps lui sont souvent hostiles; puis elle s'impose et se répand par quelques œuvres remarquables ; enfin elle tombe dans le domaine public, se gonfle de "bons sentiments", se noie dans la banalité (combien la phrase de ce penseur anglais est juste : "si vous voulez faire du mal à une idée, répandez-la"!). Certains ont proposé de voir dans ce phénomène la disparition d'une différence : ce qui était ouvert (coupure épistémologique) se ferme, l'irruption de l'idée s'enlise, le caractère original de l'idée est ramené à du commun. Un proverbe a cette allure : de tout temps il en est ainsi (aucune différence n'est possible). Mais, par ces deux exemples, on voit que la banalisation de l'idée n'est pas l'effet de la propagation mais le résultat de son "enracinement", de sa matérialisation (certaines bouches enlaidissent mots et formules). Des enchaînements de rencontres donnent la clef de ces matérialisations.

Une rencontre se fait, les autres rencontres constituent un champ d'attraction qui affecte le processus en cours. Certes, si toute rencontre comporte une dose de matérialité ("re" en possède une plus forte dose), le fait qu'une attraction se dessine introduit dans le système une direction : un frôlement peut devenir heurt, finir en débordement (première direction) ; mais il peut y avoir un retrait, c'est-à-dire que heurt ou débordement se rétractent et s'achèvent en un point de contact ou frôlement (deuxième direction). "rf" (frôlement) est la rencontre initiale ou finale d'un processus. Les deux espaces se touchent et poursuivent ou bien se sont côtoyés et se retirent vers leur autonomie primitive. Il y a aussi le fait que la rencontre n'évolue pas et résiste à l'attraction (troisième direction) ou bien passe à une autre rencontre et s'y arrête (quatrième direction). Ces quatre directions expliquent le degré de matérialisation qui affecte le processus :
- la quatrième direction (passage à "r…") correspond à une possibilité d'alternance dialectique (une bonne rencontre se mue en mauvaise et une mauvaise en bonne). Soit le facteur d'incertitude : le système se sent attiré par son inverse, soit une seconde rencontre ; un frôlement devient heurt, un heurt déborde, un empilement s'allège en frôlement ; ainsi une idée propagée se manifeste et produit son contraire (réticence-effacement/ imposition-adoption):
- la troisième direction (arrêt : "rf"/ …/"rd") suppose que seule une autre rencontre vient modifier la donne (bonne ou mauvaise), qu'une fois la rencontre effectuée, les espaces retrouvent leur virginité et indépendance, que la rencontre a été suffisante (sans évolution spatiale postérieure; l'aire telle quelle a circonscrit l'événement pleinement);
- la première direction (de "rf" à rd") est celle de la dégradation d'une rencontre, de l'usure du système ; après s'être superposé (immobilisation des désirs), heurté (affrontement et blessure) le fait déborde (il ne s'applique à rien) et devient creux; la banalité l'emporte à force d'emplois, le processus en cause immobilise les espaces trop longtemps, avec les mêmes éléments, ce qui les rigidifie et donne des formules répétitives;
- la deuxième direction (rétractation vers "rf") est celle de l'oubli, de la déperdition du système ; ses constructions ou matérialisations ne sont plus visibles, sont en ruine et se défont. La trace se perd de ce qui a eu lieu, le système retrouve son calme et ne garde qu'un souvenir minime, bientôt incompréhensible.

Qu'avons-nous besoin de ces précisions dans le cadre d'une métaphysique? Il a fallu extraire de la notion de rencontre ce que l'on nomme hasard et en réduire la portée à des capacités de reconnaissance et des processus de matérialisation. Il a fallu rendre compte d'"incarnations", déjouer les solutions essentialistes ou existentialistes qui sont des modélisations fondées sur les rencontres : elles disent l'oubli de l'Etre, la dégradation de l'existence (déréliction), la suffisance des essences, ou la dialectique de l'Etre et du Néant…, autant de saisies matérielles. Car l'incarnation ne correspond pas à une matérialisation mais à ce qui advient par suite de cette matérialisation : telle rencontre opère une immobilisation partielle des espaces, il se crée un milieu momentané qui capture les data et les solidifie (cela offre un angle d'attaque aux essentialistes), ce milieu déploie un temps fait de limites (début, fin, itération : utiles pour des existentialistes) mais il existe un effet de la rencontre dont la nature est autre que dilutoire.

L'orientation des désirs issus de l'espace intérieur sur des faits amassés par l'espace extérieur s'assimile à une enveloppe. Inutile de regarder comment le processus de la rencontre évolue, regardons maintenant l'enveloppe extérieure : une forme se constitue qui entoure le datum choisi et qui se montre au grand jour, qui caractérise ce que les autres voient de vous ou ce qu'un phénomène présente comme apparence. Il y a incarnation qui, selon le mode de rencontre, diffère et qui, selon le mode d'évolution de la rencontre, se déforme.

Certes, et comme le concevait Aristote, la forme qui entoure les objets et les événements est leur âme dans la seule mesure où ils se singularisent par des rencontres mais l'âme qui est octroyée aux hommes est un filet protecteur invisible. Notre forme corporelle en induit une autre qui provient cette fois non des rencontres mais des vertus de la rencontre. Quelque chose s'est assemblée dont l'âme est le regard extérieur (à la fois regardant de dehors l'assemblage et regardant vers l'extérieur). Quand l'on regarde comment l'on s'est comporté avec telle personne rencontrée, ce que l'on voit de l'assemblage, c'est l'âme s'aliénant ou se sauvant, c'est-à-dire un principe de maintien des assemblages qui ne se cache pas à l'intérieur mais désigne une manière d'être, tournée vers l'assemblage et vers les autres. C'est une affaire d'espace intérieur qui doit en éprouver le besoin : comme une rencontre réussie vous donne envie de faire que d'autres suivent ainsi, il faut que l'effet de la rencontre devienne un besoin parce qu'il se crée une dilatation. L'âme se crée des besoins progressifs, s'individualise aussi, et se corrompt à n'être jamais sollicitée. La corruption est dans le non-emploi de cette réflection-augmentation. Si ce non-emploi n'est pas volontaire, parce que les dilutions donnent des cadres de reconnaissance tels que rien ne peut correspondre et paraissent ainsi nuire à toute rencontre, il y a alors diaphanité (adhésion à ce qui se fait ailleurs, connivence et soutien). Car l'âme se doit de croître par l'acquisition de besoins qui sont dans une logique d'enveloppements de plus en plus grands (l'enveloppe suivante est plus grande que la précédente). Une enveloppe inférieure la rétrécit et l'oblige à de nouveaux efforts pour regagner son aire.

Cette âme est-elle immortelle ? La vertu des rencontres aurait pu nous échapper. Il y a quatre âmes comme il y a quatre types de rencontre, ou plutôt quatre façons de dilatation où l'âme se crée. Aucune d'elles n'a un avantage sur les autres quant à son degré de dilatation mais celle qui va avec le frôlement englobe les mouvements du rêve, entoure les filaments oniriques de son effort car l'âme se fabrique déjà avec des songes (ce sont des émanations dont elle veut utiliser la force). Celle qui suit l'empilement , entoure un imaginaire, à savoir la lecture que nous faisons d'événements particuliers (comment nous les traitons ou les imaginons, amène à développer certaines tendances) ; celle qui vaut pour le froissement-heurt encercle un caractère, le pourtour "immunologique" et l'évolution de ses propriétés ; celle qui correspond au débordement embrasse l'histoire d'un être, ce qu'il a dû laisser de côté et ce qu'il a pu réaliser. De plus, le passage d'une rencontre à une autre implique que les enveloppes se modifient selon les quatre types possibles. Une dilatation peut se faire par allongement (manchon à l'instar des bandelettes d'une momie), par gonflement circulaire (bulle ou ballon), par des volutes se torsadant (celles de la fumée d'une cigarette), par évasement d'une base (un cône s'ouvrant à sa base) et ces surfaces nouvelles créées sont celles que l'âme recouvre adoptant le même mouvement. Il suffit de rapporter cela aux quatre types de rencontre (soit l'ordre de présentation ci-dessus) pour comprendre que le passage d'un stade à l'autre modifie fortement l'aspect de l'enveloppe et conduit à des volumes étranges dont le sens est bien une spécification sans que nous puissions en conclure de l'immortalité. Cela parce qu'il faudrait parler du temps comme d'une entité à part. Et si c'était le nombre de fois où l'on passe d'une forme d'enveloppe à une autre, et la rapidité à laquelle l'on opère ces passages, qui importaient pour indiquer le temps, supposant qu'une "sur-enveloppe" faite des essais antérieurs et de la fréquence de certains finit par constituer l'âme globale d'un être, celle qui résout les contradictions et qui se tourne vers plus ample encore, et donc nécessite pour que sa dilatation ne disparaisse une pression extérieure (à la manière dont un ballon montant au ciel éclate pour ne plus subir la pression de l'air sur ces parois), une force divine qui lui assure son unité maximale et une permanence qu'un rien anéantirait. Les changements d'enveloppe que la vie impose ne seraient point perdus, leur nombre déploierait des variétés de formes (autant de situations engagées notant notre façon de réagir) et le retour de certaines dirait notre éthos, avec pour avantage sur celui que rien n'affecte et qui se prémunit contre les changements, que l'âme s'assouplit, gagne en dilatation et surtout construit cette sur-enveloppe constitutive d'une finalité. Quoique, l'enfant trop tôt enlevé à la vie puisse aussi édifier cette sur-enveloppe non par de nombreuses rencontres mais par une action de la force divine différente du type d'un envol (une poussée permettant la dilatation impossible). L'entrée en contact avec de telles contre-forces (pression ou envol) assure à l'âme son extension maximale, celle à laquelle elle a droit. Comme les dilatations existent, des contre-forces existent aussi.

Issues :

Ce premier livre portant sur les effets que produisent des événements capitaux est une tentative constante de spatialisation. Vous envelopperez, vous découperez, vous retournerez, vous effleurerez, vous incrusterez., est une première démarche de cet ordre ; vous connaîtrez des frôlements, des superpositions, des heurts et des débordements, est la deuxième. Avec les voisinages de réalité, vous universaliserez. Ce que l'on entend par là, c'est de redonner aux êtres et aux choses leurs vraies dimensions, de délier leurs contours pour reconnaître leurs antériorités et leurs postériorités qui les amènent à procurer ses milliers de points d'appui : non un substrat unifié, régulier, mais un continuum "néphélique" aux intervalles volontairement irréguliers de façon à obliger à une marche sautillante et accidentée. Les contours ne sont plus seulement ceux des corps mais des revêtements se développant par eux-mêmes ou des prolongements se métamorphosant sans fin. Une forme définie peut être mesurée, on n'obtient pas le processus immatériel qui l'a produite (ensemble d'apparences précédant le déclenchement matériel) ni les apparences qu'elle prend, à moins de passer par une métaphysique qui saisit des extensions et des altérations, des enveloppes et des temporalités. Image en fait exacte de ce qui est, quoique l'on n'en ait jamais vraiment tenu compte.

Non que tous les problèmes soient résolus, mais d'autres en perspective, comme une autre interrogation ou attention au monde. On bénéficie de cadres conceptuels permettant une reconnaissance particulière, à partir desquels toutes les métriques sont possibles mais surtout des analogies entre des phénomènes éloignés par leur nature matérielle et dont on ne voit pas le cousinage. Si, par exemple, une idée se forme grâce à l'emploi d'une image, si une formule s'écrit par le biais d'une expérience, si un rayonnement stellaire s'imite dans le scintillement d'une étincelle, c'est pour répondre à la même exigence de réalité, à des effets dilutoires similaires. Il s'agit de donner à "l'aura" du monde plus qu'un état : un dynamisme et une fonction. Problème de peuplements dont la Genèse donne la clef : elle retrace moins une origine qu'une invitation à favoriser l'émergence de la réalité dans tous les domaines.

La lumière se propage, la reproduction des espèces, un raz de marée ou un vol d'oiseaux affirment que la réalité est propagation. Les cinq types de jonction et de dilution définissent les modes essentiels de ce phénomène, ils définissent des émanations à partir de bordures spatiales quelconques, ils soulignent des extensions source de nouvelles formes. Mais l'analyse ne cherche pas à en mesurer l'aire ou les courbes ni à en dire les algorithmes mais à calculer le "remplacement" ou le "peuplement" (ce qui s'évacue et se défait, ce qui s'ajoute et s'augmente). Une femme est enceinte mais le seul calcul de la courbure de son ventre s'il exprime le degré d'imminence de ce qui se prépare, laisse échapper tant et tant de l'événement en cours et des conséquences imprévisibles et des effets à venir qu'il paraît chétif. Un espace intérieur se peuple, un espace extérieur s'enfle et les deux vont se voir dépassés, ou plutôt servent de plate-forme à un élan incommensurable aux errances futures (tituber est notre démarche d'homme libre). Des courbes et des incidentes et de tangentes beaucoup plus nombreuses que ne le dit le calcul de la courbure sont à considérer. A l'étude de toute forme doivent s'adjoindre les prolongements qu'elle induit du fait même d'occuper un espace, les effets qu'elle prépare du fait même qu'elle se soit manifestée.

Marcher sur l'eau n'a plus à sembler irréel.

En attendant, comme Noé, construire son arche où convoquer les faits et les assembler jusqu'à ce que tout chavire parmi les bancs de sable : pour un trop plein de réalité.

 

Livre II

Les lieux de résonance

 

Tableau d'un état de pensée :

L'hypothèse en métaphysique est le choix d'une limitation qui semble arbitraire parce qu'on ne la présente pas comme le fait d'un choix lucide, dont la seule justification est qu'elle est nécessaire à une exploration. C'est décider d'un cadrage au sein de l'infinie réalité, de la forêt des concepts, moins pour une construction que pour une investigation.

Une construction laisse supposer que les fondations, si elles sont fausses, rendent la construction vaine et fausse. Une investigation est la saisie progressive d'une représentation du monde : si la saisie se fait mal, l'investigation n'est ni fausse ni vaine, elle n'aboutit à aucune représentation qui ne soit déjà connue ou opérante (explicative). Elle échoue simplement. L'homme de sciences choisit ses paramètres pour comprendre les phénomènes ; le métaphysicien choisit ses hypothèses avec les mêmes hésitations et la même crainte de l'erreur.

L'hypothèse première de cette métaphysique est que l'individu se trouve émettre des intentions et amasser des informations ("émis"/"amas") : les intentions ne sont pas générées forcément par sa seule subjectivité (elles viennent de ses gènes, de son environnement, de sa spécificité…; il ne fait que les véhiculer à travers lui) ; les amas sont des données mémorisées, là aussi par son espèce, ses ancêtres, sa culture mais aussi sa propre expérience (l'individu les admet et les actualise). Cela signifie que les émis et les amas ne recouvrent pas l'opposition "subjectivité-objectivité" mais ont tous deux les pôles subjectif et objectif.

L'hypothèse deuxième est d'identifier ces "émis" et ces "amas" à des espaces : espaces variés, rétractables, extensibles, plus denses en certaines zones , dentelés, etc. Par le canal de l'individu, des intentions et des amas se répandent et se forment. L'individu génère moins ses intentions qu'elles ne le traversent et l'amplifient (avoir certaines intentions agrandit l'homme qui les a) ; s'il les colore de son individualité, elles lui appartiennent peu puisqu'elles sont nées avant lui et autour de lui. L'espace des intentions est un arc-en-ciel où s'exposent des penchants et l'intérêt qu'il y a à voir ces penchants se réaliser. Soient deux axes (tendances et intérêts) pour former l'espace des émis. De même, pour les amas. Certaines informations sont essentielles à la survie et forment une base tandis que la mémoire individuelle les complète de ses apports. Soient deux axes (instincts de l'espèce et mémorisation). L'espace des amas est une stratification de données collectives interférant avec des données plus personnelles.

L'hypothèse troisième concerne la jonction de ces deux espaces qui vont avec tout individu. Ils sont séparés parce que générés différemment mais en rapport étroit d'échange (ils appartiennent au même individu). Mais s'il y a un va-et-vient ordinaire entre ces deux espaces, de l'ordre de la rencontre, le placement particulier de ces espaces provoque autre chose : leur position mutuelle selon des dispositions spatiales particulières produit des configurations exceptionnelles que nous nommons "jonctions". Emis et amas ne peuvent s'ignorer mais la disposition de leurs espaces peut provoquer mieux qu'un échange.

L'hypothèse quatrième est d'identifier cinq jonctions comme moments uniques et récurrents où les espaces en présence entrent dans une relation supérieure. Que chacun l'identifie à sa façon ! Tel homme vient à rencontrer la seule femme qu'il aimera, tel autre une pensée, tel autre un sentiment… la jonction est de l'ordre de la révélation - quoiqu'elle ne soit pas obligatoirement exceptionnelle, subite ou surnaturelle -. Or, aucun système ne nous parle de ce phénomène tant pour l'expliquer, que lui donner un statut ou surtout en saisir les conséquences. Le travail à faire est alors de considérer jusqu'en ses ultimes parties ce qu'il advient d'une jonction. Notre avis est de penser qu'elle structure et amplifie le réel.

Notre métaphysique est donc un champ partiel mais qui renvoie à d'infinies questions : que pouvons-nous comprendre de l'univers (nous allons dire en nous plaçant dans cette perspective partielle que seules les cinq jonctions nous y font accéder) ? que pouvons-nous penser de Dieu (puisque la jonction tient d'une certaine forme de transcendance) ? pourquoi ne comprenons-nous pas (est-ce parce que les jonctions ne viennent pas toujours se faire?) ? pourquoi la jonction a un "effet" qui ne se perd jamais (nous allons en suivre les moindres et ultimes lueurs, jusqu'à extinction qui ne saurait se faire puisque la jonction ne cesse de se produire) ? quel continuum nous fournit-elle (nous soutenons que les effets de jonction se propagent et servent de véhicule au réel) ? Toutes ces questions font apparaître moins un enjeu causaliste et finaliste qu'une "circonspection" : des gonflements internes ont lieu dont l'ampleur est orientée, s'épanche par ici ou s'amenuise par là. Avec nos hypothèses nous ne saurions remonter aux causes ni descendre aux fins ; nos limites nous imposent de regarder ce qui advient par suite des jonctions.

Souvent il a été reproché au métaphysicien de mettre à la place de Dieu, à juste raison. Ici, rien de tel. On assiste à l'expression de possibilités (nommons cela pour l'instant ainsi) grâce à l'existence de jonctions, à leurs effets, à leur vibration. L'investigation va éclairer des dilutions, fort précieuses car accroissant le monde, sa phénoménalité.

Notre époque a une physique (relativité, quanta) et n'a pas la métaphysique qui y répond, notait le logicien A. T Whitehead. Parmi ceux qui ont essayé de pallier à ce manque, citons R. Thom dont la théorie des catastrophes est un effort pour appréhender la génération des formes, et G. Deleuze dont les concepts sur l'agencement et les séries sont une saisie des devenirs infinis qu'abrite la vie. Ces deux auteurs sont peu conciliables mais ils partagent le souci de désigner des générateurs de réalité. La métaphysique classique étiquetait des substances, des relations, des essences immuables, à l'instar d'une physique des solides et de la gravitation universelle. Nous concevons, à cause des jonctions et dans leur cadre limité (sans aucune possible généralisation holiste), une métaphysique des évanescences dont les effets perdurent et sont d'une résonance inouïe. A la géométrie du cercle née avec les Eléates dans le golfe de Milet et d'Ephèse, va correspondre une géométrie des superpositions (plans inclinés, courbes ou imbriqués) en analogie et approximation, par exemple pour ne citer que cette représentation, avec la courbure de l'espace-temps mais dont les conséquences sont plus nombreuses parce qu'inscrites dans des espaces multiples et en des niveaux infiniment variés.

Notre dernière hypothèse de travail est de prendre pour secours au repérage des jonctions des œuvres de la Littérature sacrée et profane (et non des formules mathématiques, logiques ou philosophiques). C'est un choix qui a pour risque de ne pas se faire entendre : manque de respectabilité, refus des analogies. Et pourtant, nous voyons que la Littérature est faite au quatre cinquième d'échos et de suggestions (internes et externes), dont les tracés sont des indicateurs inestimables pour ce que nous entreprenons : le parcours des dilutions, la diffusion d'émotions et d'idées, la propagation de vibrations, tout ce qui augmente la réalité et la rend à sa nature.

I- Des lieux de résonance (de leur constitution avec 4 paramètres ; des 11 lieux de résonance possibles) :

1.1 Comprenons : un homme, sur le chemin de Damas, s'effondre, aveuglé. Une jonction a eu lieu (une des cinq que nous avons définies). Que devient-on ensuite, quand on a vécu une telle jonction, comment vivre après, que peut-on en faire, que devient-elle auprès de ceux qui en admettent l'existence, et comment se fait-elle admettre ?

Notre première théorie des conséquences a été de dire que le résultat de la jonction s'exprime et se perpétue en se plaçant à l'intérieur des quatre autres jonctions. Ce résultat est un second espace qui entre en composition avec les espaces intérieur et extérieur d'autres personnes. Ce second espace prend la place de l'espace extérieur, et il peut alors se trouver en composition avec l'espace intérieur selon une des quatre jonctions possibles. Le résultat de la jonction connaît ainsi des altérations qui constituent une dilution (quelque "chose" passe d'un point de vue à l'autre, d'une jonction à l'autre, se colorant et se répandant). Ce mécanisme ne rend pas compte de ce que deviennent in fine les effets des effets de jonction, ni comment ils réagissent à d'autres effets. La notion de "milieu" s'avère nécessaire.

En effet, vu le caractère exceptionnel de la jonction, vu les risques de déperdition, dotons le résultat (ou conséquence) d'un souci de préservation. Si rien, dans un milieu culturel, ne lui donne place, tout concourt à sa perte à moins d'entrer en composition. Il lui faut chercher un lieu de résonance. De même, certains lieux de résonance pré-existent qui favorisent ou orientent la dilution. C'est à cette étude que nous sommes conviés : d'un côté, absence de tout lieu de résonance, de l'autre, existence de lieux de résonance établis, au centre, constitution et modifications de tels lieux.

1.2 On peut donc commencer par identifier un lieu de résonance par une culture, et voir ce que l'on obtient. D'autres identifications sont permises. Proposer qu'une culture soit un lieu de résonance signifie qu'une idée, une invention, un événement - tous produits de jonctions - trouve dans ce milieu la possibilité de se développer. Il faut un milieu immatériel pour l'installation d'une idée, par exemple, mais exprimer cette relation ne nous invite pas à déterminer si le milieu est cause de l'idée ou si l'idée en est la finalité. D'autres ont étudié ce déterminisme, sociologiquement, historiquement ou psychologiquement. Dans le cadre que nous posons, le fait de "plonger" un certain type d'idées et leur dilution dans un milieu et d'observer théoriquement leur perpétuation suffit parce que nous n'interrogeons pas leurs renvois et emprunts. Nous voulons seulement savoir si leurs altérations peuvent former un continuum et comment elles peuvent le former.
Proposition A : Le nombre de cultures que l'homme est apte à créer est limité parce que la fabrication des lieux de résonance suit certaines règles.

1.2.1 Cela rejoint curieusement quant à l'existence des religions la question de la supériorité de l'une d'entre elles sur les autres. Considérer comme un lieu de résonance une religion, revient aussi à expliquer l'organisation de ce milieu comme plus ou moins adéquat à certains effets, donc à une supériorité objective selon l'espace créé et la qualité en somme "sonore". Certaines religions font plus ou moins appel à la rationalité, d'autres à l'imagination, d'autres à l'efficacité, d'autres à l'émotivité. Etant donné que ces paramètres désignent des directions divergentes, il existe des lignes de fracture à concevoir comme des zones où le "son" ne passe pas. il existe aussi autour de ces lignes des solutions employées pour concilier ce qui ne l'est pas. Si toutes les religions développent ces quatre tendances, selon qu'elles développent au maximum 1,2,3 ou 4 tendances, ou selon qu'elles les maintiennent dans une étroite co-existence ou dans des proportions différentes, cela aura pour effet de nous les rendre dissemblables et inégales.

1.2.2 Justification de ces quatre paramètres : rationalité, imagination, efficacité, émotivité. Ils satisfont à la double exigence de l'existence d'un système et de la demande de l'être humain. Tout système se doit d'être homéostatique (cohérence, rationalité), dynamique ou orienté (imagination), adapté ou apte à s'adapter (efficacité), homéomorphe à d'autres systèmes (émotivité). Une religion tend vers une cohérence explicative (rationalité), vers un peuplement de l'espace abstrait qu'elle crée (imagination), vers une modification du monde (efficacité), vers une participation de l'être à une totalité (émotivité). On dira plus tard que ce sont les quatre résolution possibles d'une équation différentielle : constante (rationalité), entre plus ou moins l'infini (imagination), seuil de bifurcation (efficacité), tendre vers l'absolu du zéro (émotivité). A titre d'exemple premier, on établira au sein du christianisme que la forme protestante développe plus le facteur rationnel, que le catholicisme choisit le facteur imaginaire (avec ses saints et ses pèlerinages), que la forme évangéliste choisit l'émotivité, et l'orthodoxie préfère croire en l'efficacité de la prière pour agir sur le monde. Cela ne signifie pas que chaque version néglige totalement les trois autres facteurs. Il est alors évident qu'une idée plongée dans une de ces versions ne provoque pas les mêmes effets et ne reçoit pas le même accueil.

1.2.3 L'intérêt de ces quatre paramètres (à supposer que l'on puisse les graduer) est de nous permettre d'envisager ces cas de figure : a) le système privilégie un facteur et tend à annihiler les autres. Des notions de limites sont à déduire. b) il privilégie la co-existence presque égale entre les facteurs dont l'un est fédérateur ou exerce un contrôle favorisant cette co-existence. Notions d'attraction. c) il couple deux par deux les facteurs, et les oppose fortement. Notions de sauts qualitatifs pour éviter l'éclatement.

Prenons l'exemple cette fois-ci de religions asiatiques. Autant le bouddhisme se signale comme une religion devenant une philosophie (rationalité extrême), autant l'hindouisme tend à concilier les quatre facteurs. Le Jaïnisme est partagé entre la spiritualité dépouillée du bouddhisme (rationalité et efficacité couplées) et la prolifération exubérante de l'hindouisme (imagination et émotivité).

Cette classification donne la réponse sur le nombre de cultures possibles :
- la première catégorie propose quatre cas de figures (selon que l'on privilégie l'un des facteurs).
- la deuxième également, vu que l'un des facteurs exerce un contrôle pour empêcher son propre développement excessif et celui des autres (le facteur fédérateur peut être l'un des facteurs).
- la troisième donne trois formes de couplages oppositionnels : (1) Rationnel (R ) et Imaginaire (I) / Efficacité (E ) et Emotivité (Em ) (2) R et E / I et Em (3) R er Em / I et E. Le nombre de figures est donc de 11. Soit Onze milieux de résonance différents. Le résultat d'une jonction se dilue dans ces milieux.

Le nombre de cultures possibles pour l'Humanité est de 11, car, même à supposer qu'il faille plus de quatre facteurs, un cinquième seulement, le système devient si instable que la possibilité supplémentaire exprimée par le nouveau facteur tendra à éliminer par incompatibilité l'expression des autres dans les deux premières catégories. Il ne restera que les couplages où l'adjonction d'un facteur accroîtra l'instabilité (deux contre trois) et cela correspond sans doute à des périodes de trouble ou de révolution. Ces facteurs servent à décrire l'infinité de relations qui existent dans un système et sont identiques aux solutions des équations différentielles typiques de tout système : le système va vers plus ou moins l'infini ; il tend vers zéro ; il bifurque entre deux solutions ; il s'autorégule par une constante. Ces quatre solutions d'évolution sont les quatre paramètres qui mesurent certes moins des évolutions de quantité que des propriétés potentielles, des tendances vers une limite.

1.2.4 On ne saurait, cependant, donner pour facteurs à une culture ceux qui président à une religion parce que les perspectives ne sont pas les mêmes. Comme une culture emprunte souvent certains de ses traits à une religion, se pose la question des rapports entre différents lieux de résonance qu'il faut aborder moins comme une relation de partie à tout que comme l'existence de "chambres" parallèles et de "couloirs" d'accès. L'exacte superposition entre une culture et une religion, observable en certaines sociétés, à des moments donnés, traduit surtout une incapacité de propagation de l'une comme de l'autre. Au lieu de devenir culturel et religieux, un effet de jonction n'est plus que culturel ou religieux, perdant un effet de résonance ou une conséquence. Sa dilution n'accède pas à un milieu différent de son origine. Dans des sociétés laïcisées, l'incapacité de cet effet à devenir "religieux" le prive également d'un devenir.

Avant de désigner les facteurs propres à ce type de milieu qu'est une culture, répondons à la question de savoir parmi les onze figures autorisées celles qui sont les plus propices à résonner. Certaines favorisent-elles la naissance de jonctions et leurs propagations ? Une jonction est un rapport entre un "émis" et un "amas", entre une intention et une rétention, parfois entre un désir et un composé arrêté. Nous ne disons pas que forcément deux personnes sont requises et affrontent leurs intentionnalités car une seule personne peut suffire mais que l'émission comme la rétention se trouvent dans une géométrie si particulière que leur échange produit un espace qui les déborde. Nous aimons cette image : si nous nous situons à la perpendiculaire d'une ligne droite, nous ne verrons que la section extrémale de cette droite, à savoir un point ; que notre plan bascule un peu (et qu'un autre plan parallèlement recueille la ligne), alors la vision de la ligne est donnée. Il faut donc que les lieux de résonance permettent des mouvements de plan pour générer et porter les jonctions.

Or, les trois cas de figure ne sont pas directement éligibles parce que toutes trois immobilisent : a) le choix d'un facteur poussé à la limite distend l'espace de résonance ou l'oriente vers une seule et unique direction ; b) le choix d'un facteur fédérateur maintenant les trois autres facteurs dans une juste proportion est typique d'une régulation qui impose un équilibre, qui, une fois trouvé, demeure ; c) le choix de couples oppositionnels, outre qu'il aboutit à des cassures (une sorte de schizophrénie, de schisme), campe sur des positions figées, peu à même d'un mouvement (hormis le cas où le système se transforme par un saut qualitatif pour éviter la disparition). Ce qui va donc permettre un mouvement de plan, c'est le passage d'un cas de figure à l'autre.

D'abord un facteur-limite abandonne sa primauté pour un autre ; un principe fédérateur laisse ce rôle à un autre ; un couple oppositionnel fait place à un autre. Ce sont des mouvements internes et continus.

Ensuite un facteur-limite devient un facteur fédérateur, et vice versa ; un facteur-limite ou fédérateur s'adjoint un autre facteur pour fonder une opposition à un autre couple comme un couple oppositionnel se défait au profit d'un facteur-limite ou fédérateur. Ce sont ces passages qui comptent parce que cela correspond à une dynamique plus forte (inversion, formation de potentiels), ils sont au nombre de six.

1.2.5 Les cultures, les religions, tout milieu, qui optent pour ces six passages sont plus aptes aux propagations. On s'interroge alors sur les conditions qui poussent un système à changer d'organisation, on considère qu'il tend vers un seuil qui l'oblige à un passage soit par un mouvement interne (le système ne reçoit aucun apport extérieur, son accomplissement entropique ou exponentiel l'engage dans des dimensions nouvelles, des changements d'état) soit par suite d'un contact avec un autre milieu (attraction, échange, fusion). Une religion interfère avec une culture, une politique, ou un mode de production, soit deux systèmes entrent en contact. Pour survivre, le système peut opérer un passage, ou adopter un dispositif. Mais il ne faut pas confondre ce qui ressort des 11 figures possibles du fait des 6 passages : adopter une nouvelle configuration ou passer d'un mode d'organisation à un autre. L'avantage avec les 6 passages est de modifier une structuration et non d'adopter une nouvelle stratégie ponctuelle. Un facteur-limite devient un facteur-fédérateur, une structuration est en cause ; un facteur-fédérateur est remplacé par un autre facteur-fédérateur, une adaptation a lieu. Une structuration agit sur une idée plus fortement, et c'est en ce sens qu'il y a une propagation meilleure : l'idée est apte à passer d'un milieu à un autre, elle assure donc une double survie, elle est opérationnelle dans deux milieux très différents.

L'exemple est à prendre dans le christianisme. Il lui a fallu "passer aux barbares", lorsque quittant le monde romain (système rationnel et efficace), il a opté pour Clovis et devenir un système imaginaire et émotif (monde médiéval) ; il lui fallu passer à la rationalité cartésienne, après des siècles de scolastique (équilibre des facteurs) et choisir la dominante rationnelle ; il lui a fallu passer au XIXème s. d'une rationalité efficace à l'acceptation d'un dualisme laissant place à l'imaginaire et à l'émotivité (avec le romantisme restaurateur), sachant que ces tendances s'opposaient et nécessitent l'invention de nouveaux liens (le dogme de l'Immaculée Conception y souscrit, par exemple) ; il lui a fallu, dans le XXème s. tourmenté, passer de ce dualisme vers l'affirmation d'une néo-transcendance basée sur une efficacité (intervenir dans le monde au nom de l'être humain comme totalité sacrée). Ces passages ne sont pas qu'adaptations à des pressions extérieures (dans ce cas, il aurait suffi de changer de facteur, ce qui se produit aussi) mais de réelles modifications dans le corps même de l'idée promulguée. L'adaptabilité ne peut se confondre avec la mutation dont la vertu est une meilleure propagation, par colonisation de milieux très divers. Mais cet exemple est grossier. A une "macro-echologie" doit s'ajouter une "micro-échologie" prenant en compte ordres religieux, sectes, églises, qui sont autant de milieux spécifiques ayant le choix entre adaptation ou passage. Périodes pour une solution, périodes pour l'autre, périodes de double tendance. Domaine de l'historien auquel nous donnons un cadre conceptuel d'analyse. Ces milieux sont autant de chambres de résonance où l'effet d'une jonction, une jonction ne se perdent pas.

1.2.6 Parfois un rêve nocturne a une telle présence que l'on assiste à ce que peut un milieu traversé : à la faiblesse du fait retenu s'oppose la force que le lieu résonnant réussit à lui donner. La dilution, loin d'y être une diminution, y est une invasion ; on y réquisitionne le ban et l'arrière-ban de souvenirs et d'intérêts et de préoccupations. Cela met devant deux considérations : a) la multiplicité d'échos possibles dans un lieu de résonance renvoie à des "oscillateurs" qui régulent et organisent ces multiples émissions (moins pour les générer que pour les accorder à leur milieu) ; le résultat des jonctions en subit les contraintes ; b) l'intelligibilité d'un projet divin créant le monde tient à l'existence de jonctions (une sorte de grâce accordée à ceux qui en connaissent et pour les autres une autre sorte d'influence parce que les jonctions ont des effets) ; leurs traces sont sans cesse et immédiatement balayées par les lieux de résonance que fabrique l'homme ; la question de l'optimalité d'un lieu de résonance s'impose : quel lieu est le meilleur pour les jonctions, pour une résonance maximale ?

Ces deux considérations sont liées : à l'intérieur d'un lieu de résonance (c'est-à-dire un milieu quel qu'il soit : religieux, culturel, scientifique, juridique…) des régulateurs spécifiques à ce milieu modulent les effets des jonctions ; leur qualité dépend d'une clarté donnée par une analyse métaphysique.
Proposition B : Les produits (idées, événements…) d'un lieu de résonance sont les variables de fonctions organisationnelles de ce lieu ; ces fonctions se réalisent et s'expriment grâce à ces multiples variables ou approximations. Un milieu est organisé autour d'une fonction (sorte d'attracteur). L'entrée d'un résultat de jonction laisse à espérer qu'il sera pris en charge et préservé, qu'il en sera la meilleure approximation mais sait-on comment cela a lieu ?

II- Des cinq oscillateurs au sein de tout lieu de résonance :

2.1 Nous avons idée pour cela de considérer le rêve et d'en narrer un tout odysséen. Il n'y a pas de début dans un rêve, car avant même de deviner toute présence humaine, le rêve m'impose cette pensée : " se souviennent-elles de ces deux voyageurs venus camper il y a maintenant trente ans ?" Elles nous entourent, elles nous entouraient, enfants et adolescentes. Il n'y a pas échange de regard dans un rêve, car le regard n'a pas pour origine l'œilcomme source unique (absence de centre, vision périphérique). C'est une côte septentrionale, océane, avec un soleil déjà couché dont il ne reste que la lumière diffuse. L'eau clapote sur les rochers bruns, tout se dore d'un vernis rouille. Il y a exemplification dans un rêve, l'échantillon (les galets battus par un peu d'eau) renseigne sur l'ensemble (la côte, le pays, le moment). S'élèvent leurs petits cris de surprise, s'exprime leur joie par leur cercle et des pas de danse ; leurs sourires sont doux et, bien qu'elles ne parlent pas, leurs "paroles" sont : " vous venez de si loin ; bientôt vous partirez ; nous ne saurons plus rien du monde. " Toutes disparaissent, rentrant chez elles, nous allons être seuls sur les chemins qui les emportent. L'espace du rêve est, certes, élastique mais directionnel : il est fait de plans vectorisés superposés ou croisés donnant l'illusion du mouvement. Nous entendons encore leurs cris, nous entendons leur émoi et leur doux sourire, ce qu'elles diront entre elles, mais surtout cette pensée du rêve : " vous souvenez-vous encore de moi, de lui, ou mieux, vous rappelez-vous votre ancien émoi, aujourd'hui ?" Car vous saviez que nous partirions. Il y a dans le rêve naissance de symétries : couplages d'intentions interchangeables, de temporalités, de perceptions conjointes vers une unification. Dans ce rêve s'exprime un souvenir mais de plus le réveil a laissé un souvenir de ce rêve comme si la nature du rêve permettait la mémorisation.

Nous maintenons que le rêve illustre le fonctionnement d'un lieu de résonance et nous enseigne analogiquement. Nous ne dirons rien de l'interprétation dont les systèmes sont souvent une codification. Seule la connaissance du fonctionnement d'un lieu de résonance (premier par rapport à leur intervention) nous semble utile.

2.2 Dotons pour le moment le lieu de résonance de cette seule finalité "réaliser sa résonance", si bien que toute "entrée" acceptée subit des pressions pour que l'élément introduit entre en résonance. Le rêve est un milieu passager qui se renouvelle de rêve en rêve : ce milieu ne tend pas à la conservation ni à la stabilité ; une fois créé, il s'évanouit. Mais demeurent des fonctions prêtes à renouveler l'expérience, à agiter un milieu momentané, à imposer leurs vibrations. Ces fonctions sont organisationnelles d'un milieu. Nous ne traitons pas de la composition d'un lieu de résonance, où, avec quatre facteurs, on en dénombre onze types, et six passages (certainement dus aux jonctions et à la rencontre de deux lieux de résonance) en délimitent les meilleurs. Mais, par l'étude du rêve comme lieu de résonance, dont les facteurs sont ici ignorés, par commodité, (chaque lieu a les siens, que le spécialiste doit détecter), nous espérons répondre au fonctionnement de tous les lieux de résonance. On en tire déjà cette idée qu'ils ne sont pas toujours activés : si une culture est un lieu de résonance, comme le rêve qui est momentané, elle peut être inactive ; seul un élément déclencheur en réveille les fonctions. Lorsqu'une jonction se produit, son résultat peut donc jouer ce rôle. Réveil de potentialités et mise en action.

De plus, il faut répondre à ces questions : a) quel bénéfice tire le lieu de résonance des "entrées" qu'il fait résonner ? b) combien d'oscillateurs existent par lieu de résonance ? c) les oscillateurs sont-ils les mêmes dans chaque lieu de résonance ? d) comment le système détecte-t-il les "entrées" à rejeter de celles à retenir ? e) les oscillateurs sont-ils consonants ou indépendants les uns par rapport aux autres?

2.2.1 Réponses premières pour b et d.

Nous arrivons dans un lieu avec des intentions et des intérêts qui, pris en charge, vont être modulés par les différents oscillateurs présents. Un lieu de résonance est régulé par des oscillateurs. Ainsi, dans le rêve, une intention centrale est saisie : une inquiétude d'abandon et d'oubli. Le rêve y répond grâce à un oscillateur, celui du souvenir qui autorise une identité maintenue. Un détecteur (ou oscillateur) existe donc qui, à ce type de souci, laisse entrer le souvenir d'un voyage et prépare des oscillateurs à l'amplifier et à le déployer, comme à le préserver. Un pré-accord semble exister, assurant aux entrées une meilleure résonance selon le lieu où elles arrivent.

Posons plusieurs intentions congruentes ou conflictuelles : le nombre d'oscillateurs dépend moins de leur nombre que de la nécessité de les fragmenter en unités adaptées puisqu'il s'agit d'amplifier ces intentions. Dans ce rêve il n'y a qu'une intention : en la divisant par deux oscillateurs on obtient une amplification suffisante : (premier oscillateur) le souvenir d'elles est-il partagé parleur souvenir de moi ? ; (second oscillateur) les objets perçus comme des galets et des chemins sont à la fois des parties et le tout (par eux l'on se sait sur une côte au couchant). S'il y a plusieurs intentions assez proches, trois oscillateurs suffisent parce que le système se dote d'une instance tierce (sorte de point triple) qui peut toujours agir comme solution de liaison et de régulation (les deux autres oscillateurs prenant en charge les différences et les regroupant). S'il y en a plusieurs, conflictuelles, cinq oscillateurs sont nécessaires pour que l'une des oppositions l'emporte (trois oscillateurs contre deux) ; chaque opposition sera fragmentée par deux oscillateurs (mode d'amplification) ; le troisième donne l'avantage à l'une. Il s'agit, dans chaque cas, de fabriquer une unité de résonance qui a pour mérite de répondre et de faire connaître une idée (un fait ou un phénomène), telle une jonction.

2.2.2 Réponses pour a.

Le système récepteur y gagne de s'essayer à de nouvelles variables comme s'il cherchait la variable qui l'exprimerait entièrement. En ce sens, en dépit de réticences complexes, un système cherche moins à réagir à une proposition extérieure (pour la rejeter ou la modifier) qu'à découvrir ce qu'il pourrait devenir en l'adoptant, en quoi elle pourrait le servir (ses oscillateurs sont des détecteurs, fiables ou non, dont les vibrations couplées seront la véritable cause des erreurs). Il n'empêche qu'une fonction organisationnelle cherche naturellement à s'incarner et à se dévoiler. C'est ce que nous postulons et ce qui permettrait de comprendre l'intérêt d'un lieu de résonance à résonner et le "coloris" qu'il donne aux faits qu'il traite. Tout système est à la fois une organisation interne produite par un potentiel attractif (les oscillateurs sont une manière de signaler son dynamisme) et une série de relations avec d'autres systèmes. Mais il faut ajouter à ce descriptif le fait que le système tente de créer ou d'assimiler des phénomènes, de les propager, de façon à atteindre une "aire" idéale d'une stabilité suffisante pour ne plus disparaître. Chaque essai tenté tient donc de ce triple aspect : capturer des faits étrangers ou non ; les faire siens et uniques ; les imposer tels qu'ils sont devenus aux autres comme signe d'un meilleur traitement. Le but poursuivi est utilitaire, marqué par une indifférence aux faits eux-mêmes : il s'agit pour le milieu de s'accroître, de se manifester, de survivre, de trouver le "Fait" qui rend justice à sa vision du monde de façon absolue et indiscutable.

Exemple : longtemps des faits mythiques sont demeurés incohérents jusqu'à ce qu'ils soient saisis dans une grille interprétative (un lieu de résonance). Lorsque Draupadî, l'héroïne du Mahâbhârata, épouse cinq hommes, il faut attendre la lecture dumézilienne pour comprendre qu'à l'égal de la Royauté qui s'établit sur trois fonctions, Draupadî est recherchée par cinq époux répartis selon les trois fonctions. Le fait était saisi dans des systèmes qui ne lui donnaient pas sa valeur : on le jugeait scandaleux pour la morale, ou ethnologiquement synonyme de polyandrie, historiquement pré-aryen… La découverte dumézilienne est une jonction qui s'impose dans un milieu (celui de l'Histoire des mentalités). Elle entre en relation avec d'autres découvertes propres à ce milieu. Si ce milieu adopte la découverte dumézilienne, c'est pour y trouver de quoi s'amplifier. Cela amène à aussi à cette considération : peut-on recenser tous les faits qui ne sont pas arrivés dans le bon milieu ou qui attendent la formation du milieu adéquat ? Quelle jonction va donc les saisir pour les véhiculer dans le lieu de leur réelle résonance ?

L'aire d'un système (lieu de résonance, milieu spécifié) correspond au nombre et à la diversité des faits qu'il peut interpréter, mais aussi au nombre de milieux où il est admis et usité. Seul un travail d'historien peut donc la dire. Le métaphysicien se contente de détecter si le système a trouvé les variables qui l'expriment le mieux et en disent la perfection atteinte.

2.2.3 Réponse pour c.

On pose la question de la nature des oscillateurs et on admet qu'ils sont les mêmes dans tout milieu afin que d'un milieu à un autre des échanges soient possibles. Ces oscillateurs animent un milieu, ils ne servent à le particulariser (seuls les quatre facteurs propres à tout système ou milieu le peuvent), ils se constituent avec tout système comme moyen de le rendre opérationnel ; chaque "entrée" est saisie par ces oscillateurs qui la décomposent ou dialysent en sous-unités fractionnées susceptibles de se teinter de l'influence du milieu, comme un son s'entend autrement si l'air est sec ou humide, si les parois sont en pierre ou en feutre.

2.3.1 Parmi les cinq oscillateurs, tout système a d'abord besoin d'un oscillateur qui "symétrise" l'entrée, qui la double et dédouble. C'est le premier traitement que subit l'entrée, qui l'amplifie et la proportionnalise à son nouveau milieu. L'idée (événement, jonction…) traversée par un axe de symétrie devient accessible sur deux versants. Aucun fait dans la nature ne saurait se priver de cela, à savoir acquérir une forme aux symétries même partielles. On en a moins conscience quant aux productions intellectuelles ou immatérielles. Une idée devient une entité dotée de deux versants comme l'Etre et l'existence, l'étant et le devenir, le particulier et l'universel, la constante et l'événement, etc. Une jonction peut s'actualiser dans une intention particulière et une simple intention se doter d'une participation à une essence, à une jonction. Une symétrie se compose dans tous ces cas. Il y a , pour la même entrée, une double ingression : aller vers l'abstrait, aller vers le concret. Elle est saisie à la fois dans le réseau des abstractions du milieu et dans le tissu des concrétudes, selon deux modes qui se répondent et en livrent deux aspects. Cela lui donne sa première résonance. Comme les oscillateurs sont des détecteurs filtrant les arrivées, la double ingression vérifie l'intérêt de l'entrée pour le milieu : on en voit l'étendue (le spectre d'usage). Toutes les entrées ne sont pas des jonctions ou leurs effets mais, en ce qui nous concerne, une jonction entrant dans un milieu est symétrisée : elle reste universelle mais elle s'incarne dans le particulier.

Exemple : le cœur qui palpite à l'idée de rencontrer quelque jeune et belle personne est un fait qui s'analyse ainsi : le désir trouve sa raison ou son accroissement dans l'existence d'une des cinq jonctions. On imagine un enveloppement, une paralysie, un retournement, un déploiement, un bouleversement ; on croit les reconnaître, on se sent pousser des ailes, l'oscillateur produit cette vibration palpitante. Mais il y adjoint des circonstances et des intentions particulières, une sorte de double concret de l'idéalisation qui s'est manifestée. Il y a double ingression, et donc symétrie car l'intention se dédouble vers l'idéalisation et vers l'actualisation, en quantité quasi égale, en échos parallèles. Sa boucle de cheveux et ce mouvement de spirale qui en signale la beauté (etpar là la jonction d'enveloppement) se répondent.

2.3.2 Le deuxième oscillateur amplifie une idée en la rabattant sur une dynamique lente, alors qu'elle arrive portée par une dynamique rapide. L'oscillateur opère la projection. C'est un "traducteur", à la façon dont notre mémoire transfère des données présentes dans un espace régi par des processus séquencés. Ce faisant, l'oscillateur augmente l'impact de l'idée (nous disons idée mais il s'agit aussi de jonction ou de son effet) puisqu'une dilatation de ses unités (les séquences sont plus étendues) se produit : entre a et b, la dynamique lente s'installe ; a et b sont étirés. En cela, il ne diffère pas de la mémoire qui réduit parfois ou agrandit la taille d'un événement. L'oscillateur est traduction, dilatant ou compactant. un milieu se dote d'un tel oscillateur qui le protège en adaptant au système et à ses catégories (séquences) ce qui peut l'être de l'idée. Un effet de jonction, par exemple révolutionnaire, est conformée à une dynamique spécifique qui l'engrange et l'incrémente en certains endroits. il y perd souvent de sa différence, il y gagne d la pérennité. Toute entrée dans le système est animée d'une certitude ; celle de son importance ; et d'une assurance : celle de sa vérité. En quoi elle bénéficie d'une dynamique rapide mais pour éviter un rejet total, qui nuirait au système (cherchant toujours à essayer une nouvelle variable) l'oscillateur en traduit les intensités en des extensions, ou pour parler différemment, les différences en une rhétorique. Une intensité est une série qui tend vers une limite, une extension est une progression sans fin, comme une différence est géométriquement un contour et une rhétorique une suite de procédés où se dilue la différence. En ce sens, l'oscillateur propage l'idée, sa dynamique lente transforme une originalité invisible car non reconnaissable en une nouveauté visible, reconnaissable et disséminée.

Exemple : Un air de musique écrit pour un instrument est parfois transformé en air de concert. Ce changement est dû à l'adoption d'une rythmique qui donne à l'air une force persuasive. Le compositeur amplifie l'air, l'organise comme un peuplement de l'espace sonore en fonction d'un genre musical reconnu (opéra, symphonie, quartet…). Il le distend par rapport aux séquences de ces formes artistiques (deux dynamiques se recouvrent). Mais si l'on prend une idée, lui adjoindre une rhétorique a le même effet : on l'inscrit dans les images et us de penser propres à un milieu culturel en insistant sur sa conformité à l'ensemble. Toute traduction cherche à reproportionnaliser un phénomène. Un oscillateur guide cette amplification.

2.3.3 Le troisième oscillateur transforme l'effet de jonction en une histoire. Cette historisation de l'entrée est faite, là encore, pour lui donner de l'ampleur résonante parce que, pour construire un récit, on utilise l'universel qu'est le schéma actantiel. Les six actants (sujet; objet ; adjuvant ; opposant ; destinataire ; destinateur) surgissent autour de l'idée si bien que s'agencent d'autres faits et que s'anime et se rend accessible l'idée en cause. Tout récit a ce pouvoir de rendre accessible et mémorisable ce qui peut ne pas l'être. Une dramatisation s'opère entre adjuvants (facteurs favorables à l'idée) et opposants (le contraire) ; une téléologie se forme (une instance supérieure rend nécessaire l'apparition de l'idée et la finalise) grâce aux actants destinateur et destinataire ; des subjectivités comme des applications sont possibles (sujet et objet). On a trop souvent négligé le pouvoir du récit dans la diffusion d'une idée. La prégnance du mythe nous rappellerait, s'il le faut, ce qu'il en est.

Exemple : L'"arbitraire du langage" est la notion clef de la linguistique mais son acceptation a une histoire : un cours brûlé par son auteur F. de Saussure, reconstruit par ses élèves, le mystère de sa conception (pourquoi ne pas vouloir publier ce cours ?), etc. L'historisation joue en faveur de l'idée à propager, non qu'il faille la voir comme l'introduction de la "petite histoire" mais comme l'histoire de l'idée : réticences, but poursuivi, quête d'un secret (le langage, ce don divin, peut-il être dû au hasard?) Ce serait nier que Dieu a nommé les choses pour qu'elles soient, c'est aussi l'aveu d'une impuissance à expliquer. L'enjeu idéologique devient une narration, empruntant à la vie intellectuelle de F. de Saussure, à sa vie réelle, à une symbolique, à des silences…

2.3.4 Le quatrième oscillateur opère comme un échantillonneur, à savoir qu'il ne saisit pas l'idée comme un tout mais comme une partie qu'il place dans un ensemble. Quelque chose de plus ample la saisit qu'elle illustre et vérifie. L'oscillateur essaie cette opération auprès de plusieurs ensembles. L'idée devient alors échantillon possédant les qualités d'un ensemble plus grand. Au lieu d'être une unité compréhensive (intégrant, expliquant, associant, divers aspects), elle devient une valeur saturant une fonction, ou pour parler autrement, elle est saisie et rangée dans un cadre, point de départ à une extrapolation, exemple pour une interrogation, porte ouverte sur une perspective et surtout consolidation d'une représentation admise dans ce milieu. L'oscillateur capte cette entrée nouvelle et l'affecte à des vibrations qu'il utilise déjà, en sorte que l'entrée est prise dans des mouvements étrangers qui favorisent son énucléose : on lui retire sa capacité de coordonner des faits, on la loge au sein de régulations coordonnant d'autres idées. Cependant, l'oscillateur tente de lui faire une place, de la confronter à des rivales, de façon aléatoire, d'abord parce qu'elle appartient à un groupe d'idées voisines dont elle profite, ensuite parce qu'elle se produit au milieu de tant d'autres en même temps, enfin parce qu'elle s'officialise ainsi. L'idée doit s'agencer au moins à deux autres domaines d'activités pour réussir, ou deux classes d'âge. Il reste qu'ainsi l'oscillateur assure sa diffusion.

2.3.5 Le cinquième oscillateur est un mimétiseur, c'est-à-dire que l'entrée devient une mode contre laquelle il est vain de vouloir lutter tant sa force d'attraction est grande. L'oscillateur fabrique cette mode, en faisant de l'idée l'étalon d'après quoi tout mesurer, en pliant toutes les données du milieu vers une imitation. Nous ne savons pourquoi l'oscillateur choisit telle entrée (certainement pour unifier des données disparates que son milieu a accumulées en trop grand nombre et qui sont inactives). Il se produit qu'une idée a pour destin de devenir une mode et nous devons savoir le traitement subi. Or tout devient mimétique, comme si des cercles concentriques autour de l'entrée s'ordonnaient l'entrée étant devenue elle-même un cercle. Une mode s'auto-alimente, s'auto-suffit, et l'oscillateur est apte à donner ce mouvement général. Que chacun imite l'étalon, et voici que chacin l'imite. L'entrée est transformée par ce traitement : elle est étalon pouvant se figer en règle ou devenir un écran occultant toute autre entrée. Une norme se met en place, cohérente et dialectique (des sous-ensembles secrètement peuvent s'y opposer ; d'autres plus anciens servir de repoussoirs ou de faire-valoir). La diffusion de l'idée est évidente, affectée par cette transformation "circulaire".

2.3.6 Bilan : Ces cinq oscillateurs (symétriseur, traducteur, historiciseur, échantillonneur, mimétiseur) suffisent à tous les milieux et leur sont communs. Ces deux propositions peuvent paraître arbitraires sauf si l'on considère, non pas comment un milieu se constitue ni comment il se perpétue, mais comment il sert à l'expression d'une fonction organisationnelle (une spécification d'évènements pouvant se produire). Cette fonction a besoin d'essayer des variables (jusqu'à trouver celle qui lui va le mieux), et pour ce faire, les oscillateurs sont ses moyens de tester les limites qu'autorise une solution (une idée, une "entrée", une jonction). On voit trop un milieu comme un ensemble de règles le conservant, l'immunisant, alors qu'il est organisé par un évènement novateur. S'il est lieu de résonance, avant tout, c'est-à-dire expression de quelque nouveauté, il faut se dire qu'il tendra à la diffuser parce qu'elle apporte une solution qui peut convenir à des milieux similaires. Mais tout apport extérieur nécessite qu'il se dote d'oscillateur (détecteurs et testeurs de compatibilité) dont le rôle ne se limite pas à trier l'utile de l'inutile mais aussi à propager ce qui lui convient : l'entrée y gagne le bénéfice d'être amplifiée.

Rappelons que si quatre paramètres suffisent à prouver l'existence d'un milieu (sans que nous soyons à même de dire encore comment ils s'assemblent) c'est parce que ce sont les quatre solutions de tout système : tendre vers l'infini, tendre vers zéro, bifurquer, établir des constantes. Nous avons pu l'illustrer par le cas d'un système religieux où Rationnel, Imaginaire, Efficacité, et Emotivité sont repérables : par le Rationnel on tend vers zéro, à savoir l'absolu indicible (la Divinité) ou le nirvâna bouddhiste ; par l'Imaginaire, on tend vers l'infini (fabrication incessante de possibilités d'incarnation du sacré) ; par l'Efficacité, on se trouve à des carrefours, des modifications progressives ou brutales de la réalité (on se tourne ou détourne de certaines parties du monde, on veut en changer la réalité) ; par l'Emotivité, on tend vers une participation de tout l'être, plan qui est toujours présent chez l'homme à l'égal d'une constante. Mais cela vaut pour tout système, même plus prosaïque, comme celui des garçons-coiffeurs, des directeurs financiers ou d'un club philanthropique : un infini se dégage, celui d'une activité inépuisable ; la justification quant aux finalités est impossible, d'où cela tend vers un indéfinissable (zéro) ; certaines rituels sont typiques de l'émotionnel ; le système génère des sélections de réalité.

A l'intérieur de tels milieux, nous étudions comment une idée les traversant, les transforme en lieu de résonance. C'est parce qu'elle y trouve des oscillateurs prêts à l'amplifier, qui ne sont pas là pour elle, mais qui sont là pour tester de la compatibilité possible entre la fonction organisationnelle du milieu et les idées. Le milieu les essaie comme moyen de valoriser son organisation, comme différents vêtements endossés cernent une personnalité avec plus ou moins de bonheur.

Pour tester la validité d'une idée, le milieu, quant à son propre intérêt, a besoin de mesurer l'impact de cette idée jusque dans ses conséquences. Il se sert alors des oscillateurs qui ont pour rôle direct ou indirect d'amplifier les idées. En amplifiant, défauts et qualités apparaissent mieux. Même si elle doit être rejetée, l'idée profite de telles vibrations. En ce sens, nous pouvons penser que, puisque tous les milieux ont intérêt à amplifier, les oscillateurs sont les mêmes, quel que soit le milieu concerné. Le milieu devient toujours un lieu de résonance.

2.3.7 Plusieurs événements ou idées se présentent dans un lieu de résonance. Des oscillateurs sont libres, d'autres déjà en action. Des oscillateurs vont se coupler. Comprenons aussi que les idées ne sont pas de même nature : certaines sont des jonctions, d'autres des effets de jonction, d'autres enfin plus communes et dues à des rencontres.

Attachons nous à l'effet de jonction. Un effet de jonction a pour conséquence de remplacer l'espace extérieur et de servir d'"écran" à des intentions (émis) ; ce faisant, il peut se produire qu'une jonction se recrée entre l'effet de jonction (substitut d'un espace extérieur) et émis d'un espace intérieur. Et cela peut se répéter jusqu'à ce que les quatre jonctions aient eu lieu. Il s'ensuit que dans ces cas, les oscillateurs n'interviennent pas ou peu. Mais dans les cas plus communs, où l'effet de jonction s'introduit, ils sont nécessaires pour l'amplifier et l'on comprend qu'ils remplacent les jonctions en puissance. Aux cinq jonctions correspondent les cinq oscillateurs (d'où leur nombre). Ces derniers en les diffusant vont permettre de faire prendre connaissance de l'existence des effets de jonction, et surtout des jonctions (ces courbures particulières d'un espace intérieur et d'un espace extérieur qui s'illustrent par l'éblouissement d'un chemin de Dams, la fascination d'un Perceval devant trois gouttes de sang sur la neige, la douceur enveloppante de Mme de Rênal, etc.)? Cette propagation peut amener quelqu'un à orienter ses espaces de façon à faire naître des jonctions. L'oscillateur possède un art de la vibration qui favorise la propagation.

2.3.8 On ajoutera que chaque milieu cherche à connaître les cinq jonctions parce que sa fonction organisationnelle testant les valeurs qui lui vont le mieux est attirée par la puissance d'une jonction, l'occasion qu'elle offre de changer d'échelle, de se doter d'une validité universelle (la jonction est à l'œuvre ergodiquement). L'oscillateur qui détecte les entrées est aussi un préparateur de leur venue si bien qu'une correspondance peut s'établir entre jonctions et oscillateurs :

Jonction Oscillateur
Jp revêtement Historiciseur
Jq transfiguration Traducteur
Jr revirement Symétriseur
Js effleurement Echantillonneur
Jt incrustation Mimétiseur

L'art des oscillateurs est d'amener des jonctions à entrer en résonance avec un milieu dans le but de servir un foyer d'organisation. Les refus qui se produisent à l'égard d'une jonction (ou d'un effet de jonction) sont certainement liés au fait que les oscillateurs sont "occupés", annulent leur action par de mauvais couplages entre eux de leurs activités, par des oppositions entre milieux différents. Mais l'oscillateur est en grande partie le premier capteur sensible d'une jonction puisqu'il y va du sort du milieu.

Exemple : Reprise de tous les énoncés : le rêve sert de contrôle. C'est un milieu et lieu de résonance. Ses quatre paramètres sont à démêler comme des tendances. Certains rêves nous font assister à des métamorphoses, à des processus de transformation, à des échanges de régime : l'instabilité des aspects (le tohu-bohu) est une constante. D'autres sont énigmatiques en soi, c'est-à-dire affirment qu'ils posent une énigme, comme s'il y avait une réflexivité, une conscience du rêve (ce n'est pas tant au réveil que nous ne comprenons pas mais nous avons vu au cours du rêve qu'une énigme se développe : tendance à être un seuil, une bifurcation, une ambiguïté (comme cette capacité à faire et à se voir faire en même temps). D'autres sont un cheminement qui n'aboutit pas, un effort à faire rendu impossible, une fuite nécessaire où le fugitif est paralysé : on reconnaît la tendance qui va vers zéro, celle qui a un terme insaisissable, celle de la fascination. D'autres, enfin, ne sont que gradations ou dégradations, chutes vertigineuses ou ascensions, enfilades de pièces et couloirs, cercles concentriques, soit une tendance vers l'infini qui correspond à une accélération ou à un sur-dimensionnement, tendance vers la répétition et la série.

Soit ces quatre paramètres propres au milieu du rêve : I ou instabilité, A ou ambiguïté, F ou fascination, R ou répétition.

Selon, donc, la tendance qui l'emporte au détriment des trois autres, on obtient déjà quatre types de rêves. Selon qu'un facteur fédérateur maintient les trois autres dans une proportion où ils co-existent, cela fait quatre autres types. Enfin, si deux facteurs forment un couple et s'opposent aux deux autres, trois autres types se créent. Les onze types sont là.

L'histoire de Joseph dans la Bible comporte cinq rêves. Ce sont des rêves simples où un paramètre l'emporte sur les autres qui deviennent inexistants. Joseph est "l'homme aux songes" : en prison, il interprète deux rêves de ses deux compagnons (l'un ,l'échanson, rêve d'un cep de vigne qui produit en abondance du raisin qu'il presse dans une coupe du pharaon - c'est un rêve de paramètre I ou instabilité des choses ; le second, panetier, rêve de corbeilles de gâteaux posées sur une tête et que dévorent des oiseaux - rêve de paramètre III , fascination et immobilisation du rêveur). Le troisième rêve est celui du pharaon qui voit monter du Nil sept vaches grasses, puis sept maigres qui les dévorent (variante: sept épis de blé pleins engloutis par sept grêles). C'est un rêve de paramètre II où le rêve avoue qu'il est énigmatique au cours du rêve même.

Joseph, dès sa jeunesse, prête attention aux rêves, celui où dans les champs sa gerbe se dresse au milieu des gerbes de ses frères, celui où le soleil et la lune et onze étoiles se prosternent devant lui. rêves de paramètre IV fondées sur la répétition d'un schème avec insistance.

Ces rêves ne font pas intervenir les sept autres types. L'interprétation donnée par Joseph est l'intrusion d'une jonction au sein d'un milieu de résonance : telle est notre thèse.

Joseph a dû très tôt connaître l'expérience d'une jonction, celle du revirement (soulèvement sur soi des deux espaces, formation d'un tiers potentiel, d'une métastabilité : une structure abstraite s'impose comme table de lois). On peut le tirer de deux songes de la gerbe et des luminaires : une gerbe vaut pour un amas (espace extérieur fait d'accumulations) ; les luminaires sont des émis (rayonnements) ; tous deux se courbent, se mettent au centre (les deux espaces se courbent sur eux-mêmes ; ce faisant, une coïncidence nouvelle se fait entre eux). Joseph ne désire ni une gloire personnelle ni n'amasse un bien privé ; il établit que Dieu rassemble son peuple et le fédère mais aussi adhère à une loi plus universelle ; il sera juste envers les égyptiens, les sauvera de la famine, quoiqu'ils ne soient pas de leur fratrie. Rien ne l'y obligeait.

La jonction est donc un cadre interprétatif pour les trois songes. Ils reprennent l'essence des deux espaces : un désir émis (une vigne qui fleurit),un réceptacle pour des amas (la coupe) ; des douceurs amassées (corbeilles) et des désirs offerts (les oiseaux qui picorent) ; des vaches en troupeaux (amas) et des épis de blé (émis : cf. semailles). Joseph voit de plus que ces espaces se courbent sur eux-mêmes : image de la coupe, de la corbeille, des vaches engloutissant (l'une recouvre l'autre). Il lui reste à déterminer l'espace, intermédiaire entre ces deux espaces ; espace momentané, lié à la courbure des espaces, et qui l'invite à s'orienter vers des limites temporelles ("dans trois jours.. sept ans de prospérité…). Espace de remise en cause des données : au bonheur succède le malheur, libération d'un prisonnier, condamnation de l'autre ; ce que l'on croit amassé ne l'est pas assez (les vaches grasses ne nourrissent pas les vaches maigres : il faudra créer des greniers). Espace métastable, de transformation immédiate, qui accroît la gloire du Pharaon : il peut nourrir son peuple, il achète des terres, impose ses taxes et commande du travail. Une nouvelle loi de pouvoir se montre : plus économique. Ce qui rendait l'interprétation des magiciens difficile, nous ne le savons plus. Celle de Joseph paraît si simple que nous ne voyons plus sa lumière. Mais elle est lumineuse grâce à la jonction employée.

2.4.1 Réponse pour e.

Consonance des oscillateurs en situation imaginative mais indépendance des oscillateurs en des milieux courants. Les oscillateurs et les milieux sont des fabrications humaines, chambres d'échos évidemment imparfaites pour les jonctions dont la teneur est plus exceptionnelle, voire divine. Pourtant les jonctions trouvent à s'y implanter, leurs effets y ont un impact. longtemps nous avons été déçus par le fait que parler d'oscillateurs et de milieu ne permettaient pas d'autre pensée qu'une vague réflexion historique sur les cultures, et non une métaphysique. Nous allons pouvoir montrer comment l'influence divine inclusse dans la jonction (cette sorte de grâce) est enfin accessible et réelle si un décalage se crée. Il faut envisager maintenant non plus comment les oscillateurs prennent ou non en charge une jonction mais comment une jonction détourne certains événements agités par les oscillateurs. Constituons le dispositif de l'expérience.

Ce que nous imaginons suit sa propre vitesse, nous nous transposons sans mal dans ce qui sera et pourrait être, tandis que l'enchaînement des faits qui se produisent possède une autre vitesse et une autre direction. Nous sommes dans l'obligation de corriger ces routes divergentes, puis d'adapter leurs vitesses, de souligner leur écart. Alors au lieu de prendre le factuel comme mesure (ceci s'est produit ainsi"), adoptons la voie imaginative comme repère : "voici ce que j'attends". Elle sera l'aune à quoi mesurer le reste. De quoi est-elle faite ? Car tout son travail, une fois lancée au loin l'image de ce qui sera, est d'agréger tout autour d'autre images plus détaillées, sans jamais cependant combler le gouffre qui sépare le lieu et place où l'on est du lieu et place où l'on imagine que l'on sera. L'on peut railler les grands imaginatifs qui passent d'un rêve à un autre et sont déçus ou désavoués, mais ce qui importe plus, est de savoir comment cette voie imaginative débordant le réel se constitue et quelles propriétés elle possède, parce qu'elle permet l'effet optimum de la résonance ; non contrainte par les restrictions physiques, elle donne aux oscillateurs toute leur ampleur possible. L'étudier c'est choisir d'évincer des conditions restrictives, comme d'observer dans un milieu où le vide est fait.

La force imaginative fonctionne dans un milieu comme une raréfaction de ses éléments, de façon à assurer une propagation sans heurt ni déperdition. Il ne s'agit pas de vider complètement la milieu mais de le raréfier. Et pourtant un peuplement fictif a lieu, fantasmatique et abondant, dont le propre n'est justement pas une égale répartition de la propagation. Cette force élimine ce qui la contrarie ; c'est pour cette raison que nous parlons de raréfaction ; mais aussi l'idée que nous nous faisons d'une situation future montre à l'évidence une accumulation autour de ce moment à venir.

Ce que nous désirons savoir, c'est le comportement des jonctions, de leurs effets, des oscillateurs : et pour cela nous nous plaçons dans un milieu libéré par une force imaginative de ces réticences naturelles contradictoires, dans un milieu où tout se passe comme nous le voulons, nous nous demandons aussi si un tel milieu est optimal comme lieu de résonance.

2.4.2 Dire que la réalité est en soi une propagation n'est pas un pré-supposé. Que cela soit l'énergie, la vie, les échanges moléculaires ou atomiques, on observe une propagation non-finalisée, chaotique. La jonction apporte une direction qui dévoile une nouvelle partie où se propager est possible, des confins et des sur-proximités où des flux se forment et s'organisent. On ne dit pas que cette direction a une finalité, on soutient qu'elle ouvre des lieux de propagation. La jonction, en tant que force propagatrice coopère sans doute à ce qui existe.

Exemple : un homme vient de passer un entretien d'embauche. il imagine sa réussite, sa nomination à un poste plus élevé que le sien, son déménagement et de nouvelles personnes qu'il rencontrera, là-bas, là-haut, enfin. Au fur et à mesure, il "se voit avec" et il ré-ordonne sa vie ; il la peuple de lieux, de phrases, de plaisirs, d'efforts. Le réel immédiat est oublié ; il agrège autour d'un noyau fictif ses fictions ; entre les deux états, un gouffre. Ce milieu imaginaire qu'il se construit a donc un mode de propagation particulier. Chacun se dit qu'il "se fait des histoires", qu'il transfère des éléments réels sur un plan an-historique, qu'il inverse et dédouble (il a ce qu'il n'a pas, faisant apparaître ce qui lui manque et veut garder et il reprend ce qu'il a), faisant re-germer ce qu'il possède, qu'il part d'un détail pour rêver, qu'il imite ce qu'il croit bien. On reconnaît là l'emploi des cinq oscillateurs qui travaillent tout milieu et font résonner un événement mais on ne sait pourquoi leurs effets conjoints aboutissent à cette résonance cumulative. Tendance propre à l'imaginaire puisque l'obsession où règne la folie en est une illustration particulière. A partir d'un certain seuil, une alerte se produit chez cet homme qui redistribue son attention. il revient à sa situation présente.

III- Action des jonctions sur les milieux :

3.0 Rappel : La jonction est reconnue par l'oscillateur qui lui correspond mais une fois mise en vibration, elle devient un espace extérieur ou écran contre lequel les émissions d'un espace intérieur peuvent se diriger et générer d'autres jonctions. Un effet, ainsi, se crée et se propage. Ce qui semble différencier un milieu imaginaire (voire celui de la folie) d'un milieu moins homogène, c'est le fait que les oscillateurs ne travaillent pas tous dans le même sens et que les propagations ne s'accumulent pas en un nœud.

Un peuple attend - et tout son imaginaire est fait de cette attente - la venue d'un Messie. Des signes se sont montrés ; ce peuple croit que sa venue modifiera de fond en comble sa réalité. Autour de ce point, beaucoup s'accumule. Un homme, en raison d'une jonction propage, dans ce milieu d'attente, un Evénement (prophétie, réforme religieuse, vision,…). Une jonction pénètre ce milieu. Quelque chose d'ici répond à quelque chose de là-bas. Un plan supérieur, comme lors d'une parabole, se déploie, tend à se déployer. Or on sait que tout milieu, même réfractaire, possède des oscillateurs dont la nature est de reconnaître dans la jonction l'avantage d'amplifier les vibrations. Les Hébreux, les Mayas, les Portugais ont eu de tels milieux d'attente. L'homme porteur d'une jonction vient de l'extérieur. A ce stade-là, comprendre en choisissant un milieu clos comment une amplification se fait, revient à dire que la densité augmente (le nombre de ses particules, pourrait-on dire) parce que la jonction, en tant que nouveau continuum les apporte avec son entrée. Mais si le milieu imaginaire accumule en un endroit toutes les rêveries, dans un milieu hétérogène, des points attractifs s'instaurent, selon une répartition égale ou conflictuelle. Enfin cela revient à dire que le milieu peut s'élargir, s'ouvrir à un autre, éclater. En ces trois sens (densité, répartition, ouverture), l'on peut constater que le milieu se re-dynamise, et s'oriente vers l'extérieur.

3.1 Cependant, rien ne paraît distinguer une jonction ou ses effets, d'une simple rencontre, ou de ce seuil qui ramène un rêveur à plus de réalité et à détruire l'amas imaginé. En effet, une rencontre agit dans un milieu clos comme une destruction ; elle anéantit cette construction parce qu'elle émane d'un milieu toujours plus puissant (choc du réel), et dans un milieu non-clos où des modifications incessantes ont lieu et où les oscillateurs se saisissent d'apports variés, sans trop les accumuler au même endroit, elle s'ajoute à ces altérations ponctuelles. A la différence, la jonction ne détruit pas le milieu clos, elle l'élargit avant de le faire éclater parfois : elle prend en charge les émis et les amas et les ré-interprète., leur donne une puissance universelle, les hausse à un autre niveau. Sa nature est de donner un autre versant à ce qui est là, et non de l'évincer et de le concurrencer. Et il en sera de même dans un milieu non-clos, avec cette particularité supplémentaire de se servir des entrées incessantes pour asseoir son règne. La force d'une jonction ne saurait se satisfaire de pénétrer un milieu. Nous partons sur l'idée qu'elle fabrique un espace sur lequel les éléments d'un milieu sont amenés à se projeter. C'est ce que nous démontrerons.

3.1.1 Un premier phénomène est possible : celui du couplage qui veut qu'à tel élément du milieu puisse correspondre l'espace d'une jonction. Ceci est plus qu'il n'y paraît, ceci est cela qui est plus ample. Ceci a deux assises sur deux plans ; là où l'on le voyait unique, ceci est le produit de deux instances. Deux formes de couplage se forment qui corrigent l'erreur d'illusion donnant à croire à un phénomène simple. La première établit que ceci se retrouve divisé en deux endroits différents et qu'il faut rétablir son unité séparée pour quelque compréhension ; la seconde établit que ceci est le produit de deux instances et que loin d'avoir une unité, il y a projection de ces instances qui se superposent en ceci (il faut donc rendre à César et à Dieu ce qui leur revient respectivement). Le couplage permet une meilleure fluidité, sa "supraconductivité" est évidente puisqu'elle rend homogènes les éléments d'un milieu. La jonction doit donc être dotée de cette propriété : elle opère des couplages.

3.1.2 Qu'advient-il des oscillateurs au sein d'un milieu qui subit un couplage ? Prenons toujours le cas d'un milieu clos (imaginaire, par exemple). Dans un tel milieu, les désirs (émis) et les pensées (amas) s'agrègent en un nœud. L'entrée de la jonction, perçue par les oscillateurs déjà occupés, se traduit par l'adjonction d'une autre sorte d'espace. Utilisons l'image d'un miroir ou d'une frise tendue autour de la sphère, en haut, en bas, sur ses flancs. Cela crée une direction au lieu d'une circularité (le nœud de l'espace clos). C'est le souci d'une densité plus égale et homogène. Or, ne pouvant détacher les éléments de cette résonance circulaire, - la jonction diffère en cela des entrées extérieures (rencontres) qu'elle n'interrompt en rien mais s'immisce et soutient le processus en cours - , la jonction déploie des "identités remarquables" (des formules) où les éléments ont leur place pour fonctionner autrement. Un double mouvement existe : amas compact et désordonné, frise étalonnant et organisée. L'organisation de l'espace génère une autre représentation d'un dynamisme plus ample avec lequel l'autre n'a pas à rivaliser puisqu'on se met à son service, même si des réticences dues à la densité agrégée ralentissent l'adhésion.

Une frise autour d'une sphère. Un ruban autour d'un agrégat. Un point pris sur la sphère sera reporté sur ce ruban au quadruple pan ((haut, bas, flanc gauche et droit) ou bien quatre ponts apparentés (voisins) seront projetés sur un point de la sphère. Des couplages sont en cause. En fait, un pan du ruban touche tangentiellement la sphère, et comme il est aussi les trois autres, le point de contact a une image sur les autres pans du ruban qui se tiennent séparés de la sphère et font ainsi leur rôle de propagateurs (le point saisi sur ces autres plans). La jonction double ainsi la pauvreté du réel de la puissance de sa révélation (Platon a eu raison de le penser). Elle ne peut se manifester que si elle accepte de prendre en charge tout le réel d'un milieu, à la manière dont une théorie se doit de tenir compte de tous les faits accumulés et contradictoires dont elle éclaire et structure les relations. C'est pourquoi l'image de ce ruban dont un pli avoisine l'agrégat, est correcte et explicative. Le fait saisi sur la sphère bénéficie du couplage propre aux quatre plis du ruban.

3.1.3 Il convient de définir la nature des couplages. Il s'agit de strates par lesquelles la réalité piégée dans le cas d'un agrégat entretenu par les oscillateurs trouve un moyen de s'échapper. Considérons l'impact d'une théorie qui devient référence explicative (c'est-à-dire que des éléments sont extraits d'une précédente unité de sens pour être disposés le long du déploiement nouveau de la théorie) ; on peut dire qu'ainsi la réalité retrouve sa vraie nature de se propager en un cadre plus large ou plus fin. Il faut distinguer les conditions matérielles qui font que la théorie s'impose socialement (prix, diffusion…) de ce mouvement de réajustement et de propagation des éléments qui est antérieur à tout succès social. Il faudrait parler, au regard du terme de "référence" (ce à quoi on s'accorde) d'"éférence" au sens de "sortie" et d'"envol" (nouveau déploiement). Autant la référence est de l'ordre de l'épaisseur (constitution de preuves et de corpus), autant l'éférence tient de l'écoulement (voyage des éléments dans un autre lieu). Rappelons qu'il faut distinguer "matérialité" de "réalité", comme quantification de ce qui pourrait se nommer "apparution" au sens d'apparaître, de se montrer et d'aller vers une surface par un déplacement, là où l'apparition se manifeste par-dessus les choses et s'y surimpose. C'est pourquoi l'éférence aboutit à l'existence d'une enveloppe propre à une implantation d'un élément extrait.

La jonction (ou son effet) pénétrant dans un milieu clos est vue comme un espace (un ruban) enveloppant la sphère compacte créée par les oscillateurs. Il suffit qu'un élément de la sphère puisse avoir un répondant dans l'espace de la jonction pour que cet espace joue son rôle d'extraire cet élément loin de la force des oscillateurs et de le propager le long de son ruban. Nous simulons cela par un contact : le ruban touche la sphère. Or le ruban est fait de vecteurs parallèles, de lignes de force qui se chargent d'emmener cet élément en le déformant, de lui donner une autre image (le point est projeté sur un plan qui le fait devenir une droite, un sommet de volume, une double arête, etc.). Ces plans sont au nombre de quatre puisqu'ils entourent la sphère : deux sur les côtés, un en haut, un en bas. Le plan extracteur de l'élément peut suffire, comme il peut se coupler à un des trois autres, voire aux trois. Il peut extraire deux éléments ou plus et les unifier sur son propre plan ou sur un des trois autres. Tel est le moyen de donner un autre sens à des éléments confinés dans la sphère .

3.1.4 La jonction fabrique un nouveau continuum et parler de ses quatre plans, c'est dire comment se fabrique ce continuum, quel qu'il soit. A ce stade du raisonnement, tout un chacun peut se dire que parler de ruban, de sphère, d'oscillateurs tient d'un jeu intellectuel fictif. Où sont-ils ? Qui les vérifiera ? Par tel ou tel exemple donnons leur au moins le rôle d'un dispositif explicatif. Ensuite, nous verrons que loin d'être une métaphore, le discours désigne des propriétés certaines.

Quand Perceval contemple les trois gouttes de sang sur la neige et ne peut s'en extraire, la jonction qui a lieu aura un pouvoir propagatif sur toute sa vie. Elle pénètre, en outre, le milieu clos des chevaliers arturiens et les réoriente dans leurs quêtes. Perceval a reconnu dans cet ensemble (les cygnes, la neige, les gouttes de sang) une image de celle qu'il aime.L'amour courtois élaboré par Lancelot trouve alors une autre dimension : il ne s'agit plus seulement de spiritualiser une passion mais aussi de l'inscrire sur un plan événementiel. Des régimes différents (régime animal des cygnes, régime de la neige au matin, régime psychique du chevalier), ordinairement séparés, sont, en cette occasion, en accord, fondant un continuum traductible l'un en l'autre (que nous nommerons charisme). La jonction fabrique quatre sortes de continuum (en conformité aux quatre plans s'enroulant autour de la sphère).

3.2.1 Le premier continuum est le plan charismatique : les éléments ont un sens parce qu'ils peuvent s'exposer en plusieurs langues, en plusieurs régimes, de plusieurs façons. Une fonction translatrice les note et les code, et ce faisant les rend plus abstraits car compatibles à plusieurs lieux de la pensée. Un phénomène translaté en langue mathématique obtient le charisme qui le rend intellibible. on se souvient qu'un oscillateur a une fonction traductrice qui intègre la nouveauté de la jonction pour l'usage du milieu. ici, la translation travaille à l'envers : elle extrait ce qui vaut la peine et le rend compatible à d'autres systèmes. Mais le plan charismatique ne se décline pas qu'avec la mathématique, il possède d'autres modes ayant le même effet "pentecostien" , d'ancrage dans une universalité (supérieure car transmissible). Tout fait ne peut bénéficier de ce charisme qu'apporte la jonction mais le fait extrait par la jonction bénéficie de cette translation multiple : sur plusieurs niveaux, dans plusieurs directions, avec plusieurs gradients d'intensité. Il est normal d penser que toute jonction fabrique un plan charismatique parce que l'expérience qu'elle exprime est déjà en soi charismatique, une traduction en une autre langue de ce qui se produit. Elle accorde à d'autres faits la vertu qui l'a constituée mais comme les jonctions sont au nombre de cinq, il y a donc cinq charismes en cause, cinq intelligibilités possibles (revêtement, transfiguration, revirement, effleurement, incrustation). C'est pourquoi les passages à l'universel sont au nombre de cinq, les intelligibilités différentes par nature, les systèmes de translation symbolique non-identiques.

La langue mathématique, par exemple, paraît appartenir à la jonction "revirement" ayant la tâche d'être énergétique et structurale , de dire un mouvement et un état. Le passage de l'oral à l'écrit est une translation de l'ordre du revêtement (englobement). Celui du corps à l'esprit appartient à une transfiguration (surdimensionnement d'une partie). Celui de la sensation au sentiment fait appel à l'effleurement. Celui de l'individuel au collectif est une incrustation créant une arborescence ou des échelles pour passer d'un niveau à l'autre. D'autres exemples sont possibles.

3.2.2 Le deuxième continuum apporté par la jonction est le plan métaphorico-analogique qui diffère du plan charismatique en ce qu'il y a moins une relation de sublimation (vous pourrez dire ceci en une autre langue, vous pourrez faire que la parole guérit le corps) qu'une relation d'équivalence amplifiante. Les éléments a,b,c sont rapprochés de A, B, C. Les liaisons entre a,b,c ressemblent à celles entre A,B,C, mais selon un mode agrandi. Rien n'est plus étonnant que cette propriété de l'esprit humain de rapprocher et d'établir une égalité. On amène un morceau de réel à ressembler à un autre, on oblige ces deux morceaux à perdre quelque chose d'eux pour permettre l'identité, mais aussi on invente une solution de continuité entre des phénomènes disjoints. La jonction a cette faculté au plus haut degré puisqu'elle est un ré-agencement des données entre espace intérieur et espace extérieur, entre"émis" et "amas". Des rapports nouveaux se forment. Elle offre un plan d'accélération des rapprochements. Une analogie, une métaphore permettent une fluidité retrouvée : là les catégories délimitent, le relevé d'une similitude accorde un passage, livre des continuités, transpose. Cela a souvent été dit, avec justesse. Mais, de plus, le plan offert exerce un contrôle précieux dans l'analogie ou l'égalité de façon à ce que tout ne ressemble pas à n'importe quoi. Chaque jonction a son type de plan d'analogie qui lie les éléments selon une logique stricte ou une méthode. Il s'agit de rapporter les éléments extraits aux éléments symboliques de la jonction.

Si Paul de Tarse a connu une révélation sur le chemin de Damas (jonction de l'ordre de l'incrustation, semblable à l'irrigation de l'éclair), l'élément symbolique en est les mystères de la Lumière, ce qui se cache et apparaît soudain. Quand il dira aux Athéniens qu'il a vu une stèle dédiée au dieu inconnu (deo ignoto) et que ce dieu est le Christ, comment ne pas comprendre que cette analogie est contrôlée sur le plan de la jonction? Que ce qui se cache sous cette appellation a un autre visage lumineux ?Qu'une révélation en appelle une autre où l'aveuglement prépare à l'illumination ? En ce sens, le plan de la jonction sélectionne les analogies, exerce un contrôle. Tout n'est pas identifiable à n'importe quoi. Il y aura des analogies réversibles (jonction du revêtement), des analogies métonymiques (jonction de la transfiguration : la partie a valeur de totalité), des analogies de l'emboîtement (jonction du revirement : l'extérieur est l'intérieur d'un extérieur supérieur), des analogies de la perspective (jonction de l'effleurement : les éléments se ressemblent selon un angle de visée), des analogies de l'opposition (jonction de l'incrustation : la différence seule est comparable). Cela donne une idée du pouvoir des analogies au sein de l'intellect. Munie de ce plan, la jonction opère sur le fait extrait une transformation souvent radicale.

3.2.3 Un troisième plan préparée par la jonction parce que capable de créer du continuum, est le plan de la nécessité ou de la divisibilité. Tout phénomène pour s'étendre et se propager doit pouvoir être concaténé, divisé, itéré. Il faut une règle qui le rende reproductible à plusieurs échelles (du microscopique au macroscopique) qui lui assure une existence nécessaire. Une nécessité le fait se multiplier, l'enchaîne à des causes et des conséquences, permet de dire qu'aux mêmes causes on a les mêmes effets ou que les causes sont les effets de causes antérieures. La jonction se présente comme une expérience exceptionnelle ayant le pouvoir d'orienter un processus : un hasard s'est mué en une nécessité. Une loi s'applique : rien n'est plus comme avant. Il se crée donc un plan orienté, ordonné par le souvenir de la jonction, qui cherche à se répéter (itération d'une suite : a,b,c de la jonction trouve des séries identiques à coller à la sienne) et à s'affiner (entre a et b il y aura place à a1, 2, 3 b1, 2, 3 c 1, 2, 3 ). Un continuum s'impose. Une continuité se génère (qu'elle soit arithmétique, psychologique ou intellectuelle). Ces continuités sont en relation avec les cinq jonctions : la jonction "revêtement" (Jp) crée du présent (succession d'instants particuliers).

Le bonheur trouvé par J. Sorel auprès de Mme de Rénal fait de ces trois phases - une peur respective, une surprise mutuelle, un commun aveu - se reproduit en d'autres situations selon les mêmes trois phases : quand il ose lui prendre la main et quand elle ; quand ils continuent de parler sans que rien ne transparaisse de leurs troubles ; quand il reprend cette main et la retire garde avec son consentement. C'est un temps pur de passé et d'avenir, profondément un présent. Ce qui a lieu dans la jonction se retrouve à un autre niveau, et ainsi se propage dans toutes les fissures possibles. D'autres scènes ont ces trois phases et le même effet de fabriquer un présent hors du temps. On rappellera que chaque jonction a sa temporalité : le revêtement fonde des présents ; la transfiguration des résultatifs ; le revirement des futurs ; l'effleurement des optatifs ; l'incrustation un datif. En fait, ce sont des continuités ayant une loi de divisibilité. Le temps est ainsi doté d'une stabilité et d'une régularité nouvelles parce qu'un "tissage" spécial entre éléments proportionnellement à leur degré d'être est effectué.

3.2.4 Le quatrième continuum est le plan des substitutions complices. De toute sa surface partent des impulsions parallèles et compensatoires. Surface sensible émettant des trajectoires. l'ensemble des départs de trajectoires forme ce continuum réactif qui n'est réactif que pour poser l'existence d'un fort potentiel unificateur et exerçant un contrôle. Il ressemble à la mémoire qui a la capacité de faire cohabiter des tendances contraires : en situation de dilemmenous pouvons être partagés entre deux intentions très prégnantes ; grâce à la rétrospective (à l'instar du langage aussi), le dilemme apparaît comme un dilemme et non plus comme une urgence vitale (le langage écarte le réel de notre perception : évoquer le loup ne signifie pas la présence du loup mais rassemble des comportements possibles face au loup). Or ce fort potentiel n'est pas une remémoration ni une spéculation même s'il en a les qualités, mais un détournement temporel : la durée d'une peur va avec la peur ; ici, cette durée est affectée à d'autres intérêts. C'est-à-dire, par compensation, le plan développe en durée une pulsion rivale, la fait partir en même temps. Cela donne à celui qui vit une situation réelle , une assurance évidente, il sait qu'une répartie existe, relativisant son émoi.

Mais cela ne saurait suffire. Ce potentiel intervient également dans des cas de théorie objective dont l'origine partirait d'une jonction. Cette théorie (ou autre façon de voir) va attribuer de la durée à un fait parallèle : ce qui prend du temps pour exister et qui est lié à un fait va être affecté à un autre fait. La consistance temporelle passe de l'un à l'autre. C'est le fait extrait qui fait les frais de l'opération, sans que cela l'anéantisse : il devient point de repère, là où d'autres trajectoires le remplacent. il n'a plus de devenir.

Sur les îles Galapagos, Ch. Darwin, au cours d'une halte du Beagle, découvre que les espèces animales n'y ont pas évolué comme sur le reste du continent sud américain parce que la sélection naturelle qui privilégie les mutations compétitives n'a pas eu à jouer dans cet éco-système protégé. Les espèces ont pu rester ce qu'elles étaient, avec de légères variantes d'une île à l'autre (les pinsons, par exemple). Dans l'histoire de l'évolution, les tortues des Galapagos sont hors-temps : ce fait est extrait d'une histoire constituée et on se projette sur un plan où ces formes ante diluviennes se transforment selon une autre vitesse, plus lente. Le devenir rapide est affecté à d'autres mais cela ne peut se faire que si le fait "Galapagos" est extrait de la sphère du transformisme lamarckien qui identifie l'accord entre une espèce et son milieu et que si ce même fait est immobilisé (du temps lui est retiré). On remarquera que la comparaison entre les deux plans (Galapagos/ Continent) sont du même ordre (il s'agit des espèces vivantes) , qu'il n'y a donc pas un saut sur un autre plan comme cela s'effectue avec le plan métaphorico-analogique.

Si le fait extrait se trouve détemporalisé, et non relativisé, et non minimisé, il acquiert l'importance d'un problème qui possède ses solutions. Il est l'énigme, il possède les valeurs et la richesse de l'énigmaticité, paradoxalement parce que l'on possède les clefs pour la dénouer temporellement. En ce sens, la jonction joue bien son rôle d'amplifier et de propager, non pas le fait extrait mais les solutions qu'il porte avec lui, les trajectoires parallèles qu'il révèle sans en être la source. On a du mal à penser qu'un événement soit capital s'il n'est pas la cause d'événements. ici, il est important comme différentiel : il est l'infime variation qui signale une variable au sein d'un ensemble qu'on ne verrait pas sinon. Or, c'est cet ensemble qui compte et qui prend alors toute sa valeur.

Paul de Tarse fait voile vers Rome. il y a 276 personnes à bord. La tempête les saisit entre la Crète et Malte et ils font naufrage au 14ème jour à proximité de Malte. Paul les a avertis de ne pas s'embarquer en cette saison, puis de ne pas désespérer pendant la tempête, enfin de s'alimenter juste avant de s'échouer. Pendant la nuit, un ange lui est apparu, l'assurant qu'il irait bien à Rome et donc que les passagers seraient sauvés. En débarquant, il ramasse du bois sec et une vipère s'attache à sa main : il la jette au feu. Le père du "premier de l'île" est malade : Paul le guérit ainsi que d'autres malades (Actes des Apôtres- 27).

Analyse : le milieu de la peur est un milieu clos ; Paul représente l'entrée de la jonction (rappelé par la vue de l'ange durant la nuit : lumière au sein des ténèbres). Ce qui frappe c'est son calme et son assurance. La peur n'y a pas de durée, des trajectoires la remplacent : se substanter pour survivre, ne pas affoler la vipère pour ne pas être piqué, guérir pour se faire accepter, partir pour Rome. La peur est immobilisée à chaque instant par un autre projet mais de même nature. Il ne s'agit pas de substituer une préoccupation par une autre (comme l'on dit : "cela te fera penser à autre chose") mais de placer la peur dans un ensemble où elle existe et a sa place. Elle est ce point obscur sans temporalité (lié à la mort où tout s'arrête) immobilisé dans sa densité inutilisable, extraite de sa sphère d'influence et placé sur un plan d'où partent des trajectoires vitales (ce qui soutient la vie, la guérit, l'encourage) d'autant plus fortes que la peur est confinée (comme interdite de propagation par ces trajectoires). Les deux faits (peur et peur substituée) sont de même nature : tous ces hommes sauvés, témoins ou guéris, seront saisis de surprise : la peur de mourir face à l'effroi du sacré. Un ensemble s'est constitué dont la peur est une variable (la force de la croyance lui est inversement proportionnelle).

3.2.5 Que savons-nous des jonctions maintenant ? Elles ou leurs effets reçoivent un écho grâce à des oscillateurs mais aussi agissent sur le milieu dont ils extraient des faits pour leur donner plus d'ampleur et de sens. Une ontologie se dégage peu à peu, faite de tout ce qui se propage, non par la rumeur et les milieux matériels, mais par l'émergence d'un ensemble dilutoire dont la vérité se fonde sur la transcendance des jonctions. Ces cinq dispositions spatiales que sont les jonctions sont comme les cinq volumes platoniciens : leur limitation les installe dans un absolu, leur participation dans le monde des expériences les livre à l'utilisation et à la nécessité. Mais la jonction (ou son effet) libère des faits de leur adhérence, les rend saillants, et aide à les propager. Elle est moins une essence qui dégrade qu'une substance agissante.

C'est pourquoi rien n'interdit de penser que les plans qu'elle fonde ne puissent se coupler entre eux, de façon à complexifier la dilution, ou plutôt comprenons la complexité obtenue par leur action.

IV- Couplage des plans par des fonctions :

4.0.1 Rappel 1 : il est compréhensible que la jonction en extrayant un fait le rapporte à un ou à deux ou à trois ou aux quatre plans du "ruban" , si bien que le fait "consonne" sur ces plans, mais si la jonction l'emporte, une inversion se produit : les plans, ayant une consonance obligatoire, vu leur commune origine, forment un produit qui est le fait. C'est grâce aux plans qu'il apparaît et existe, sans eux on le croirait simple alors qu'il est complexe, sans eux il serait une illusion compacte, avec eux, il s'explique. son opacité est vaincue, il est un résultat.

Les quatre plans se répondent entre eux, par deux, par trois, par quatre, de façon à amplifier le fait et à propager ce qu'apporte la jonction trouvant dans le fait un exemple, un symbole, une force. Pour donner une idée de l'importance du phénomène, il faut se dire que les cinq jonctions (omettons pour l'heure les effets de jonction) donnent chacun une spécification aux quatre plans et que rien n'empêche de penser que l'on n'extrait pas plus d'un fait. Ainsi, pour une jonction déterminée et pour un seul fait, le couplage par deux donne six associations, par trois, quatre associations, par quatre, une association. Soit un total de onze. Cela explique, une fois de plus, les nombreuses façons opératoires des jonctions, leurs nombreuses voies d'action.

Mais ce calcul est moins important que la notion de "superposition". Les faits sont pris pour des entités homogènes ou pour des unités aux causalités multiples. S'il s'agit de faits émis (désirs exprimés, par exemple), on remarque que le sujet projetant son désir se place au centre d'une scène fictive qui rattache le fait à une source psychique et prive le fait de toute autonomie : le fait garde cette unité de satisfaire pleinement celui qui l'émet, il disparaît une fois la source disparue, à la façon de ces mondes surgissant du nombril de Vishnu. On peut se demander si l'on aurait moins de déception si l'on savait dans notre désir ne plus se placer au centre, mais occuper une place annexe. De même, on peut se dire qu'accorder aux faits tant de force et de vérité (nous en faisons notre seul objectif) est une manière de les exclure de notre entendement. Ainsi, soit on les attache trop à notre désir, soit on les relègue trop loin de notre raison. La jonction aura pour effet d'effectuer un partage plus équitable, plus réel en fait, moins par invention d'une position moyenne que par superposition.

La jonction nous paraît provoquer, dans le traitement de ses quatre plans concernant le fait extrait, un accident d'alternance : le fait perd de sa stabilité (il est extrait) pour être placé sur "une ligne de crête" (il bascule d'un lieu à l'autre). Cette alternance peut être simple, double, triple, quadruple, selon qu'un seul plan le saisit, ou une paire, un trio, un quarteron. En quoi il ne sera plus un fait mais une propriété. Il n'est plus un état de choses mais une façon d'être qui vaut pour d'autres éléments, une Forme en laquelle peuvent se mouler et prendre tournure des événements particuliers. Métaphoriquement il était un "fruit", il devient une "saveur". Le passage du fait sur les plans que crée la jonction (le "ruban" autour d'un milieu) en est la raison. Sur chacun de ces plans, il devient plus "immatériel".

Dire Forme rappelle ce que l'on disait d'une civilisation qui possédait une propriété organisationnelle qui essayait ses vibrations. Un fait est à l'origine de cette Forme : une Civilisation, une Culture s'agrège autour d'un fait réel ou non : une bataille, un baptême, un meurtre… ; l'intervention d'une jonction projette le fait sur les plans créés et transforme le fait en une fonction ou principe organisationnelle (ou Forme) ; cette Forme a un champ d'action (en ce sens elle est une force qui organise un espace géographique, imaginaire, intellectuel, elle est une Forme agissante). En tant que Forme agissante, nous pensons qu'elle teste ce qu'elle peut, jusqu'où elle peut avoir une influence, combien d'aventures et de faits elle peut organiser pour leur donner un sens et une visibilité. Au lieu de penser qu'une Histoire est ce que subit une forme d'organisation, on aura intérêt à considérer qu'une Forme devant x faits y voit l'occasion d'agrandir son champ d'expérience, sa capacité de manœuvre, ses ressources, comme si elle les utilisait dans le but de définir le fait qui l'aidera le mieux à s'accomplir selon son principe d'organisation. Ce que peut une démocratie, ce que peut une république, ce que peut une monarchie, une société de consommation, jusqu'où répondent-ils…

4.0.2 Rappel 2 : le fait est extrait par une jonction. Se superposent deux strates : l'une ouvrant la voie à des agrandissements (le fait reçoit d'une jonction de quoi l'amplifier), l'autre permettant d'unifier des éléments épars (cadre de la Forme) On reconnaît là la construction des concepts : à partir d'un fait concret, s'exprime une capacité générale, un concept. Mais il existe un passage entre l'état concret et l'état conceptuel, ou si l'on voit autrement, un super-état qui les superpose au point que l'un ou l'autre en vienne à être occulté. C'est ce qui se produit quand le fait émis ou le fait amassé sont si présents qu'ils nous placent en position fixe, paralysant notre attention (nous nous mettons au centre - cf. 4.0.1). Nous sommes trop au centre ou trop sur la touche. Alors, le travail de la jonction réside par ses couplages à redonner au fait sa double nature, de construire une superposition d'un plan d'amplification et d'un plan fonctionnel.

Les propriétés ou fonctions d'un fait naissent des couplages. Autant les amplifications viennent des quatre plans, autant les couplages définissent les fonctions.

Il faut arriver à expliquer comment la date du 11 novembre 1918 n'est plus un fait historique mais possède une propriété : une trajectoire unifiant des micro-faits s'assemblant autour d'une courbe, une propagation ayant une amplitude maximale et minimale, une fonction saturée par diverses variables, voilà des propriétés à établir. Nous avons parlé de fonction organisationnelle mais d'autres fonctions existent : fonction combinatoire, tensionnelle, stabilisatrice, liminale, hétérotélique…

4.1.1 Proposition 1 : le fait extrait se situe sur un plan d'amplification (charisme, métaphorico-analogie, divisibilité, substitution). Or le travail de la jonction ne s'arrête pas à cette extraction et installation sur un des quatre plans, il fait coopérer ces plans (couplage). Le couplage par deux aboutit à construire une relation entre un plan et un autre ; à chaque place sur un plan correspond une place sur un autre plan. Quand x est sur A, grâce à (f) l'on peut savoir où est y sur B. x est le fait, mais (f) est la propriété qu'acquiert le fait de mettre en relation A et B. Ces mises en relation sont à identifier. La jonction ne se contente pas d'extraire le fait et de le placer sur les quatre plans, elle lui donne le pouvoir de varier et de lier sa variation à un autre continuum. Il faut retenir que le fait varie, que sa variation sur un plan s'accorde d'une variation sur un autre plan d'une "image" du fait, selon une relation. x a une image x' ; le couplage dote x et x' d'une fonction, comme si sur deux planches à dessin, un stylet quand il trace un cercle, traçait sur l'autre planche un carré. Une fonction transforme son mouvement. C'est déjà ainsi que le plan d'amplification se superpose sur ce plan fonctionnel. Cela doit être démontré.

Nous redisons : que le fait soit pris sur le plan d'amplification signifie qu'il subit des augmentations, qu'il varie positivement. Cela donne sur l'autre plan couplé de varier en fonction de ces variations positives, en vertu d'une propriété qui les relie. Cela revient à dire que le fait devient la propriété (son augmentation commande l'évolution sur l'autre plan, il est à l'origine de la variation du second plan). Si, sur un plan, x s'accroît tandis que sur l'autre x' (son image) se divise en trois, cela signifie que x acquiert la propriété de division : c'est parce que x est divisible que les deux plans sont reliables ; l'unité de x n'existerait pas sur un plan si sur l'autre on ne le voyait triple. Telle est la difficulté de devoir considérer x tantôt comme un fait tantôt comme une fonction.

4.1.2 Tableau des couplages :

Jonctions Duo Trio Quarté

Jp revêtement :
Charisme A
Analogie B
Divisibilité C
Substitution D

AB
AC
AD (6)
BC
BD
CD
ABC
ABD
BCD (4)
ACD
ABCD (1)
Jq transfiguration A B C D Idem Idem Idem
Jr revirement A B C D Idem Idem Idem
Js effleurement A B C D Idem Idem Idem
Jt incrustation A B C D Idem Idem Idem
Total 55 30 20 5

 

4.1.3 Il faut comprendre, par exemple, que AB et BC sont des couplages utilisant des fonctions différentes, quel que soit le fait en cause. Qui ne sera pas frappé du travail des jonctions ?

Deo ignoto. Dans les rues d'Athènes, il y a cette stèle dédiée à un dieu inconnu, certainement en raison de la peur d'oublier un dieu qui s'en fâcherait. Saint Paul extrait ce fait de sa gangue et l'identifie, analogiquement, au Christ, mais, ce faisant, il admet qu'au sein du paganisme, l'on a pu être prévenu de la venue du Fils de l'Homme : l'esprit souffle où il veut, parle plusieurs langues (plan du charisme pentecostien). Le fait "deo ignoto" existe sur deux plans (B et A) : analogique, charismatique. Il a une double existence ; il était si compactifié que nul ne voyait sa double origine, qu'il était le produit de A et de B. Quand B place ce fait sur son plan, il l'accroît ; quand le fait est sur A, c'est que le fait relie A à B selon une fonction. Quelle est-elle? Sur A, le "deo ignoto" signifie que dans le passé, dans d'autres civilisations (et non pas seulement en la grecque), il a pu naître une plus ou moins claire conscience du Christ (Loki, Osiris…). Des points de départ sont identifiables si bien que le fait n'est pas cantonnable à ce seul épisode, qu'il est lisible en d'autres faits, qu'il est divisible à l'infini (plan C de la divisibilité). Est-ce fini? Ce fait "deo ignoto" ne s'est pas développé dans ces autres contextes, il est resté au stade de potentialité ou bien il s'est altéré en des actualisations tronquées : il faut le rétablir dans son essence, et lui substituer le fait véritable qui se déploie ailleurs, dans un autre milieu. Le plan D (substitution) est réquisitionné.

Telle est l'étrange leçon où les deux premiers plans A et B se lient par une fonction qui nécessite C et D, comme substrat second, comme contrôle. Cette fonction qui fait naître, nommons-la séminale ou liminale. Le fait est un germe, au seuil d'un développement.

A B nécessite C D. La fonction qui lie A à B prend pour valeurs C et D. Tous les plans ou continua de la jonction sont en action. Le fait extrait est affecté de différentes valeurs (1,2,3,4 ; a,b,c,d…) issues de C et de D pour que la relation entre A et B reçoivent une série de valeurs saturantes adéquates : si "x" sur a est "x+n" sur B, la valeur de x satisfaisant ce rapport est a,b,c,d de D et 1 2 3 4 de C ; quand x vaudra a, x+n sera 1, etc.

4.1.4 Cette règle est à généraliser. Le nombre de fonctions n'est plus de 55 : puisque l'on doit regrouper AB de CD, AC ira avec BD, et AD avec BC (au lieu de 6, on est revenu à 3), et ainsi de suite. Il faut seulement vérifier la réversibilité de l'association : AB-CD vaut-il CD-AB ? Y-a-t-il toujours fonction séminale ou liminale ? Le fait extrait a été retiré se sa gangue qui le paralysait ; placé sur les plans de la jonction il acquiert une force propagatrice mais il faut à cette force des relais, des lieux où s'investir. Les quatre plans ou forces propagatrices ont une puissance imaginaire qui, en se saisissant du fait, en font un objet symbolique. Tout symbole est bien la réunion de deux plans séparés (du concret à l'abstrait ; du singulier au multiple ; de l'informel au formel). La fabrication symbolique n'est donc pas unique mais si AB-CD vaut CD-AB, c'est que leur fabrication du fait en symbole est identique. A (charisme) produit un plan marqué par l'atteinte d'une universalité comme C (divisibilité) ; B (analogie) produit un plan fondé sur l'unicité comme D (substitution). AB travaille dans le même sens que CD. AB se servira des valeurs de CD comme CD se servira des valeurs de AB. Les combinaisons suivantes sont à traiter ; AB-CD ; AC-BD ; AD-BC ; puis ABC-D ; ABD-C ; ACD-B ; BCD-A ; enfin ABCD. Soit 8 fonctions de couplage.

A et C vont vers l'Universel tandis que B et D vont vers l'Unicité.

Exemple : AC-BD : une relation s'établit entre A et C qui a pour valeurs B et D ; cette relation transforme un fait, l'investit d'une force qui se symbolise ; le fait acquiert une propriété ; AC-BD vaut pour BD-AC. il en est de même pour les autres couplages. En effet, le rapport entre Unicité et Universel est le suivant : l'Unicité c'est dire que A=A ; l'Universel c'est de dire que [A=A] dans son ensemble, que cette égalité est générale.

Associer les plans deux par deux correspond à des fonctions différentes de trois par trois : deux par deux, le fait est divisé, réparti en deux endroits ; il peut y avoir une bifurcation, une tension, un effacement (autant de fonctions possibles : séminales (1), tensionnelles (2), suppressives (3)). Avec trois, le fait ne reçoit de valeur que du quatrième plan, il se doit à une stabilisation autour de quelques valeur moyennes, partagées entre trois plans.

Une fonction d'organisation domine, rendant compatibles les transformations du fait sur les trois plans. Organisation par les causes (4), par les fins(5), par la combinatoire (6), par la répétition (7). C'est une telle fonction qui organise une société, une civilisation, elle aussi fabrique du symbolique.

Enfin ABCD, valant pour placer le fait sur quatre les plans de la jonction, doit se comprendre comme un remplacement de la jonction par le fait : le fait prend place de la jonction, au sens où il y adhère si totalement que l'un vaut pour l'autre. Fonction jonctive (8).

4.2.1 Mais ces questions techniques ne doivent pas laisser de côté l'importance de la superposition : le fait extrait paraît simple mais placé les plans couplés, il se révèle au monde comme une illusion, se livre à une ontologie qui le montre composé au moins de deux faits proches. Si ce fait n'était qu'amplifié sur un des quatre plans, il serait de l'ordre d'une mode. Il y a eu superposition et sa vraie nature est d'être le produit de ces plans couplés. Car on pourrait croire que la jonction effectue une transformation du fait en un fait grandiose - ce qui est une façon de voir médiocre - alors que le choix est déjà une preuve de l'importance du fait. La jonction ne s'abat pas sur n'importe quoi, elle voit dans le fait une compactification trompeuse, une densité souveraine. En réalité le fait est double, triple, constitué de ceci et de cela, assemblage ou processus.

Après sa rencontre avec Mme de Rénal, Julien a vécu le trouble d'une jonction ; un espace englobant où les amas enveloppaient d'attention ses émis, où un espace extérieur se courbe sur un espace intérieur et répond à ses demandes. Le jour même de cet événement, il s'impose dans le salon en montrant qu'il peut réciter le Nouveau Testament à n'importe quel endroit du texte.

Le Plan charismatique de la jonction (Jp) ou - A- est en place : Julien omniscient. Le fait extrait, c'est le caractère de Julien (Stendhal étudie des caractères). Plus loin, osant prendre la main de Mme de Rénal ou entrer dans sa chambre, Julien fait référence à son héros: Napoléon. Il substitue ses batailles amoureuses aux batailles guerrières ( Plan D de la substitution). Soit AD ; la fonction qui les couple est une tension (Julien homme de savoir ou homme de passion et d'action ?) ; B et C sont les plans réquisitionnés comme valeurs ou plutôt ici comme couleurs (Le Rouge ou l'Armée ; le Noir ou le Clergé : Action/Savoir). Ce qui se joue avec Julien se joue analogiquement (B) et fragmentairement (C) dans tout le tissu social. Chaque fois qu'il sait (plan A : c'est un calculateur !), sa passion s'accroît (plan D : il veut gagner) : cette double intensité le rend héroïque et différent : trop savoir empêche d'agir, trop de passion aveugle l'esprit, d'ordinaire ; Julien excelle sur les deux plans, il se veut lucide et passionné. Deux femmes l'accapareront qu'il soumettra à ses deux exigences égales en force ; on lui coupera la tête, seul moyen de mettre fin à une tension hors norme. Le fait extrait ou caractère de Julien était bien le produit de deux plans (omniscience et identification), non pas au sens d'une ambivalence mais au sens d'un produit particulier (tout savoir et tout pouvoir ne peuvent co-exister que chez celui qui aime).

Mais souvent, dans de vieux textes mythiques, un personnage est l'assemblage de deux dieux qui ont fusionné. Circé et Calypsô ne sont elles pas une seule et même Sirène ? Il s'est produit qu'une fille d'Atlas est devenue Circé et Calypsô, et aussi les Sirènes. D'un, on est passé à deux, voire trois entités. Si la jonction agit, elle donne d'un fait deux, trois,…images. Autant d'aspect ou visualisation de faits différenciés, jusque là engloutis en un seul aspect. Mais aussi, elle est capable de saisir deux , trois faits et de les assembler, évinçant une disparité et une illusion d'optique.

4.2.2 La superposition s'applique à cette autre possibilité ; la jonction se saisit de deux ou plusieurs faits, et sur ces plans leur donne une unité perdue. Là où l'on croit voir deux faits, la jonction en identifie un seul. Elle extrait donc ces deux faits pour leur redonner l'unité perdue que l'on n'aperçoit pas. Cependant, en les plaçant sur les quatre plans, comment s'obtient l'unité ? Car l'on voyait le fait s'amplifier et se dédoubler quand il faut qu'il s'amplifie en s'associant. Si les deux faits sirènes n'en sont qu'une, ce n'est pas l'une qui s'amplifie au détriment de l'autre, mais une "pré-sirène" (Ur-Siren) qui se manifeste. Les deux sont placées sur un premier plan qui amplifie et l'on dira qu'en les agrandissant, la distance qui les sépare diminue, voire une intersection se forme. L'autre plan couplé par une des fonctions (séminale, tensionnelle…organisationnelle…) traduit la gradation vers l'identification des deux faits, leur unité. Si c'est une fonction de tension, par exemple, l'on dira que les deux faits sont les deux pôles d'un même phénomène ; si c'est une fonction d'organisation par les causes, d'avancer que les causes se ressemblent, que les faits dépendent d'une même cause, etc. Une classe de faits trouve ainsi son unité, la "cueillette" de la jonction ne se résume pas à deux faits. Les faits, investis du pouvoir de la jonction, se symbolisent pareillement, et ils deviennent aussi synonymes d'une propriété, celle de relier grâce à eux, les plans de la jonction selon une des huit fonctions. Un plan amplifie, l'autre montre l'unité se faisant.

Là-dessus il faut pouvoir reconstituer le trajet qui mène aussi de l'unité à la différenciation pour que le phénomène soit saisi entièrement (extraction de faits différenciés : unité reconstruite ; différenciation ré-obtenue). Une fonction les regroupe ou les sépare. Deux plans au moins (voire trois) servent à réduire les faits à leur unité perdue (superposition). Pour qu'ils retrouvent leur apparence double, séparée, il suffit de les renvoyer à la sphère d'attraction d'où ils ont été tirés mais ils gardent de leur séjour sur les plans de la jonction la trace de leur commun partage. Des similitudes partielles, des ressemblances moyennes, des adhérences territoriales demeurent.

L'écoute du motet K222 (Misericordias Domini) composé par Mozart en 1775 fait apparaître un air très connu : "L"Hymne à la joie" de la 9ème symphonie de L. van Beethoven, de date ultérieure. Il est avéré que ce dernier n'a pas eu connaissance du motet de Mozart. Ces deux airs (ou ces deux faits) quand on exclut l'hypothèse du hasard heureux, trouvent leur origine, disent les érudits, dans un chant grégorien "(Agnus Dei"). De ce chant ancien, deux génies de la musique tirent deux airs ressemblants quoique différents. C'est l'air de Beethoven qui l'emporte et par sa célébrité rend le motet de Mozart et le chant grégorien intéressants à la conscience. Mozart et Beethoven ont extrait, tous deux, l'air grégorien et l'ont placé sur les plans de leur jonction respective : le premier l'a à peine développé et en a conservé sa valeur religieuse, l'autre l'a amplifié et quelque peu laïcisé. l'étude des partitions donnerait comment ils ont été amplifiés (plan 1) et à quoi ils ont été liés (plan 2), c'est-à-dire une instrumentation et une harmonie. Ce qui fonde leur ressemblance, outre leur commune origine, c'est d'avoir séjourné sur des plans de jonction. Le même air a été jugé intéressant par deux musiciens et retravaillé. Soit : le même fait extrait, placé sur des plans de jonction. Double similitude : celle du fait et celle d'un ré-emploi. C'est cette seconde ressemblance que l'on oublie et qui nous paraît importante.

Jusque là le fait est sous le coup d'une jonction mais il faut penser qu'il peut être soumis à plusieurs jonctions (il y en a cinq !). Le traitement subi diffère mais il reste que "passer entre les mains" d'une jonction, quelle qu'elle soit, doit laisser des ressemblances entre des faits ayant connu le travail d'une jonction même différente. Ce type de similitude (celle d'avoir été extrait par une jonction et traité par elle) est à étudier.

V- Attraction et décalage :

5.0 C'est comme un souvenir qui ne s'éteint pas ou comme une valeur symbolique qui ne disparaît pas totalement. Le fait a subi une altération qui le marque et cela le rend-il plus vite reconnaissable pour toute jonction ultérieure ? Se peut-il qu'un fait ou un groupe de faits soient saisis par plus d'une jonction ? Se peut-il, enfin, qu'au lieu d'être extraite d'une même sphère attractive (d'un même milieu) la jonction en saisisse dans des milieux différents ? Ces trois questions renvoient non plus à une superposition (les plans successifs d'une jonction et leur couplage) mais à une autre notion capitale, celle de "décalage", parce que chaque jonction a sa temporalité comme les milieux d'où sont extraits les faits sont des régimes de stabilité particuliers. Autant d'indices de réfraction, vu que la pénétration d'un milieu diffère selon le milieu traversé. Ainsi, un fait déjà extrait conserve une "volatilité" plus forte puisqu'il a déjà été extrait (sa réinsertion ne peut être parfaite), qu'un fait jamais extrait. Le placement d'un fait ou d'un groupe de faits sur des plans de jonctions différentes, ne se fait pas à la même allure. Leur extraction diffère aussi (plus vite ici, plus lente là). Mais, somme toute, cela ressemble à ce qui se passe quand une jonction place un fait sur ses plans, lesquels ont des dynamiques variées, le premier plan servant à agrandir, le second à fonder une relation, chacun aux métriques et aux vitesses inégales.

Le décalage n'est pourtant pas un problème temporel ni même trop la superposition. Cette dernière amenait à montrer d'un fait qu'il était le produit de plans cachés où il se présente sous sa double ou triple nature "réelle" ou bien que deux ou trois faits se rassemblent en un seul. On voyait que Julien était le résultat d'une nature lucide et passionnée (soit deux faits) ; on a vu que Circé et Calypsô étaient peut-être une seule et même sirène ; on a vu qu'un même air saisi par deux jonctions différentes accordait à leurs deux résultats une proximité nouvelle, celle d'avoir connu une jonction. Superpositions permettant une ontologie (et non une phénoménologie) puisque le fait était investi d'une valeur symbolique le rendant apte à faire propager la jonction, à la faire rayonner. Le fait doté est d'une valeur symbolique particulière : ce n'est pas n'importe quel fait (choix de la jonction), ce n'est pas n'importe quelle valeur symbolique : les symboles employés redisent l'expérience de la jonction plus qu'ils ne sont des signes conventionnels, des convenances idéographiques. Si les Athéniens avaient reconnu dans leur stèle au deo ignoto la figure du Christ, cette stèle serait devenue le symbole d'une divinité à mystères (comme Dionysos, Orphée) là où saint Paul cherchait à créer une fulguration comme celle qu'il avait eue : la stèle est dotée d'une valeur symbolique reproduisant la jonction de revirement , le symbole employé tente de répéter la jonction. Les superpositions visualisent et dessinent une réalité selon d'autres découpages. Un autre paysage se donne à voir. Mais le décalage complète cela et l'amplifie.

5.1.1 Retard et déplacement en légère dysharmonie ou inopportunité, en inadéquation et en flottement : la notion se résume à un écart spatial que la jonction produit non plus en extrayant un fait de son milieu ambiant, mais par sa simple présence ou attraction : le fait est déplacé de son milieu, le milieu et ses oscillateurs connaissent une perturbation. Cela crée quelque écart entre une partie et le tout ou entre les organes du tout. Espace de liberté risqué : des délires sont possibles.

La force d'attraction de la jonction altère un milieu, une auréole se forme autour, une dissociation entre les faits du milieu s'observe, cela les libère, certains s'enfuient de toute attraction et provoquent un désastre. Comment réussit-on à faire de l'homme un être des lointains ? Le décalage est soit spatial soit temporel : s'il est spatial, l'homme y gagne en liberté ; s'il est temporel, il se perd dans ses délires et inadéquations parce qu'il est incontrôlé, là où une représentation spatiale tient toujours du repère. Il ne restera pas grand-chose de l'extraction d'un fait, une fois sa force symbolique usée et si rien ne vient le réinvestir, mais il restera que le milieu aura été altéré et en conserve la trace si bien que l'étude du "décalage" permet de dire pourquoi des faits extraits par des jonctions ont entre eux une propriété commune : ils ont subi un déplacement maximal qui a entraîné un déplacement des faits du voisinage ; le milieu signale ces modifications, ce qui est une manière de dilution à traiter.

Première approche donc du décalage : il se réduit à un problème de voisinage, c'est-à-dire de dérive et d'éloignement : des faits voisins s'écartent l'un de l'autre, et se séparent aussi. De tels éloignements créent des lointains, un horizon avec des extrema dont le centre, lieu d'origine commune ou d'une proximité s'efface. D'autres proximités se créent par suite d'une mise en rapport d'éléments déplacés. Mais à ces deux décalages (éloignement, rapprochement) il faut ajouter que certains faits deviennent errants, instables, et que d'autres disparaissent. Là où il y a des écoulements, on aura des inversions de courants, et là où il y avait des retenues, on aura des chutes ou des glissements, ou l'inverse. Soit ces quatre autres décalages : déstabilisation, disparition, glissement, blocage. Il faut penser que ces dynamiques engendrent un espace mobile, élastique, très différent des résonances produites par les oscillateurs. Les oscillateurs maintiennent une unité, intègrent ce qui est compatible à un système. La présence attractive de la jonction décale les faits, construit des lointains en fabriquant une place. Elle les libère d'une stricte fonctionnalité même si ces déplacements sont contrariés par l'inertie du système.

Rappel de notre progression : la jonction est acceptée par les oscillateurs ; ensuite elle peut extraire un fait d'un milieu ; enfin elle possède un fort potentiel attractif qui perturbe ce milieu. Notre analyse des dilutions s'est poursuivie ainsi.

5.2 Nature du sens : l'attraction avec les déplacements qu'elle opère fabrique du sens. La jonction prise en charge par les oscillateurs et pénétrant un milieu en apportait ; avec l'extraction d'un fait, elle en révélait ; mais avec l'attraction, elle le compose sous nos yeux, à l'instar d'une syntaxe particulière faite de ses décalages. Nous allons, ici, considérer le langage et dire que chaque langue est un milieu particulier, ordonné par ses oscillateurs qui appliquent des règles structurant une langue. La présence d'une jonction altère cet ensemble en provoquant des déplacements d'unités de sens (à la manière dont une langue plus dynamique agit sur une langue plus restreinte).

5.2.1 Nous n'utiliserons pas les notions d'inférence, de dénotation, d'implicite, de performatif, etc. Mais nous dirons que tout langage est "immature" puisqu'on ne cesse de faire surgir des phrases et du sens (déjà entendu ou non). Il faut donc qu'il se crée des "lointains", c'est-à-dire de la place pour que puisse s'y installer ce qui importe le plus : le sens. C'est pourquoi la notion de décalage est requise. Cette "immaturité" suppose un complément qu'il faut installer, pour lequel il faut faire place. Immaturité ne signifie donc pas inachèvement mais plutôt "néoténie" volontaire, maintien des traits jeunes au sein d'organisme âgé. La maturité est apportée par les oscillateurs qui complètent et précisent le contenu des mots, l'emploi des structures, etc. Souvenons-nous que les cinq oscillateurs ont des fonctions d'historiseur, de traducteur, de symétriseur, d'échantillonneur, de mimétiseur, toutes opérations qui ont trait souvent au langage (concepts proches de ceux employés en linguistique). Les oscillateurs apportent du sens parce qu'ils mettent en relation des "échos" mais ils ne font pas tout le sens. Ils créent des lointains culturels, sociaux, intellectuels, des labyrinthes d'évocation et de suggestion mais ce sont des "lointains à horizon déterminé". Ceux d'un homme cultivé sont plus larges que ceux d'un barbare. Or, non seulement les mêmes mots répétés continuent à fabriquer du sens, sans trop s'user (ce qui donne à penser qu'aucune référence à un réel ne les comble une fois pour toutes, qu'ils conservent leur pouvoir d'emploi dans toute domaine pour la plupart, qu'ils traduisent cette immaturité ; ils sont moins disponibles qu'immatures, à savoir incomplets, à jamais aptes à se prolonger sans fin. Qui pourra dire le sens que prendra un mot dans cent ans ? Rien ne le détermine exagérément, mais encore ils peuvent être "néoténisés", rajeunir leur aspect. Nous dirons comment : par le décalage. Mais on peut déjà poser qu'un sens qui serait inouï, innovant, provoquerait une régression hors des champs significatifs empruntés, réduirait le langage à une pure ébauche (on lui enlève ses traînes d'images et ses chaînes d'associations), le renverrait à un non-emploi et donc à une potentialité rafraîchie. Toutefois ce caractère inouï ré-introduit du temps (événement exceptionnel) et ne peut néoténiser le langage bien longtemps. Ce qu'il faut chercher c'est une déformation spatiale qui réussit à fabriquer un sens dilutoire.

5.2.2 Tout système - le langage en est un - revêt plusieurs formes, disons même possède plusieurs "contours" , à la fois parce qu'il émet une activité et reçoit du milieu où se déploie son activité une réponse. Nous pouvons rapprocher ce phénomène de la dialectique de l'espace extérieur et de l'espace intérieur : le système émet et amasse. Les contours ne sont pas tant liés à des contraintes extérieures du système qu'à celles emmagasinées par le système émettant et amassant (conservation d'expériences, mémorisation de faits, tendances constituées). Chaque personne s'exprimant a son système : ses contours sont particuliers mais avec des zones d'intersection avec les autres et selon un spectre encadrant les variations (au-delà on tombe dans l'idio-syncrasie des hapax). Cette description formelle n'est pas très utile, même si elle est correcte, parce que l'on ne peut la poursuivre plus (comment décrire les contours de Monsieur X, ou Y ?) L'idée que nous poursuivons est que la présence d'une jonction ramène les contours à une forme moins spécifiée, plus "jeune", permettant le jaillissement d'un sens dilutoire, sorte d'espace entre le contour spécifié et le contour rajeuni.

Exemple : A un ami marchant avec peine sur le trottoir, vous demandez : " comment allez-vous? Que vous est-il arrivé ?". Et lui de répondre : " Hélas, je suis tombé de cheval". Sa réponse comporte deux informations : il est tombé ; il fait du cheval. La quelle est la plus importante ? Celle où il signale qu'il fait du cheval, qu'il monte tandis que vous n'avez pas les moyens nécessaires…Ensuite celle où l'on pense qu'un accident est vite arrivé ou bien qu'il est maladroit et n'a jamais de chance… Cet exemple expose les difficultés d'interprétation mais tel n'est pas l'enjeu, ici. L'interprétation peut "resubjectiviser" l'énoncé, redonner aux mots toute leur charge affective (celle des émis et des amas ) : il est fier de monter, il n'a pas de chance. Elle peut aussi "désubjectiviser " : il a chuté, une chute est courante. Dans la mesure où l'interprétation renvoie à des désirs et des expériences universels comme le besoin de paraître ou la banalité d'un accident, il y a néoténie. On se rappellera que tout homme qui parle essaie de faire croire en la validité de sa parole : est-ce de la chute ? Ce sens premier s'oublie ; le sens par les interprétations est plus ou moins subtil ; le sens néoténique est le résultat d'une interprétation. Souvent ce dernier sens paraît décevant ("ce n'était donc que cela") tandis que l'interprétation associe, décompose, rapproche, suggère. On remplace "sa chute de cheval" par "il est snob" ou "un accident est vite arrivé", version subjective ou version objective mais ce rajout de sens ne peut se faire qu'en repoussant le sens porté par la phrase vers une topique (une opinion commune, naïve, banale, indifférenciée) du type "chacun aime parler de soi pour se vanter ou se faire plaindre" ou "les accidents sont fréquents". Dans ces résultats réside la néoténie du langage. L'interprétation prend place parce qu'autour du fait un espace s'est créé par le retrait du sens initial.

Trois contours se dessinent : contour spécifié, contour néoténique, contour interprétatif.

Le contour spécifié peut s'analyser comme une localisation : cela a lieu ici, à cet instant, pour tel individu. Et l'on n'en comprend le sens qu'en usant d'inférences : savoir ce qu'est un cheval, une chute, un cavalier…

Le contour néoténique peut s'analyser comme une universalisation, une généralité (les chutes, la loi de la pesanteur) et une simplification (chacun aime à se différencier des autres).

Le contour interprétatif peut s'analyser comme une validation : une vérité est en cause, il faut s'en assurer, adopter même une argumentation. Ces remarques valent pour tout milieu. On ne parlera pas de "sens" mais d'"échange énergétique" : positif ou négatif (cela a eu lieu ou non ; cf. contour spécifié), néguentropique (l'énergie ne se dégrade plus; cf. contour néoténique), ergodique (probabilité d'efficacité et de périodicité ; cf. contour interprétatif).

5.2.3 Action attractive de la jonction sur ces contours. La jonction produit de l'infini ; il lui faut donc neutraliser ces contours. Elle déplace les émis et les amas comme pour défaire ces contours chevillés l'un à l'autre et réussir à s'imposer. On peut imaginer que son action est de diluer la nature même des émis et des amas : là où l'on croit saisir une catégorie, elle s'évadera et là où l'on croit tenir du vent, on appréhendera un corps. Un désir s'agrège, un agrégat devient émission de désirs. Sa puissance réside dans de telles capacités de perturbation ou d'inversion, seule façon de déjouer l'entrelacs des contours et des sens.

Comment une phrase une phrase comme "je suis tombé de cheval" peut-elle inclure cet autre sens fait d'infini ?Le sens dilutoire est-il comme un habit trop grand pour un corps menu ? Testons que émis et amas inversent leur rôle. La jonction trouble les champs constitués de sa seule présence, elle opère des décalages, et ce faisant, elle permet un sens dilutoire. Si tel était le cas, pus que l'extraction, plus que la superposition, plus que les effets de jonction, le décalage est dilutoire.

Récapitulatif : ce qui est émis, c'est l'ensemble des projections d'un espace intérieur (des désirs, des attentes, par exemple) ; ce qui est amas, c'est l'ensemble des expériences conservées d'un espace extérieur (dispositions tendances, mémorisations). Un astre a un rayonnement comme une constitution particulière. Parfois l'espace extérieur et l'espace intérieur sont dans une position respective si particulière qu'une réaction se produit (une zone d'interférence) à laquelle nous avons donné le nom de jonction. En temps ordinaires, ces deux espaces sont assez autonomes, comme deux fonctions indépendantes. Tout milieu est un dosage d'énergie accumulée (amas) et dilapidée (émis). Posons que l'énergie dilapidée est récupérée (amassée) et que l'énergie accumulée est dépensée (émise). Posons que ces échanges subissent un renversement. Posons dans un milieu particulier (le langage) que les trois sens d'une expression (inférée, néoténique et interprétatif) subissent cette loi d'inversion où ce qui est de l'ordre des émis pour l'inférence devient des amas dans cette même inférence.

Ainsi : la proposition "j'ai fait une chute de cheval" où l'on infère un savoir sur cet animal pour imaginer et concevoir une chute, son danger et ses conséquences (savoir amassé), où, d'autre part, l'on infère qu'il faut émettre un regret, une peur rétrospective du danger, le désir d'un prompt rétablissement, notre incompréhension du comportement animal (série de projections émises), subit donc une inversion : l'on va émettre le désir d'une chute, d'un danger ; l'on va savoir quelles réactions ordinaires se manifestent dans cette situation, considérer ces projections comme des répliques convenues et amassées par l'expérience (cela tient de l'hypocrisie sociale, ou du savoir-vivre, selon), et surtout s'en extraire, en chercher une nouvelle. Il faut vouloir tomber ; il faut savoir des réactions toutes prêtes pour espérer y échapper. Un décalage se produit, dilapidant sous forme de désirs des savoirs amassés et accumulant sous forme de savoir des désirs émis. "Il désire faire cette chute" ; "il sait les réactions qu'il y aura en lui et autour de lui" On obtient une nécessité là où tout semblait livrer au hasard. Une liberté aussi se dessine puisque l'événement est sous contrôle d'une conscience, d'un déterminisme en somme. La nécessité renvoie à quelque instance supérieure (d'où vient ce désir de chute ? qui le commande?) et la liberté réside dans le parcours de toutes les réactions possibles et de n'en adopter aucune : il doit y en avoir une qui n'a pas été conçue, qui s'ajoutera (celle que vit Paul à Damas, par exemple). De l'infini vient de se produire de cette double façon. Tel est le sens dilutoire fondé sur l'inversion des émis et des amas et le décalage qui en résulte (le lien unissant un émis et un amas est comme distendu).

Ces quatre sens (inféré, néoténique, interprétatif, dilutoire) sont les strates de tout sémantisme. Tester une expression ainsi préfigure sa future dilution, on peut voir comment elle pourra être un jour fabricatrice d'infini. Comprenons aussi que ce qui vaut pour un milieu comme le langage, vaut pour tout milieu. Prenons le couple matière-antimatière du milieu naturel : la matière comme stock ultra dense devient émission, expansion ; l'anti-matière ou variations instables émises, devient une constante. L'émis est devenu amas, l'amas est devenu émis. La Création est l'infini dilutoire.

Mais un milieu connaît aussi des oscillateurs (ils sont aptes à produire les sens non-dilutoires) si bien que le rôle de l'instance divine se conçoit ainsi : auteur des décalages, séparateur de mouvements unis, réorganisateur de cartes et de trajectoires. Car c'est le seul moyen d'assurer une réelle propagation ou dilution. On ne parle pas de combiner des éléments (théorie du Chaos) ni de l'expansion d'une explosion (théorie du Big Bang) ni de constantes régulatrices (théories classiques) mais du fait que, à l'instar de la lumière à la fois onde et corpuscule, la réalité puisse faire alterner trace et trajectoire, empreinte et ligne de fuite, et en dissocier les parties.

Il est des époques (comme la nôtre) où les systèmes explicatifs en cours suffisent : les connaissances accumulées forment un socle solide, celles qui s'ajoutent le consolident encore ; les désirs d'explication et les controverses sont orientés par les systèmes qui polarisent dans certains sens ces émissions. Par exemple, au III-IVème siècle après J-C, dans le monde romain, stoïcisme et aristotélisme, quoique s'affrontant, ont réussi à expliquer le monde, lorsque le christianisme apparaît, inapte à tenir un discours scientifique ou philosophique. Mais, à l'intérieur de cette sphère explicative, il ré-introduit de l'infini. Phénomène de dilution par des décalages.

Prenons, par commodité, la place du citoyen selon le Portique ou Aristote (l'aspect moral et social de ces doctrines). L'homme y est défini comme un "être patient" (vaincre la douleur de l'événement - stoïcisme) et comme un "animal sociable" (vivre en société selon Aristote). Ce que l'homme peut désirer, c'est l'ataraxie (absence de passions) ou l'amitié (vertu sociale). Un horizon est ainsi tracé. Introduisons la donnée du christianisme. La Cité de Dieu de saint Augustin place comme finalités désirables de devenir cet être "patient et sociable" pour une communauté future au Paradis au contact de la présence guérissante de Dieu ; ce qui est de l'objet d'un savoir, c'est l'analyse à faire des passions (que savoir de soi ? Naissance du genre autobiographique des Confessions) et la nécessité d'une action charitable envers les autres (comment vivre en société?). Nous voyons par cela qu'un savoir accumulé est devenu un désir émis, et qu'un désir émis fait l'objet d'un savoir à accumuler.

Des décalages ont produit cette inversion. La relation qui unissait "patience" à "ataraxie" (progresser vers l'état le meilleur) est rompue : ni l'une ni l'autre ne dépendent totalement de l'homme ; ils deviennent deux progressions séparées : ordonner ses passions, les détailler à l'infini ; souffrir du seul désir de Dieu, substituer cette souffrance à toute autre, à l'infini.

5.2.4 Autres contours plus explicatifs. Vu qu'il est impossible de faire une liste des désirs émis et des connaissances amassées par un homme, se rabattre sur ce qu'un homme peut désirer ou amasser selon quelques catégories qui serviront à dessiner des contours. Grâce à quoi, une description des décalages (inversion) est concevable.

Sur le pas de la porte de son magasin, il attend. Nous l'avons vu s'installer, et puis les prix ont été revus à la baisse. L'affiche "solde" a été inscrite en grosses lettres. Il vend de quoi dormir et son magasin se nomme "L'univers du sommeil". Demain, il y aura liquidation. C'est un rêve brisé. Et l'on se dit : l'homme est fait de rêves brisés. D'où que nous nous tournions, nous ne connaissons que des gens qui ont cru, ont essayé, ont endossé des ailes qui ne les ont pas emportés par delà les océans. Désirer vient de desiderare ; le mot astres (sidera) est là ; desiderare signifie "regretter que les astres ne soient pas favorables".

Le contour de l'être humain a ce contour brisé, à différents endroits, selon le degré de réussite, mais l'ensemble n'est que lambeaux d'ailes. Et il en est de même pour ce que nous connaissons ; si peu, si mal, si vite oublié.

Quel contour faut-il considérer ? Celui brisé, ou celui non-réalisé. Le premier arrête l'individu, le second le dilate jusqu'à le faire disparaître. Mais il y a aussi la part des renoncements (effacer ce que l'on a voulu ou pensé), et celui des substitutions, à savoir la ligne des désirs dont on accepte l'absence de réalisation et celle qui naît en remplacement, comme celle des connaissances inutiles et adoptées par commodité.

Soit quatre lignes ou contours qui peuvent subir un déplacement, un décalage.

5.3.1 La jonction impose son nouveau contour, son sens dilutoire, parce qu'un contour délimité est transféré dans un autre cadre et y adopte un nouveau contour. Soit le contour arrêté d'une unité : plaçons le dans le cadre d'un contour de renoncement forcément restreint et circulaire (cicatrisation) ; ou bien dans le cadre d'un contour de substitution à l'aspect d'une dérivation ; ou bien dans celui du non-réalisé, ouvert à l'infini. Ce ne sont pas des extractions ni des couplages mais des attractions et des déplacements. Ces unités déplacées sont dans des cadres inadéquats, donc décalés. Telle est la force de la jonction.

Celui qui échoue ou dont le savoir est inutilisable, sont contraints à d'autres contours et de ce fait, préparent le terrain pour de futurs déplacements si la jonction vient à passer par-là.

Souvent les décalages sont perçus comme des "inappropriés", des inconvenances : il n'y est pas, cet homme est en retard, il est dans le quiproquo, il n'est pas de son temps, etc. Ce sont des décalages temporels : un milieu ne communique plus avec d'autres milieux ; le solipsisme menace, à la fois gauche, naïf, et impropre, insensé. Etre à contre-temps : il se trouve que tout un chacun possède de tels mini-décalages, parce que nous sommes incapables d'être hic et nunc. Nul ne vit à son époque (on traîne des usages anciens, on préfigure des avenirs, on n'est pas au courant des changements). Sans doute, la jonction profite de tous ces infinis pour se glisser entre eux, dans ces fentes au chemin difficile. Cela explique que le travail de la jonction soit universel. C'est peut être aussi pourquoi il nous faut mourir afin qu'à tous la jonction soit donnée (rappelons-nous la question : existe-t-il quelqu'un qui ne soit jamais amoureux ? Grâce non offerte). Certaines dispositions spatiales précises sont nécessaires à l'intervention d'une jonction, comme dans le cas d'apparition des mirages : entre deux milieux aux indices de réfraction de la lumière différents, se crée une image fictive, ponctuelle, une dilution de la réalité.

Autre type de décalages : plaçons nous maintenant dans cette optique où émis et amas dessinent un contour ; au contact d'autres contours, ce "contour" est contraint, n'adhère pas complètement aux autres, n'est pas la pièce exacte du puzzle. Il a donc deux feuillets : l'un est le "non-réalisé" (ce vers quoi l'on allait idéalement), l'autre est l' "arrêté" (ce qui a pu se faire, envers et contre tout, amorti par les actions environnantes). Il s'ensuit aussi deux autres feuillets qui sont une adaptation du milieu à ce premier stade : l'un est le "renoncé" (ce qui est retiré comme inutile et impossible), l'autre est le "substitué" (ce qui peut suppléer). Cela a été dit mais nous ajoutons que la jonction permet à ces quatre sortes de contour (feuillet) de se trouver déplacés dans l'un des quatre contours d'un autre milieu, au lieu d'être successifs ou associés. Le contour x de X est placé dans le contour y de Y ; x1 de X dans y1, y2, y3, y4 de Y. La jonction le permet parce qu'elle opère une inversion : les émis deviennent des amas, et vice versa. Cela revient à dire que X et Y sont soit l'espace intérieur des émis soit l'espace extérieur des amas. Le plus souvent X et Y sont du même milieu et le décalage se fait dans un même milieu.

5.3.2 Tableau des déplacements :

Contours de X /décalages vers Y
Savoir bloqué (a) contour "arrêté"
Savoir infini
(b ) Cont. "non-réalisé"
Savoir perdu
( c) Cont. "renoncé"
Savoir parallèle (d) Cont. "substitué"
(a) Désir dont l'objet est précis contour arrêté
1
A
B
C
(b) Désir qui se renouvelle per se cont. non réalisé
A
1
A
B
(c) Désir rompant avec un précédent contour renoncé
B
A
1
A
(d) Désir substitué
C
B
A
1

Différentes catégories apparaissent de cette matrice.

Le chiffre 1 évoque un équilibre, une harmonisation, un échange équitable.
La Lettre A évoque l'action de deux contours et la réponse symétrique de deux autres contours.
Les Lettres B et C évoquent une troisième solution : l'installation en des contours non symétriques (la Lettre A peut alors se libérer et devenir B ou C) : il s'agit d'un contour placé en deux ou trois autres contours.

5.4.1 Cas 1 : le contour de X est placé dans un contour de Y qui lui est identique (arrêté - arrêté ; non-réalisé - non-réalisé…). C'est le cas des attentes satisfaites. Ce qui ne pouvait avoir lieu ici, se réalise là. Phrases entendues : "je vous attendais…"; " ses amis le poussent à revenir…" ; "j'ai le regret…mais essayez ceci, contactez un tel…". Un milieu ne suffit pas, un autre est adapté. Ce type de décalage ou déplacement est souvent une domestication de l'imaginaire et du désir : il nous est dit ce à quoi nous avons droit, ce que nous devons désirer, notre part de songes. Des apories surgissent. L'adéquation des deux contours réduit le décalage à sa plus juste mesure.

5.4.2 Cas 2 : deux contours de X sont placés, avec une inversion, dans deux contours de Y identiques (arrêté + non-réalisé de X / non-réalisé+arrêté de Y ; cf. Lettre A). Ce sont comme des images inversées. Il y en a 6. Ce genre de décalage réversible indique une déstabilisation ou un glissement : l'un peut s'inverser en l'autre. C'est le principe des quiproquos, des gaucheries, des décalages temporels. Il y a des différences de vitesse, des désaccords, de l'incompréhension. La réalité devient boiteuse, engagée sur deux voies inégales. Un quiproquo fait rire, un distrait amuse car la dilution qui se crée ne se propage pas au loin : elle est dans un cadre qui se retourne contre elle. La correction vient rétablir l'équilibre.

5.4.3 Cas 3 : le contour de X est placé dans deux contours ou trois de Y (à l'exclusion du contour de Y qui lui est identique ; cas 1). Il s'agit de plonger un réel dans du virtuel paramétré : puisque Y est un "réceptacle", il devient structurant. Les décalages sont d'une autre nature que précédemment parce que l'on ne va plus du Même au Même, parce qu'il y a répartition : un contour est placé dans deux ou trois nouveaux cadres.

Exemple : le propre d'un texte sacré, c'est la nécessité d'une exégèse. Est-ce à dire que la divinité ne parle pas clairement ? L'exégèse se justifie en vérifiant que notre compréhension n'est pas trop limitée par nos clartés étroites (sens référentiel, néoténique, interprétatif). Elle admet des difficultés (des contours se forment) et introduit une unité dans d'autres contours, vérifiant ce qui en surgit : un sens dilutoire.

5.4.4 Les contours de X et de Y sont dynamiques : ligne brisée du contour arrêté, dilatation à l'infini du "non-réalisé", ligne défaite et en pointillé du contour "renoncé", bourgeonnement du "substitué". Un certain foisonnement. Mais le déplacement de X à Y est d'une autre nature : il oblige un contour à se mesurer à un autre espace, ou plus exactement à deux espaces qui peuvent être plus grands ou plus petits. Cette compénétration des contours n'est point liée au manque : c'est parce qu'il y a manque que les contours de X se succèdent. Ici, rien de tel : on plonge un contour dans un autre milieu ; c'est la force d'un "saut", une capacité à s'abstraire qui dénote de l'attraction d'une jonction. Elle inverse les émis en amas, ou inversement, elle fait de l'englobant un englobé, de l'horizon un point. Ce faisant, il y a des pertes, des ajustements ,des dénivellations. On aurait tort de traiter le passage de X en Y comme une application où les contraintes de Y déformeraient tant que cela ferait apparaître des pliures et des invariances. Les oscillateurs ont déjà ce travail ou les plans d'une jonction qui extrait un fait. Ici, c'est le fait que l'on assiste à un déplacement du foyer constitutif. Un autre noyau se constitue pour Saint Paul, Perceval, Bérénice, etc. L'adoption de nouveaux contours produit un décentrement.

En effet, placer un contour dans deux ou trois contours d'un régime différent suppose un principe organisateur qui répartit les éléments selon un tri. Saint Paul n'a pas repris sa vie en inversant ses désirs et ses savoirs ; il a retrouvé la vue, il a organisé sa vie autour d'une propagation (là où il l'organisait autour d'une régression), il s'est construit autour d'une possibilité (ceci pourrait être, ceci sera) au lieu d'une réalité (ceci est doit demeurer). Ce centre est construit par les contours investis soumis au pouvoir attracteur de la jonction.

Ce qui fonde un tel centre, c'est une finalité de propagation : deux, trois contours s'offrent pour diluer le contour de X implanté. Les milieux naturels ont des propagations reconnaissables : celle de la lumière, d'un gaz, de la chaleur, du son…propagations périodiques, intermittentes, continues, rayonnantes, ergodiques…mais cette énergie qui se manifeste vient d'un foyer où elle s'est accumulée. La nature de la propagation indique la nature du foyer. Une énergie qui quitte un milieu pour s'implanter dans un autre transforme ce dernier en un foyer de propagation, comme une étincelle placée dans un baril de poudre. Il y a donc des "milieux morts" où l'entrée d'une énergie ne crée pas de foyer, et des "milieux vifs" où le foyer est immédiat. Parabole du semeur et des graines qui germent ou non, en terre ou dans les rochers.

Dire que le milieu est vif, signifie que l'on concentre son attention sur ce qui cause la propagation et non sur ce qu'elle permet d'obtenir (avantages sociaux, enjeux locaux) : or ce qui cause une propagation est de l'ordre d'un décentrement produit par la jonction dont la force attractive est telle qu'elle oblige un contour de X à s'implanter dans deux ou trois contours de Y. Cela produit une réorientation, un renversement, une rupture. Les émis et les amas sont réorganisés en fonction d'instances précises gouvernées par la présence de la jonction. Ces nouveaux foyers font œuvre propagatrice.

5.4.5 Bilan et exemple de décentrement : convenons de faire ce bilan. a) Un certain type de décalage existe qui consiste au fait que l'attraction de la jonction déplace dans au moins deux contours de Y un contour de X : il se crée alors un centre de propagation. b) Il s'est produit une inversion et un décentrement : ce qui était émis est devenu amas ; le foyer initial a été remplacé par un autre foyer. c) Nous voici devant dire comment un contour d'émis s'inverse en deux contours d'amas (ou l'inverse) et comment un foyer initial est remplacé par un foyer de propagation spécifique reconnaissable à la marque de la jonction. Des instances spécifiques sont à désigner.

Exemple : Saint Paul disait : "je désire persécuter les chrétiens". Cet émis a quatre contours. Prenons en un qui serait celui "renoncé" : "mon désir s'estompe de persécuter". Plaçons cet émis dans deux autres contours simultanés sachant que ce désir devient un amas ou savoir (la jonction opère ce retournement parce qu'elle n'existe que pour établir un rapport entre espace intérieur et espace extérieur : ici, elle transforme une donnée de l'espace intérieur en deux données de l'espace extérieur). Cela devient : "persécuter est une erreur ; j'en ai conscience" (contour arrêté) ou bien " je connais la vérité, elle est chrétienne " (contour substitué). Par ce couple, le désir initial a été détourné, il a pris deux voies dont l'instance est une approximation de la Vérité.

Or il est exact que toute vérité a à voir avec la notion de persécution : elle peut être persécutée, elle s'obtient au prix d'une persécution intérieure (sacrifice), elle est persécutrice (aveu forcé). On croit que la vérité se définit comme une validité ou comme une découverte ou comme une description exacte. Elle est une disposition de décalage : une recherche (ou émis) trouve à s'implanter dans deux (ou trois) cadres simultanés (amas) : un savoir délimité (contour arrêté) et un savoir substitué à la doxa (contour substitué). Elle est décalée par rapport à ce qui reste à comprendre (autres émis un jour attirés par la jonction) et par rapport à ce qui est compris (sphère d'un milieu organisé). Elle s'impose comme un lieu où la persécution s'abolit, en son sein, dans l'aire qu'elle définit, et dans les choix qu'elle remplace.

On pourrait prendre le cas d'un amas devenant émis.: Saint Paul dirait : "je sais les chrétiens sacrilèges" (ils osent dire que le Messie est venu) ; voilà un amas (savoir) dont le contour sera "non-réalisé" (sacrilège infini). La jonction le place dans deux autres cadres où l'amas devient désir. Ainsi : "je désire le sacrilège des chrétiens" (contour arrêté : objet du désir précis) ; "je désire devenir chrétien" (contour "renoncé" : en rupture avec des attachements). Le savoir initial est devenu deux désirs (ou intentions). Un foyer se constitue pour les diffuser selon l'instance du Devoir dont on découvre le lien avec la notion de sacrilège . Il ne s'agit pas d'interdire mais de désirer le sacrilège, parce qu'il y a en lui un horizon lointain, une impossibilité que le devoir va tenter de rendre possible. Le Devoir appartient au désir d'agrandir l'expérience humaine en forçant l'impossible à exister. Tout au moins certains impossibles, ceux à vertu libératoire et légitime car liée à des droits essentiels à l'être humain. Il s'ensuit la naissance de plans nouveaux intermédiaires : "tu ne tueras pas" ; tuer est un sacrilège ; "désirer tuer", en faire un devoir n'a pas le sens de briser un interdit, de le bafouer mais l'injonction à tuer ce qui nuit et tue, ce qui en soi est mauvais, ce qu'il est impossible d'éradiquer (sa violence, son péché). A l'origine, "ne pas tuer" a dû paraître un désir sacrilège, un horizon à rendre réel : tuer était la loi à ne pas transgresser. Il n'empêche que le Devoir se fonde moins sur une obligation morale difficile à fonder que sur la conquête d'horizons interdits, la réalisation de l'impossible.

Nos exemples désignent un processus d'inversion et de décentrement. Un nouveau foyer se fabrique car c'est autour de nouvelles notions que les émis et les amas s'organisent. Les jonctions ordonnent l'orientation de ces foyers selon des instances spécifiques : une conception de la Vérité, du Devoir, par exemple. Ce qui s'oppose au Vrai, ce n'est pas le Faux mais le Satisfait (l'opinion établie); ce qui s'oppose au Devoir, ce n'est pas le mal ou l'immoral, c'est l'Impossible. Curieuses définitions qui trahissent la présence des jonctions. Elles suggèrent le monde ou donnent cette valeur que Dieu a suggéré le monde, le faisant apparaître sous des formes variées bien plus qu'Il ne l'a façonné définitivement afin que notre liberté s'exerce à le compléter et à l'amener à être. "Adveniat regnum tuum" dit le Pater noster. La réalité s'y définit comme l'émergence perpétuelle de foyers de diffusion contrôlés par des instances dont l'action sert à les manifester. On ne les verrait pas sinon et notre solitude en serait infinie, nous forçant à croire à un hasard et au néant.

Ces instances renvoient à la formation du décalage, c'est-à-dire à la présence des jonctions. Au nombre de cinq, il faut donc penser que cinq décalages se forment qui donneront les instances. Jp (englobement) Jq (transfiguration) , Jr (revirement) , Js (effleurement) , Jt (incrustation) sont en cause.

VI- Instances de déploiement :

5.5.0 Les Instances dues aux décentrements sont des invariances topologiques. Le déplacement d'une forme dans un autre milieu révèle que sous la métamorphose subie par la forme et le milieu des qualités demeurent intactes et directrices. Nous les nommons instances parce qu'elles accordent à la nouvelle propagation qui naît des orientations essentielles. Si la réalité a ce privilège de se diffuser, comprenons que des principes directeurs maintiennent ces efforts à chaque fois et que loin de faire appel à des forces aveugles, elle met en place des instances qualitatives. On connaît le scepticisme contemporain : devant un beau paysage géologique, l'on dira qu'il n'a pas été produit pour être beau et qu'il revient à l'esprit humain de le qualifier ainsi. On colore le monde de nos intentions. Cet avis est inexact : le monde est déjà en soi coloré. Nous n'ajoutons rien si nous n'anthropomorphisons pas ce qui est. Parmi les mille bouleversements géologiques, certains ont suivi une configuration originale qui a nécessité l'emploi d'instances (comme celle du Beau, par exemple), qui l'ont utilisée sans le savoir bien sûr mais qui l'ont réquisitionnée en tant que solution la plus convenante. C'est ce à quoi l'œil est alors sensible.

5.5.1 Jt (incrustation) est celle qui nous a servi d'exemple, celle où saint Paul (Bérénice aussi) est le paradigme : nous savons que deux instances (Vérité- Devoir) se mettent en place dans ce cas où la jonction attire un fait, le déplace et l'installe en deux ou trois autres cadres d'emplacement. Le décalage se résume à un transfert divisé et en un décentrement se réorganisant en un foyer de diffusion. Là où le fait se voulait une fonction saturée par des valeurs de succès, il devient la variable d'une fonction. De tous les effets d'une jonction, ce travail-là est le plus remarquable : elle ne cherche plus à assurer sa pénétration dans un milieu, sa survie ou son influence mais elle construit une réalité, des continua immatériels orientés selon des instances, des voies où la réalité peut s'écouler.

5.5.2 Chaque jonction organise un transfert divisé. Jp ou jonction par revêtement (englobement : le paradigme en est le héros de Stendhal) a pour instances le Beau et la Puissance d'être. Le héros voit se métamorphoser ses opinions et ses désirs : il pensait qu'on l'aimerait quand il serait puissant (contour non-réalisé) ; cette opinion devient un désir d'être puissant grâce à ses amours / son désir de beauté lui paraissait inaccessible (même contour non-réalisé) ; il apprend que la beauté est immédiate, qu'elle est un choc brutal. Après cette inversion des émis et des amas, la méthode est de considérer que le contour de ce désir et ce savoir intervertis est partagé en deux ou trois autres contours : le désir d'être puissant est inhibé (contour arrêté : à quoi bon être puissant puisque Mme de Rénal est émue par sa fragilité ?) et le savoir sur la Beauté est également inhibé (contour substitué : à quoi bon craindre une femme belle si elle s'avère maternelle ?). La complexité du personnage croît d'autant. Un déplacement se produit où une instance surgit comme signe d'un nouveau foyer de propagation. Ce sera "la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin du regard des hommes " de Mme de Rénal qui l'exprime : c'est la Puissance pour soi ou Puissance d'être : il y a dans le fait d'être une puissance souveraine, souvent éteinte, malmenée, mais toujours prête à surgir. Il ne s'agit plus de la puissance que l'on veut exercer sur autrui ou sur une chose, il s'agit d'une Puissance d'Etre, une force vitale faite pour le déploiement et toute floraison. Les deux héros découvrent dans leur vie, cette même soif d'exister, ce substrat solide. L'intérêt de cette jonction est de rapprocher la Puissance du Beau : ce dernier ne peut fonctionner sans s'associer à des processus confiants d'existence, à la solidité de l'Etre advenant. Ces deux Instances sont au cœur de ce nouveau foyer.

5.5.3 Jq ou découpe (transfiguration) a pour modèle Perceval entré en contemplation devant des gouttes de sang sur la neige. Il y a transfiguration et les notions qui se modèlent sont le Sacré et le Bien à considérer comme des forces propagatrices. Le Sacré est lié à un spectacle admirable et à une ressemblance : immense pouvoir de la métaphore (ceci ressemble à cela, à l'instar du signe "égal" des équations). Comment trois gouttes de sang peuvent-elles évoquer le visage de l'aimée ? Où se situe la ressemblance ? Le désir s'est mué en un savoir. Il existe une force agissante, opérant des rapprochements transfigurateurs puisque l'opération modifie les deux membres aux fins qu'ils se ressemblent. Car à la différence de la métaphore, le Sacré ne s'attache ni à la forme ni à la matière mais à l'effet ré-émis (ici l'éclat du rouge sur le blanc). Le Sacré tient à des ré-émissions qui ne perdent pas en intensité (la ré-émission l'augmenterait même), il choisit les supports qui le permettent.

Quant au Bien , il est lié à l'"épochê" ( cette absence au monde) qui saisit Perceval. Son savoir de chasseur (il blesse un oiseau) se mue en un désir : l'ombre vaut mieux que la proie, l'oiseau s'est enfui (d'où venait-il ? Pour où ? ) mais il laisse trois empreintes solides qui le font désirer encore plus (quels signes faisait-il ? que faire ?) . Le Bien n'est pas tant dans l'acte que dans ce qui nourrit l'acte avant et après, dans une action sur l'acte et ses conséquences et ses antécédents :il corrige une déclivité et fonde des appuis. Sans le Bien, tout pourrait sombrer (chute des oiseaux) mais avec lui, un plan se construit pour palier un manque. Cela donne aux actes un envol et des traces, comme un "avant" et un "après" de l'acte dont on mesure la validité aux libertés qu'il permet. Cela libère l'acte de ce qui le réduit à de l'utile. Le Sacré a besoin de supports de ré-émission et le Bien lui en fournit. Telle est la relation qui les tient en commun.

5.5.4 Jr ou jonction du revirement dont le paradigme est Moïse fondant de nouvelles lois reçues sur le Sinaï. L'attraction de cette jonction sur un système s'accompagne des Instances que sont la Nécessité et l'Unité. Comment vivre et penser si aucune nécessité n'existait et si nous percevions pas d'unités différenciées ! Cela signifie que ces deux Instances sont liées à l'existence de métastabilité (entre le retournement sur soi de l'espace intérieur et celui de l'espace extérieur) : l'émis et l'amas sont renvoyés à leur nature, comme si l'on s'interrogeait ainsi : ai-je le désir de mon désir ? ai-je le savoir de mon savoir ? Moïse au désert est dans cette situation métastable : son désir de fuite est interrogé ; son savoir de Dieu de même ; il naît un régime intermédieire qui fait que l'énergie de la fuite (bonheur d'être libre) et la structure d'un culte divin (le veau d'or, souvenir égyptien) sont sublimées. Les Tables de la loi structurent et dynamisent un peuple.

L'effet d'attraction d'une telle jonction (sublimation, dépassement, issue construite) est d'amener tout élément saisi d'un système à se structurer (Unité) et à se dynamiser (Nécessité). L'Unité naît d'une séparation (exode, errance) ; il faut un désert pour que la particule surgisse comme contraste. Derrière toute Unité se cache un désert. L'Unité est à associer à l'idée de fuite, de nomadisme, de trajectoires se propageant. Quant à la Nécessité, elle s'articule autour de la notion d'Aide, en tant que support de liaison car il s'agit de dynamiser les données. Ce support agit et modèle, déforme et oriente grâce à des principes qui sont l'équivalent de lois naturelles. Elle est une force propagatrice empêchant les déperditions. La considérer comme idée d'enchaînement, itérations, cycles , est erroné ; elle est assistance, cadrage aidant à l'apparition d'événements, limites récupératrices, hystérésis (effets de retard), régulations.

5.5.5 Js ou jonction de l'effleurement dont le paradigme est l'ânesse de Balaam (ou Kim), voyant dans un point toute une figure cachée (si l'on se mettait à la perpendiculaire d'une droite, on n'enverrait que l'extrémité - un point - sans en voir l'ensemble). Ce type de jonction a aussi un effet attracteur dont les Instances sont la Conscience et la Mémoire, également forces propagatrices. Le devin déclare "je sais le passé et l'avenir ; cela devient "je désire le passé-avenir" (inversion de l'amas en émis). La Conscience est liée au Temps : des similitudes entre passé et avenir sont utiles à la Conscience pour se propager sur deux lieux. Elle émane d'un rapprochement entre deux temporalités, provient de deux dynamiques différentes (l'une plus rapide que l'autre, l'avenir plus que le passé) si bien la conscience tente de les concilier, d'unir leurs potentiels, d'agrandir sa perspective. La Mémoire a moins trait au Temps mais plus à la compréhension. Le devin déclare : "je désire comprendre les signes" ; cela devient " je sais comprendre les signes". La compréhension est donc centrale : il s'agit de saisir dans les faits un fil conducteur, soit l'instance de la Mémoire. Elle n'est pas niagara de souvenirs mais propagation bi-polarisée : on fabrique à sa convenance un Modèle dans lequel la mémoire loge des unités éclairées, de façon à rendre visibles des éléments invisibles. Sa propagation est compréhensive, elle saisit un ensemble et l'éclaire, elle est un imaginaire optant pour des modèles bi-polariées : visible-invisible.

6.0 Ces Instances nées de déplacements imposent une redéfinition de certaines notions. L'inversion des émis et des amas fait qu'elles se manifestent dans leur vraie nature de direction des propagations. On ne saurait les réduire à des termes psychologiques : la matière emprunte leur mode pour la bonne raison qu'elle se propage. Il y a des unités et des nécessités, des beautés et de la sacralité, une mémoire de la matière et une conscience de temporalités distinctes (la vie d'une cellule et celle d'une étoile), etc.

De façon autre aussi, entre extraction, superposition et attraction, comment ne pas voir que le monde réel se déploie : pensées, imaginations l'entament dans sa masse et le disposent en spirales autour de nous. Enfin, il s'avère que tout système (fictif ou matériel, naturel ou conceptuel, …) est accessible aux jonctions.

Ces dernières sont indifférentes à l'évolution d'un système, à la rivalité entre systèmes ;elles préservent d'un système un peu de sa capacité idéelle dont elle est l'émancipation. Il y a la tige, la fleur, mais seul le parfum demeure.


PAGE D'ACCUEIL

Editions CARÂCARA

 

Mettez dans vos favoris l'adresse du site :www.utqueant.org